COQUUS Marie, Élisa, dite Ida Crémière, Eliska [épouse BRUGUIÈRE, puis LOUZON]. Dite aussi Bruguières, Brugnière, Brugnières

Par Élise Abassade, Dominique Petit

Née le 27 août 1866 à Attigny (Ardennes), morte le 26 février 1935 à Cannes (Alpes maritimes) ; sage femme ; anarchiste à Paris, amour libriste, conférencière ; militante communiste en Tunisie.

Née de père inconnu et de Constance, Céline Coquus âgée de vingt ans, sans profession, Éliska Coquus épousa le 17 septembre 1887 à Paris un sieur Bruguière dont elle se sépara rapidement. Elle fréquenta alors les milieux anarchistes.
En 1890, Marius Tournadre, Rozier et Lamarre fondèrent la Fédération des Jeunesses révolutionnaires-socialistes. Tournadre laissa un jour une cinquantaine de cartes d’adhésion au bureau du Père Peinard, les cartes furent distribuées à des sympathisants, la Fédération compta 50 anarchistes de plus, mais « l’invasion » ne se fit pas sans protestations, Un soir, on vit arriver chez le mastroquet qui servait de siège aux jeunes, « le bataillon des amazones anarchistes, conduites par leur véritable chef de file, la superbe et solide Eliska ». Toutes les compagnes libres avaient été mobilisées, elles déclarèrent qu’elles ne se donneraient qu’à un homme libre, un compagnon. La Fédération fut « domptée » par les compagnes : Fortuné (Henry, semble-t-il), Champan, passèrent avec armes et bagages à l’anarchie. Elle fut la compagne de l’anarchiste Chabart Paul Vincent dit l’architecte,

Le 1er novembre 1890, en compagnie de Pol Martinet de Paris, de Paul Martinet de Troyes et d’un de ses amants Gustave Leboucher, elle fit une conférence à Troyes sur le suffrage universel et le parlementarisme, autorité et liberté. Elle parla « des gens sans aveu, démontrant que ceux à qui l’on donne l’épithète de SANS AVEU sont les victimes de l’état social ; qu’ils ont besoin, autant que quiconque, de la révolution et qu’il ont le droit et le devoir de se mêler au mouvement révolutionnaire. Elle démontra encore que les vrais gens sans aveu sont les hommes que le peuple a déjà, sottement, nommés et ceux qui, pour l’avenir, se préparent ses suffrages ».

Elle fut imprimeur-gérante du journal l’Anarchie de Pol Martinet, paru en 1890-1891. Dans la nuit du 17 au 18 avril 1891, deux ouvriers portant des paquets d’affiches anarchistes furent arrêtés boulevard Sébastopol.
Au cours de l’instruction, la police apprit que le placard, intitulé « Armée coloniale » avait été commandé par Eliska Bruguière. Le texte disait : « Simples soldats, l’enfant du travailleur est conduit à la caserne, pris à son père, afin que si le père bouge, il soit assassiné par son fils ».
Elle comparut devant la cour d’assises avec les colleurs d’affiches, lors de l’audience Martinet déclara qu’il était l’auteur de l’affiche, l’affaire fut renvoyée le 13 janvier 1892.

Au début de l’audience, Martinet plaida l’incompétence du tribunal qui devrait, pour être compétent, siéger « en perruque et sans robe rouge ».
Le tribunal rejetant les conclusions de Martinet, les inculpés se retirèrent et firent défaut. Martinet fut condamné à un an de prison et Eliska Bruguière à 3 mois. Le 9 mars 1892, sur leur opposition au jugement, la cour condamna Martinet à 6 mois de prison et acquitta Eliska Bruguière.

Le 28 avril 1892, Tournadre fut condamné par défaut à 6 mois de prison, pour un article paru dans La Lutte, dont il était le gérant, diffamant l’administrateur du bureau de bienfaisance du XVIIIe arrondissement. Tournadre fit opposition à ce jugement mais n’ayant pas respecté les formes requises, le précédent jugement fut confirmé. Tournadre avait souhaité se faire défendre par une femme, aussi il avait demandé à Eliska Bruguière d’occuper cette fonction ; elle assista à l’audience, une serviette sous le bras, attendant que le président lui permette d’affirmer les droits de la femme au profit de l’accusé mais l’opposition étant rejetée, elle n’eut pas à intervenir.

Eliska Bruguière semblait à cette époque avoir été une conférencière assez recherchée, témoin la démarche accomplie par les compagnons de Reims en avril 1893. Leprêtre écrivit plusieurs fois au Père Peinard en vue d’obtenir deux conférenciers, n’ayant pas eu de réponse, un émissaire fut envoyé à Paris. On lui répondit que les compagnons étaient trop occupés en ce moment et on ajouta que «  la compagnonne Eliska ne faisait plus de conférences et qu’il était inutile de compter sur elle pour l’avenir  ».
Elle figurait sur un état des anarchistes au 30 avril 1893, de la 3e brigade de recherches de la préfecture de police.
Effectivement, le 4 août 1893, on la retrouva à Londres, logée chez Marc Dupont, 29 Alfred Place. La police ignorait ce qu’elle venait y faire. Un rapport de police du 16 août 1893 indiquait que « Eliska et Chabard retourneront (à Paris) dans 2 ou 3 jours ».

