BERTRAND Noël, Joseph, Ghislain

Par Madeleine Singer

Né le 5 septembre 1902 à Marpent (Nord), mort le 27 février 1991 à Marpent ; ajusteur en mécanique ; permanent CFTC ; fondateur de la CFTC dans le bassin de la Sambre.

[Arch. privées Madeleine Singer]

Noël Bertrand était l’aîné des quatre enfants de Constant Bertrand, maréchal ferrant, qui avait épousé Aimée, Marie, Louise Frère. Tous deux étaient catholiques et pratiquaient régulièrement leur religion, la mère plus que le père qui, forgeron de village, n’avait pas beaucoup de temps pour aller à la messe. Noël Bertrand fréquenta l’école primaire publique de Marpent, passa le certificat d’études primaires, fit sa communion solennelle, puis poursuivit pendant trois ans sa formation à l’École supérieure professionnelle de Morlanwetz (Belgique) où il obtint le CAP (certificat d’aptitude professionnelle) de dessinateur et le brevet professionnel d’ajusteur. Il en sortit en 1919 et travailla avec son père jusqu’à son départ au service militaire en 1922. À son retour, il fut embauché comme ajusteur chez FACEJ, à Jeumont (Nord) ; entreprise de construction électrique qui avait alors 3 000 salariés. Il se maria en décembre 1925 avec Élise Leclers qui militait à la Ligue féminine d’action catholique. Tous deux habitèrent d’abord chez les parents de celle-ci, puis en 1932 louèrent une maison à Jeumont où N. Bertrand travaillait.

En 1935, il devint le premier permanent CFTC du bassin de la Sambre. Il avait, dit-il, été désigné par ses copains sans être volontaire. Le bureau CFTC se trouvait alors à Sous-le-Bois, faubourg de Maubeuge. N. Bertrand habitait à Jeumont, à douze kilomètres de Sous-le-Bois. Mobilisé en 1939, fait prisonnier, il profita d’une loi libérant fin 1940 les pères de plus de quatre enfants. Il rejoignit alors son épouse qui, avec ses cinq enfants, avait été évacuée à Gourdon (Lot). Quand ils purent rentrer dans le Nord, il travailla comme professeur d’ajustage dans une école d’apprentissage privée à Louvroil (Nord) jusqu’à la Libération. Il reprit son poste de permanent lors de la reconstitution de l’organisation syndicale. Mais le métier de permanent était très pénible pour lui comme pour sa femme ; il ne savait jamais à quelle heure il allait rentrer chez lui. Celle-ci était très compréhensive malgré la charge des cinq enfants et le fait qu’elle devait s’occuper particulièrement des plus jeunes. Noël Bertrand souhaita donc en 1947 reprendre une activité professionnelle et fut embauché comme ajusteur-outilleur P3 dans l’entreprise Baume à Marpent, laquelle avait 2 000 salariés. Il y prit sa retraite en 1967. Le couple résidait dans cette localité depuis qu’en 1937, ils étaient venus habiter chez la mère d’Élise qui avait perdu son mari, maison dont ils héritèrent après la mort de celle-ci en 1956. Ils avaient eu huit enfants : trois filles qui se consacrèrent à leur foyer ; cinq fils : un tourneur, un technicien d’emboutissage, deux directeurs de ressources humaines (DRH), un responsable de ressources humaines (RRH), lequel est l’adjoint d’un DRH.

Dans sa jeunesse, Noël Bertrand avait participé aux cercles d’études de l’ACJF (Association catholique de la jeunesse française), la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) n’étant pas encore née. La CFTC commençait alors à s’implanter dans la région. N. Bertrand rapporta à Christine Bard qu’à la fin des années 1920, Victor Hannecart avait créé une section locale interprofessionnelle à Marpent, rattachée à Lille (Nord), qui se limitait à l’organisation de cercles d’études. En 1927, N. Bertrand adhéra à la CFTC. « Il ne fallait pas me parler de la CGT. J’étais un petit chrétien idéaliste et je n’aurais pas voulu adhérer à quelque chose qui était contre la religion ». Quand il devint permanent, il y avait une douzaine de sections : Recquignies, Jeumont, Marpent, Ferrière-la-Grande, Hautmont, Aulnoye, Fourmies, ainsi qu’un syndicat de cheminots. Les syndicats qui dominaient, c’étaient ceux de la métallurgie, du textile, des cheminots ; à Landrecies (Nord) et à Fourmies, c’était plutôt chez les employés où la CFTC était influente, tandis qu’en milieu ouvrier, elle était très minoritaire. Elle comptait pourtant parmi ses adhérents, des athées, des communistes, parce que ceux-ci estimaient que la CFTC était le syndicat le plus indépendant.

