LEJEUNE Joseph [Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis]

Par Michel Cordillot et Gauthier Langlois

Né le 25 mai 1828 à La Flèche (Sarthe) ; instituteur dans la Sarthe à compter de 1846, révoqué le 6 novembre 1850 et interdit d’enseigner selon l’article 33 de la loi Falloux en février 1851 pour insubordination ; homme de lettre, il fut arrêté suite au coup d’État du 2 décembre 1851 puis, expulsé, se réfugia en Belgique, à Jersey et aux États-Unis.

Joseph Lejeune photographié à Jersey en 1853 ou 1854
Joseph Lejeune photographié à Jersey en 1853 ou 1854
Photographie réalisée sans doute par Auguste Vacquerie ou Charles Hugo.
(Source : Maison de Victor Hugo - Hauteville House à Guernesey, Album Philippe Asplet, fol. 32)

Il était fils d’un couple d’artisans de la Flèche : le cordonnier Pierre Étienne Lejeune et son épouse Marie Madelaine Foulon. En 1851 il était marié, âgé de 25 ans et résidait 23, rue Caumartin à Paris (Ier ancien arr., actuel IXe arr.).
Il entra en 1844 à l’école normale d’instituteurs du Mans où il se révéla « bon en natation ». Il en sortit deux ans plus tard, durée alors réglementaire, pourvu du brevet élémentaire.
Son premier poste fut dans la commune de Roullée (910 habitants en 1846) aux confins de la Sarthe et de l’Orne où, le 11 janvier 1847, à près de 19 ans, il épousa Octavie Félicie Chéreau âgée de 15 ans, fille de son prédécesseur décédé.
Quelques mois plus tard, il fut nommé dans le sud de la Sarthe, dans une commune proche du Lude, fief de la famille de Talhouët : Savigné-sous-Le Lude (1176 habitants). Son premier fils, Octave Joseph Marie Pierre y naquit le 17 mars 1848.
Lejeune s’y engagea en faveur de la Seconde République. Dès lors, il s’éloigna de son curé « en refusant de conduire les enfants à l’église et en négligeant la prière au début et à la fin de chaque classe ; en fréquentant cafés et billards même pendant l’office ». De son côté, le maire reprocha à Lejeune de prendre des congés sans son accord ainsi que son « exaltation » lors des élections du 13 mai 1849 : Lejeune, alors non-électeur pour raison d’âge, « tirant des mains des électeurs les listes de vote qu’ils étaient venus prendre à la mairie, les échangeait pour d’autres où Ledru-Rollin et consort étaient portés […] ; depuis ce moment il n’a cherché qu’à mettre la division ». Lejeune fut ensuite signalé aux autorités comme « socialiste entretenant des relations suivies avec le Sieur Berryer-Fontaine, l’un des rédacteurs de La Feuille du Peuple » à qui il aurait écrit qu’au moyen de la propagande dans les campagnes il parvenait à « faire détester le clergé ».
Le 4 juin 1849, le déplacement de Lejeune fut demandé par le comité local d’instruction. Le 13 septembre suivant, traduit devant le comité d’instruction de l’arrondissement de La Flèche où il risquait la révocation, il préféra démissionner de Savigné-sous-Le Lude. Considérant sa jeunesse, son repentir (Lejeune promit de ne plus s’immiscer dans les discussions politiques) et sa position familiale (un deuxième enfant était attendu), le comité le plaça à Rouessé-Fontaine dans le nord de la Sarthe. Jugeant Lejeune politiquement irrécupérable, des notables locaux du Parti de l’Ordre, dont de Talhouët fils, avaient sollicité son exclusion de l’enseignement primaire.
Peu après son arrivée à Rouessé-Fontaine, naquit, le 17 décembre 1849, le second fils de Lejeune, prénommé Auguste Louis. Moins d’un an plus tard, à la mi-octobre 1850, en présence du curé qui s’en était plaint auprès de son évêque et des nouvelles autorités académiques départementales, Lejeune fut interrogé par l’inspecteur primaire de la Sarthe relativement à ses principes politiques et éducatifs ainsi que sur ses fréquentations. Lejeune ne nia pas qu’il restait attaché à la République sociale, toutefois, disait-il, sans faire de la propagande ; il confirma qu’il avait affiché chez lui un portrait de Ledru-Rollin, qu’il recevait l’hebdomadaire La Feuille du Peuple mais ne le colportait pas. Il exprima des sentiments hostiles au Président de la République Louis-Napoléon Bonaparte. Dans sa classe, il lui fut reproché d’avoir enseigné « des points de doctrine contraires à la doctrine catholique ». Il reconnut avoir dit que « Luther se sépara du pape, indigné de voir celui-ci vendre des indulgences et faire trafic des choses de l’Église », autant de faits historiques que, selon les autorités religieuses et académiques, les élèves ne devaient pas connaître. Quant aux fréquentations qui lui étaient reprochées, soit Macé Armand Louis, un ancien collègue révoqué, et un pasteur protestant rencontré à Mamers, elles n’avaient pas, aux yeux de Lejeune, l’importance qu’on leur attribuait. En outre, il fut reproché à Lejeune une inconvenance en tant qu’instituteur : il portait des moustaches.
Au final, pour avoir confondu « la position d’instituteur et celle de simple citoyen », Lejeune fut révoqué le 6 novembre 1850 par le Recteur. Aucun compte ne fut tenu de sa crainte de devoir faire, dès lors, son service militaire. Le 28 décembre, Le Bonhomme manceau, hebdomadaire sarthois de gauche, publia de Lejeune une lettre où il énumérait les griefs à lui adressés, le tout accompagné d’une violente diatribe contre le Recteur et le Conseil académique. S’estimant outragés, ces derniers réagirent en prononçant le 20 février 1851 contre Lejeune, en vertu de l’article 33 de la loi Falloux (15 mars 1850), la peine de l’interdiction absolue d’enseigner pour insubordination.
Arrêté au lendemain du coup d’État du Deux décembre, il fut interné à bord du ponton Duguesclin, en rade de Brest (Finistère) puis expulsé sur décision de la commission de révision de Paris. Celle-ci justifia cette mesure par le commentaire suivant : « Démagogue. Connu par l’exaltation de ses opinions anarchiques. A nié avoir pris part à l’insurrection, mais a déclaré que l’eût-il fait, il eût été dans son droit. Saisie de pièces manuscrites très compromettantes ».
Il se réfugia d’abord en Belgique puis à Jersey où il retrouva nombre de proscrits dont Victor Hugo. Il participa à leurs activités politiques et notamment, le 11 novembre 1853, à l’assemblée générale des proscrits républicains résidant à Jersey, qui déclara le sieur Julien Hubert comme espion et agent provocateur de la police de Napoléon III.
Avec Jean Courtès, Jean-Marie Ribaut, Auguste Lemeille, Auguste Le Floch, Félix Delamarre et leurs familles il obtint pour lui et sa femme un passage gratuit du Gouvernement britannique pour l’Amérique. Ils partirent pour Liverpool par le steamer City of Limerick. Puis de là ils partirent par le Sir Robert Peel vers New-York où ils arrivèrent le 26 juillet 1854.
De retour en France, il obtint une pension au titre de la loi de réparation nationale de 1881.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article164201, notice LEJEUNE Joseph [Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis] par Michel Cordillot et Gauthier Langlois, version mise en ligne le 20 septembre 2014, dernière modification le 2 octobre 2021.