Elle épousa le syndicaliste révolutionnaire Robert Louzon, de quinze ans son cadet, le 6 octobre 1908 à la mairie du XVe arr. de Paris. Le couple s’installa en Tunisie en août 1913 et exploita plusieurs propriétés agricoles. Dans un premier temps, Robert et Eliska Louzon ne se firent pas remarquer par des idées révolutionnaires. La police note cependant, en juin 1914, la présence depuis sept mois de l’anarchiste Hélène Lecadieu. La police s’inquiéta d’une carte postale envoyée d’Allemagne représentant un ouvrier « s’enfuyant, cheveux hérissés » avec au second plan des inscriptions politiques. Cependant, les personnes qui côtoyaient le couple dans la région de Zaghouan qualifiaient Louzon de "pondéré", "patriote" et "sans aucune idée révolutionnaire".
La propriété où le couple Louzon vécut le plus longtemps à El Aouina (à 9 kilomètres de Tunis) était d’aspect modeste, entourée d’un jardin d’agrément et de quelques hectares

Le couple s’investit dans la naissance du Parti communiste en Tunisie au début des années 1920. Les services de la Sûreté interrogèrent Louzon, un "individu suspect" fréquentant des "communistes de toute nationalité". La police présentait Madame Louzon comme "Ida Crémière", "très connue à Paris pour ses idées anarchistes". On revoie son nom en février 1922, dans une fiche de police consacrée à son époux alors incarcéré pour attaque par voie de presse contre le pouvoir de la République, sous le nom d’"Elisa Brugnières". Sa présence aux réunions communistes est régulièrement confirmée.
Elle aurait eu une activité notable au sein du Parti communiste de Tunisie jusqu’en 1923. Un indicateur de police signale que le 14 février 1922, elle s’entretint avec deux militants communistes avant d’entrer dans la prison ; à sa sortie elle leur déclara : "dès aujourd’hui je prends la place de mon mari qui m’a chargé de le remplacer". Elle présida de février à avril plusieurs réunions dont certaines eurent lieu à El Aouina. Elle séjourna à Alger en mai 1922 pour assister aux débats du procès de son époux défendu par l’avocat André Duran-Angliviel. Une lettre de sa main fut lue lors d’une réunion à l’imprimerie dont Robert Louzon était propriétaire. Sans doute retourna-t-elle à Paris car de passage à Tunis elle donna des nouvelles du comité directeur de la SFIC à propos de la date du prochain congrès de la Fédération de Tunisie. La police pensait qu’elle pourrait y participer comme représentante du PC. Elle arriva en Tunisie le 23 décembre 1922 et logea dans des hôtels. En janvier 1923, la police qui surveillait ses déplacement, affirmait que sa demeure principale avait été vendue. Ses bagages à l’hôtel indiquaient une adresse en Champagne. Le 3 février 1923, quatre militants communistes l’accompagnèrent au bateau en partance pour Marseille.
On ignore son destin à partir de cette date.

La Révolution prolétarienne du 25 mars 1935 annonça que « Ita Louzon, la compagne de notre ami Robert Louzon », était morte le 26 février précédent à Cannes.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article164731, notice COQUUS Marie, Élisa, dite Ida Crémière, Eliska [épouse BRUGUIÈRE, puis LOUZON]. Dite aussi Bruguières, Brugnière, Brugnières par Élise Abassade, Dominique Petit, version mise en ligne le 24 octobre 2014, dernière modification le 2 mai 2022.

Par Élise Abassade, Dominique Petit

SOURCES : Archives départementales des Ardennes, état-civil de Marie Élisa Coquus. — Centre des Archives diplomatiques de Nantes : Protectorat en Tunisie 1881-1956, Services des Renseignements généraux, dossiers nominatifs, 1TU/1/V/701/114 pochettes « Mme Louzon » et « Robert Louzon », Protectorat en Tunisie 1881-1956, Premier versement, Activités politiques 1921-1922, 1TU/1/V/1801-1802. — Le Rappel, le XIXe Siècle, Le Matin, La Justice, Le Gil Blas, le Journal des débats sur Gallica. — Le Père Peinard, 26 octobre 1890, collection IFHS 14 AS 122/2. — Archives Préfecture de police Ba 1115. — Archives départementales de la Marne, 30 M 74. — Archives départementales de l’Aube, 1M 640 — Les anarchistes contre la République par Vivien Bouhey, annexe 56 — R. Bianco : 100 ans de presse anarchiste, op. cit.. — Arch. Préf. Pol. Ba 310 et 1499. — Note de Marianne Enckell et de Julien Chuzeville.

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