Par Catherine Grünblatt, Myriam Frajerman, Maurice Moissonnier
Né le 25 avril 1920 à Lyon (Rhône), mort à Paris le 30 octobre 1985, incinéré à Paris le 12 novembre au Columbarium du cimetière de l’Est dit du Père Lachaise ; militant communiste.
Né à Lyon de parents juifs polonais récemment immigrés, cadet de trois enfants, David Grünblatt connut, dans son enfance, des conditions de vie précaires. Ses parents étaient marchands forains ; son père, qui était journaliste en Pologne, avait adhéré à la CGTU dès son arrivée en France et avait travaillé alors comme commerçant. Mais, malade et longuement hospitalisé, il mourut en 1934.
C’est grâce à son instituteur, M. Laurent, que David obtint la bourse Édouard Herriot décernée aux « Méritants de la laïque » et cela lui ouvrit l’accès au lycée Ampère de Lyon qu’il fréquenta de 1931 à 1938.
Dès 1934-1935 — il avait quatorze ans — il s’intégra au groupe de lycéens communistes de l’établissement et en prit rapidement la tête. « En classe de seconde, en 1935, dira le 12 novembre 1985, l’historien Jean Bouvier dans l’allocution qu’il prononça au crematorium du Père-Lachaise, il avait été le fondateur d’une cellule des Jeunesses communistes au lycée Ampère. Je fus le premier adhérent de la maigre cohorte : deux sur une classe de trente-cinq élèves. David m’alimentait de lectures de pédagogie révolutionnaire dont les brochures, que je vois encore, du Contre-enseignement prolétarien ». En 1936, il adhéra au Parti (cellule locale de la Guillotière). Dès lors, la plus grande partie de sa vie s’organisa en fonction de ses activités militantes.
Dès 1938, il était journaliste bénévole à la Voix du Peuple où il signait Marcel Verfeuil, traduction française de son nom (Grün = vert, Blatt = feuille). Le prénom était celui d’un journaliste communiste de la Voix du Peuple, Marcel Métral (voir ce nom) plus âgé que lui et pour lequel il éprouvait une grande admiration.
David, qui avait obtenu la deuxième partie du baccalauréat avec mention, se vit proposer une bourse pour faire les classes littéraires de préparation à l’École normale mais il choisit de poursuivre ses études à l’Université pour pouvoir travailler en même temps et ne pas être à la charge de sa mère et de son frère aîné. Il s’inscrivit en lettres classiques à la Faculté tout en travaillant, en 1939, comme employé à la mairie de Vénissieux, à l’époque majoritairement communiste.
Fin août 1939 ou début septembre, avec Marie et Dutrievoz (voir ce nom) il participa à la rédaction d’une Humanité clandestine dont il rédigea lui-même l’éditorial sur le thème : « Nous n’avons pas de leçons de patriotisme à recevoir des Münichois ». Cette édition, fabriquée sur le matériel de la mairie, fut diffusée publiquement, notamment par le maire E. Romand, bientôt arrêté pour ses activités politiques.
Après la signature du Pacte germano-soviétique, qui provoqua de nombreux remous chez ses camarades, il assista un soir de septembre, à la discussion de ce texte par les cadres du PC et des JC, dans le garage d’un camarade nommé Pelletier. L’enthousiasme ne régnait pas mais seul E. Chambon, secrétaire de l’Union départementale des syndicats et adjoint du maire de Vénissieux (voir ce nom) s’éleva nettement contre le Pacte.
À la suite de la dissolution des mairies communistes, David Grünblatt sollicita et obtint un poste d’instituteur intérimaire à Gerland pour l’année scolaire 1939-1940. Il y anima une association de jeunes instituteurs « Les Compagnons de jeu », tout en poursuivant ses études. Il participa aussi à l’activité clandestine de propagande et d’organisation poursuivie par les quelques militants des JC qui n’étaient ni mobilisés, ni arrêtés, ni mis à l’écart parce que surveillés par la police.
En vertu des lois raciales de juillet et d’octobre 1940, il ne put être reconduit dans ses fonctions d’instituteur et gagna sa vie en donnant des leçons particulières et des cours par correspondance. Il continua, comme il put, ses études mais son inscription en Faculté et la fréquentation de celle-ci lui servirent surtout à recruter des étudiants. « Pour gagner quelque argent, se souvient Jean Bouvier, il se fit, avec son frère, tailleur en imperméables et blousons. Dès la fin de l’été 1940, Joannès Chabert (voir ce nom) qui avait succédé à Antoine Dutrievoz à la tête de la direction clandestine régionale du PC l’avait chargé de reconstituer les JC et il devint le régional mis à la disposition des responsables de la zone sud des JC, V. Joannès, P. Casteur, L. Dorland dès leur arrivée à Lyon.