Aussitôt permanent, Noël Bertrand eut à affronter la grève de 1935 à l’Espérance (Usinor-Louvroil). Il y accueillit les dirigeants nationaux de la CFTC, Marcel Poimbeuf*, Jean Pérès* ainsi que Charlemagne Broutin*, secrétaire général de l’Union régionale CFTC du Nord de la France. En 1936, les usines furent occupées en attendant que la Chambre patronale acceptât de discuter le cahier de revendications qui avait été élaboré. Le nombre d’adhérents de la CFTC fut, selon Noël Bertrand, multiplié par huit, bien qu’il y eût à la CGT des militants mieux formés, des anciens qui avaient des responsabilités, tandis que « nous, nous entrions seulement dans l’action syndicale ». Si Noël Bertrand ne fut pas le premier adhérent CFTC dans la région, l’importance de son action en fit le fondateur de la CFTC dans le bassin de la Sambre.

Quand il reprit le travail en 1947, il poursuivit l’action syndicale sous une autre forme. Élu dans son entreprise délégué du personnel et membre du comité d’entreprise, il conserva ces fonctions jusqu’à la retraite. Il eut à faire face aux remous provoqués par le congrès confédéral extraordinaire de novembre 1964 au cours duquel la CFTC se transforma en CFDT. Si dans le Nord et le Pas-de-Calais, il y eut des scissionnistes, notamment des mineurs qui demeurèrent CFTC, ce ne fut pas le cas dans le sud du département du Nord. Noël Bertrand avait un préjugé favorable dès le début car le C (chrétien) empêchait certaines adhésions. Aussi contribua-t-il à maintenir dans le secteur de Maubeuge « une unité presque complète ». Il ne se cantonna d’ailleurs pas dans une action locale car il assista régulièrement, semble-t-il, aux congrès de l’Union départementale (UD) CFTC-CFDT du Nord : son nom figure en effet sur les listes de participants aux congrès de 1951 et de 1956, les seules que nous ayons retrouvées pour la période 1946-1970. Mais selon M.-F.Talon il avait assisté en 1935, 1936, 1937, 1938, 1945, 1946, 1947 aux congrès régionaux ; en outre il avait également assisté aux congrès nationaux de 1935 à 1947.

Après la Seonce Guerre mondiale, il fit partie de l’Association des familles de Marpent et en fut le président pendant quelques années. Il s’engagea également dans l’Action catholique ouvrière (ACO) lorsque celle-ci s’organisa en 1950 et y demeura assez longtemps. Quand il fut libéré de sa charge de permanent, il participa aussi aux activités théâtrales d’une société de Marpent, dite La Renaissance, qui subsista jusque 1956-1957.

Sur le plan politique, il avait adhéré en 1938 au Parti démocrate populaire (PDP), il fut membre ensuite de la Jeune République, et milita quelques mois au Résistant d’inspiration chrétienne avant sa transformation en MRP. Il représenta sans succès ce parti à diverses consultations électorales : législatives de 1951, municipales de Marpent (Nord) en 1953 et cantonales de 1958 (canton de Maubeuge-sud) ; il rejoignit par la suite le Centre démocrate de Jean Lecanuet qui se constitua pour les législatives de 1967 avec notamment le MRP et le Centre national des indépendants.

Quand il fut à la retraite, Noël Bertrand adhéra au syndicat CFDT des retraités, sans y prendre de responsabilités. Il militait au comité communal du troisième âge et, en liaison avec la municipalité, organisait des opérations telles que ramassage du verre afin d’alimenter une caisse permettant de venir en aide aux « anciens » dans la nécessité. Ainsi tant qu’il en eut la force, Noël Bertrand ne cessa de se dépenser pour les autres. Il avait eu la médaille de l’Ordre national du mérite.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16548, notice BERTRAND Noël, Joseph, Ghislain par Madeleine Singer, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 4 décembre 2008.

Par Madeleine Singer

[Arch. privées Madeleine Singer]

SOURCES : Christine Bard, Paroles de militants, Association 1884-1984, Lille, 1990. — Comptes rendus des congrès de l’UD du Nord (1946-1970), CAMT, Roubaix. — M.-F. Talon, mémoire de maîtrise, Lille III, 1974. — Lettres de Paul Bertrand (un des fils) à M. Singer, 2001 (Arch. Gilbert Ryon). — État civil.

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