Par Michel Cordillot et Gauthier Langlois

Joseph Lejeune photographié à Jersey en 1853 ou 1854
Joseph Lejeune photographié à Jersey en 1853 ou 1854
Photographie réalisée sans doute par Auguste Vacquerie ou Charles Hugo.
(Source : Maison de Victor Hugo - Hauteville House à Guernesey, Album Philippe Asplet, fol. 32)

SOURCES : Archives de la Sarthe, Acte de naissance. — Archives nationales, F/7/*/2592 (liste générale), F15/4169 (demande de pension tardive), BB/22/190. — Service historique de la Défense, 7 J 23. — Archives de la Marine, Port de Brest 2A/2 222. — Maison de Victor Hugo - Hauteville House à Guernesey, Album Philippe Asplet, fol. 32. — Denise Devos, La Troisième République et la mémoire du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, Paris, Archives nationales, 1992, p. 457. — A la France. L’agent provocateur Hubert, Jersey : imp. universelle, [1853]. — Robert Sinsoilliez, Marie-Louise Sinsoilliez, Victor Hugo et les proscrits de Jersey, Ancre de marine, 2008, p. 162. — Jean-Claude Farcy, Rosine Fry, « Lejeune - Joseph », Poursuivis à la suite du coup d’État de décembre 1851, Centre Georges Chevrier - (Université de Bourgogne/CNRS), [En ligne], mis en ligne le 27 août 2013. – „Etat-civil de La Flèche, Roullée, Savigné-sous-Le Lude, Rouessé-Fontaine – Archives départementales de la Sarthe : 1 T 133 (Sur Souvigné-sous-Le Lude) ; 1 T 490 (sur Rouessé-Fontaine) ; 1 T 574 (sur la défense de Lejeune) . – Le Bonhomme manceau. - Notes de Gérard Boëldieu.

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