Reconstruire les JC n’était pas aisé — et c’est avec ce que cela avait de répétitif, de décourageant, de dangereux, la tâche essentielle de D. Grünblatt pendant toute la guerre, dans les différents secteurs où il fut successivement affecté par la direction des JC. Des différences intervinrent cependant dans ses activités, de 1940 à 1944, liées surtout à l’évolution du contexte politique.
En 1940, les tâches militantes se faisaient de façon quasi-ouverte : les militants connaissaient les noms et adresse de leurs camarades, ce qui favorisa les arrestations en chaîne. Parmi les tâches plus spécifiquement attribuées à D. Grünblatt, outre le recrutement, citons la recherche de cachettes pour les militants déjà clandestins, la réintégration dans l’organisation de militants qui avaient dû fuir leur région, la collecte de fonds et la mise sur pied d’une imprimerie clandestine. C’est dans cette imprimerie que vit le jour le premier tract antipétainiste des JC de Lyon : une poignée de jeunes communistes, dont David faisait partie, le diffusa lors de la grande manifestation qui eut lieu devant la préfecture du Rhône — à la Croix Rousse — pour saluer la venue à Lyon le 18 novembre 1940, du « Sauveur », le maréchal Pétain. Cette première action publique de contre-propagande des JC se fit de manière astucieuse, grâce aux idées de Fredo (le Colonel Fabien) : paquets de tracts lancés du haut d’un pont sur des voitures officielles, banderoles antipétainistes accrochées sur des tramways, etc. Mais les idées des JC étaient loin d’être partagées par la population lyonnaise.
C’est à l’occasion de l’impression d’un numéro de l’Avant-Garde, organe des JC pour le 1er Mai 1942, que David Grünblatt, qui avait pris le pseudonyme de Moulin, échappa de peu à une arrestation car la police, alertée par un vol qui avait eu lieu dans une rue voisine, découvrit par hasard l’imprimerie : une partie de la rédaction (Bailly, Gervais voir ces noms) déférée devant le tribunal militaire de Lyon, fut condamnée à dix ans de travaux forcés.
S’ouvrit alors une sorte de parenthèse dans la vie du militant car il fut appelé aux Chantiers de Jeunesse. Il aurait pu, déjà clandestin, s’enfoncer davantage dans cette voie pour échapper à l’appel. Il semble, à la lecture de ses notes (« on m’a demandé de partir ») que le Parti lui ait imposé le départ pour les Chantiers, sans pour autant lui assigner une tâche précise, ni au moment de son départ, ni lors de ses permissions où il vit ses camarades des JC. Pourtant son passage par les Chantiers lui valut deux sanctions :
— l’une du PC qui lui reprocha à son retour, après lecture de son rapport sur les Chantiers et les possibilités de propagande en leur sein, d’avoir sous-estimé la marge de manoeuvre militante quand il y était... alors que rien ne lui avait jamais été demandé ;
— l’autre de la direction des Chantiers de Jeunesse : il fut sur le point d’entrer, par un cheminement normal, à l’École des Cadres des Chantiers quand un responsable le convoqua pour lui annoncer son renvoi sans lui en préciser le motif exact (juif ? communiste ?). Un rapport, émanant des chantiers et envoyé à Lyon, le signala comme dangereux pour la « Révolution nationale », ce qui lui valut la visite de la police dès son retour chez sa mère en juin 1942. Il quitta alors son domicile, les consignes de sécurité devenant plus strictes.
« Au retour de nos huit mois de Chantiers, témoigne Jean Bouvier, il décida d’arrêter ses études. Il avait acquis exactement les trois quarts de la licence de lettres. Il me fit la joie et l’honneur de me désigner pour le remplacer comme responsable des étudiants communistes de la Faculté. »
Il connut à Lyon le début de la période des sabotages, l’organisation de la lutte armée et les nombreux débats qu’elle suscita : certains militants prêchant la fraternisation avec les Allemands. Il gagna sa vie comme employé dans une banque à Lyon, la CNEP (Comptoir national d’Escompte de Paris) où, a-t-il écrit, « on accepte sinon protège les Juifs ».
C’est à la suite de l’occupation de la zone Sud par les Allemands qu’il quitta Lyon en décembre 1942, pour Toulouse où il mena, sous le pseudonyme de Guibard, la vie d’un militant clandestin. Il fut promu responsable interrégional des JC coiffant six départements (Hautes et Basses-Pyrénées, Ariège, Tarn-et-Garonne, Lot-et-Garonne, Haute-Garonne).
Recommencèrent alors les tâches de prospection et de recrutement dans une zone complètement désorganisée, marquée par des arrestations récentes. La nouveauté était que son travail de recrutement se faisait essentiellement à partir d’autobiographies écrites et de questionnaires chiffrés qu’il transmettait, si nécessaire, à la direction.
Il sélectionnait de plus, au sein des JC, des militants jugés aptes à passer aux FTP (comme preuve de leur détermination, ils devaient exécuter un Allemand, récupérer son arme et venir lui rendre compte de leur action). Il put aussi grâce à Jacques Dreyfus, prendre contact avec les organisations gaullistes et il contribua à la transformation des FUJ en FUJP. Cependant, la répression s’accentuant, lui-même échappa de peu à une arrestation en se rendant à un rendez-vous avec un responsable que les Allemands venaient d’appréhender. Il se cacha quelques semaines à Montauban.
En octobre 1943, il fut affecté à Grenoble, complètement désorganisée par de très nombreuses arrestations. Il y fut nommé responsable régional seulement chargé une fois de plus de reconstruire la JC décimée. Malgré le nouveau mode de fonctionnement adopté — travail en triangle — les consignes de sécurité étaient, selon David, mal respectées, même par les responsables. Pour sa part, il milita avec Masson, futur collaborateur de Le Corbusier et Kioulou, déporté en novembre 1943. Il fréquenta la Faculté uniquement pour des raisons militantes, n’ayant plus de temps pour étudier.
La répression s’intensifia encore, les rafles étaient nombreuses mais la population aidait souvent les Résistants et D. Grünblat échappa, une fois de plus, à une arrestation. En janvier 1944, trop connu à Grenoble, il fut envoyé à Marseille avec des responsabilités accrues : nommé responsable interrégional, il fut chargé de réorganiser les Bouches-du-Rhône, le Var, les Alpes-Maritimes. Il trouva à Marseille un imbroglio d’organisations clandestines. Plusieurs prétendaient représenter le PC, notamment le groupe Pastor et elles se soupçonnaient les unes les autres d’être noyautées par la police. Les tâches de Grünblatt étaient plus nombreuses que précédemment. S’il devait toujours recruter des militants pour les JC et les organiser — ce à quoi il réussit pleinement puisqu’en juin 1944, il se trouvait à la tête de 1 500 militants — il impulsa avec d’autres camarades, des grèves et des sabotages. Le point culminant de cette période fut la grève générale du 26 mai 1944 qui paralysa toute la ville. Les militants, ceux des JC notamment, tentèrent en vain de transformer cette grève du pain en grève insurrectionnelle pour créer un second front...
Le bombardement allié qui survint le 27 mai 1944 modifia complètement l’esprit de la population gravement atteinte et qui, par réaction, devint hostile aux Américains. Les JC connaissaient aussi des difficultés internes et leurs militants passaient en grand nombre aux FTP. Par ailleurs le manque d’armes faisait problème. Enfin la lutte pour le contrôle des FUJP créait des tensions sérieuses avec les organisations gaullistes.
Au moment du débarquement, les différentes organisations résistantes, notamment les JC, eurent bien du mal à contenir certains débordements de la population (pillages de magasins...). Mais la presse des JC put reparaître officiellement et D. Grünblatt édita régulièrement Jeune Provence, dans lequel il écrivait et, avec lui, quinze permanents entretenus par l’organisation.
David repassa à Lyon en août 1944 et apprit que sa mère, internée à Montluc puis à Drancy, avait été déportée à Auschwitz et y était morte en septembre 1943. Il fut appelé à Paris en octobre 1944 comme rédacteur de L’Avant-Garde, organe des JC. Il reprit alors le pseudonyme de Marcel Verfeuil sous lequel il signait ses articles et par lequel il se faisait appeler à l’intérieur du Parti. Il quitta ce poste en mai 1945. Il trouva alors un travail alimentaire dans un journal sportif du groupe Vaillant, Miroir Sprint puis fut employé deux ans à l’Union de la Jeunesse communiste de France. Il milita activement et fut, avec M. Debonne et R. Moreu, à l’initiative du premier almanach des JC.
Cette période (1945-1957), comme l’indiqua David Grünblatt beaucoup plus tard (1985) le laissa sur le moment, insatisfait ; ayant connu, dans sa jeunesse, les réunions animées du Parti à Lyon, il trouvait les réunions de Paris et de banlieue mornes car l’esprit critique était trop mis en veilleuse, les militants trop passifs. En août 1947, il repartit à Lyon, nommé chef des informations locales à La Voix du Peuple dont il devint rédacteur en chef en avril 1948. Membre du bureau de la Fédération du PCF du Rhône, il fut tout particulièrement chargé de conseiller et d’aider le collectif de militants qui animait les cellules d’étudiants lyonnais. Jusqu’en décembre 1950, il écrivit dans La Voix du Peuple puis passa à la direction du journal La République comme rédacteur en chef. Il fut rappelé, en janvier 1952, à Paris, où le poste de directeur du service politique de l’Humanité lui fut confié ; il devint ensuite rédacteur en chef de l’Humanité-Dimanche et le demeura jusqu’en mars 1957.
André Stil voulut alors écarter Grünblatt de la direction de l’Humanité-Dimanche, sans doute pour des raisons politiques, et proposa donc la fusion de l’Humanité et de l’Humanité-Dimanche. Grünblatt refusa et fut alors démis de ses fonctions. Très affecté par cette sanction qui s’ajoutait aux questions qu’il se posait depuis le XXe congrès du PCUS et l’affaire hongroise, Grünblatt resta cependant au Parti, espérant que la ligne politique du Parti et celle de l’URSS allaient changer. L’estime qu’il portait aux militants de base l’amena à garder confiance dans la capacité du Parti à se régénérer. Mais sa foi dans le Parti était très fortement ébranlée.
« Muté » à la FNDIRP (Fédération nationale des déportés et résistants patriotes), il devint rédacteur en chef de son organe, Le Patriote Résistant pendant un an. Il suivait parallèlement des cours de comptabilité car il avait l’intention de quitter le journalisme.
Il entra, en mars 1959, à la Banque commerciale pour l’Europe du Nord (BCEN), banque soviétique à Paris, où il resta jusqu’à sa retraite en juin 1980. Simple employé au début, il occupa ensuite des postes de responsabilité à la Comptabilité, au Portefeuille, à la Trésorerie puis devint secrétaire général avant d’être nommé directeur du Contrôle et des Statistiques et enfin directeur de l’Organisation et Informatique. Sous sa direction, la BCEN fut l’une des toutes premières banques françaises à avoir dans les années 1968, un système informatique permettant la gestion de toutes les activités bancaires (« gestion intégrée ») et une mise à jour quotidienne du tableau de bord. Il fut à l’origine, dans les années 1975, de l’automatisation des télécommunications de la banque, presque entièrement réalisée en 1979-1980.
Passionné par l’informatisation de la Banque, David Grünblatt se lança, une fois de plus, dans le journalisme : il fut un des fondateurs de la revue Informatique et Gestion, en 1968, mensuel dont il fut rédacteur en chef pendant les deux premières années. Par ailleurs, il se considérait toujours comme un militant de base et continuait à vendre régulièrement l’Humanité-Dimanche à Champigny où il habitait.
En 1968, après les événements de Mai et l’invasion de la Tchécoslovaquie, il ne reprit pas sa carte du Parti mais s’abstint de manifester publiquement son départ du PC.
Dans l’allocution prononcée le jour de sa crémation, Jean Bouvier lui rendait ce bel hommage : « Lors de nos fréquentes rencontres dans les décennies soixante et soixante-dix, jouait entre nous un pacte tacite. Demeuré politiquement très proches l’un de l’autre, nous délaissions spontanément les débats du jour et tout particulièrement la vie du parti lui-même. Mais nous ne parlions que du parti ; celui de 1939/1944. David a été alors gagné par une sorte d’acharnement : reconstituer, par l’écrit et l’oral, ce passé-là. Nous confrontions nos souvenirs, nos documents, nos lectures. Il voulait écrire, se faire historien de lui-même et du Parti. Celui du temps des vraies épreuves de vérité. Il voulait revoir, comprendre et fixer comment et pourquoi, selon quelle exacte chronologie (et là il devenait historien), des communistes et bien d’autres Résistants avaient fait, les yeux ouverts, dans les certitudes, la détermination et comme dans une sombre joie, le choix de s’engager, exactement corps et âme, au temps des dangers. »
David Grünblatt a été marié à Janine Callame (son « courrier » à Marseille en 1944, décédée en 1951 ; il a eu d’elle deux enfants, Andrée et Gérard. Il a ensuite épousé Colette Morel, dont il a divorcé en 1963, après avoir eu d’elle une fille Catherine. Il s’est remarié avec Denise Lamartinie qui l’a soigné avec dévouement jusqu’à sa mort en 1985.
Par Catherine Grünblatt, Myriam Frajerman, Maurice Moissonnier
SOURCES : Rapports d’activité de mars à août 1944 (carbone des originaux). — Notes personnelles de David Grünblatt. — Entretiens enregistrés par Paul Gillet et Claude Angeli Debout, Partisans ! (Fayard, 1970). D. Grünblatt y figure sous le pseudonyme de Moulin. — Entretiens avec Myriam Frajerman (notes).