Par Michel Cordillot
Né à Paris (Xe arr.) le 30 juin 1831, mort à Aix-les-Bains (Savoie) le 1er juillet 1913, d’une crise d’urémie ; marié en 1872 ; père de deux enfants ; homme de lettres, pamphlétaire, journaliste ; arrêté après la Commune et déporté, il s’évada de la Nouvelle-Calédonie ; député (1885).
Un seul épisode de la vie de Rochefort vaut d’être rappelé ici, sa retentissante traversée des États-Unis que ses amis et lui effectuèrent en mai-juin 1874, à la suite de leur évasion du bagne de Nouvelle-Calédonie.
Condamné après la chute de la Commune, Rochefort fut envoyé à la presqu’île Ducos lorsque Mac Mahon prit le pouvoir ; voisin de Louise Michel sur le bateau, il avait pour compagnons de déportation Amilcare Cipriani, Henry Bauer, Olivier Pain, Grousset, Champy, Caulet du Tayac, etc. Edmond Adam, le tuteur de ses enfants, put lui envoyer 25 000 F grâce auxquels fut organisée une évasion couronnée de succès dans la nuit du 20 mars 1874 ; en compagnie de cinq autres déportés, il réussit à gagner Sidney et Melbourne (avril), puis les États-Unis où il arriva au terme d’un voyage de deux mois.
Ayant débarqué incognito à San Francisco pour tromper la meute de journalistes qui l’attendait, Henri Rochefort fut bientôt repéré, suivi à la trace et harcelé durant toute la durée du voyage en chemin de fer qui l’emmenait à New York (7 jours). Il accepta finalement de donner une interview exclusive au New York Herald, qui fut publiée simultanément en français et en anglais le 31 mai 1874, jour de son arrivée à New York, et qui s’arracha aussi bien à Paris (la police ayant tardé à réagir) qu’à New York. Le ton en était plutôt modéré : « La Commune a été, comme les pouvoirs nés d’une insurrection, un gouvernement de fait » ; eût-elle su faire preuve d’un plus grand esprit de conciliation, « la démocratie n’aurait pas perdu 35 000 de ses meilleurs soldats, massacrés au nom de la République. »
Outre avoir fait rire les Parisiens aux dépens du gouvernement, le principal résultat de la publication de ce texte fut d’amener la presse américaine et une partie de l’opinion publique à reconsidérer les événements de la Commune.
Fêté par les socialistes franco-américains (il fut hébergé à New York chez Claude Pelletier), Rochefort donna début juin une conférence à l’Académie de musique à New York sous la présidence de John Swinton qui fit salle comble. Le bénéfice de cette soirée, soit 722 dollars 25, fut consacré à soulager la détresse des déportés de Nouvelle-Calédonie. Cette conférence marqua aussi le point de départ d’une souscription nationale au bénéfice des communards déportés et emprisonnés. Le texte en fut aussitôt publié à New York par l’imprimerie du Messager Franco-Américain, ainsi qu’en Angleterre et à Genève.
Rochefort publia également, sous le titre Un coin du voile. Aperçu des événements de Paris une brève analyse de la Commune, et il donna au Bulletin de l’Union républicaine un article exaltant Louise Michel (16 juin 1874). Durant son séjour à New York, il eut de nombreux contacts avec des délégations ouvrières et avec des représentants des insurgés cubains. Il reçut enfin la visite, alors même qu’il se trouvait déjà sur le bateau qui devait l’emmener en Angleterre, du Fenian O’Donovan Rossa, qui le remercia de lui avoir sauvé la vie en publiant des articles sur lui en 1870 dans La Marseillaise (lesquels articles avaient en fait été écrits par Jenny Marx avec l’aide de son père Karl).
Rochefort gagna Londres peu après. Il y reprit la publication de La Lanterne, toujours très crainte et dont un policier a dit que son danger résidait en ce qu’elle reflétait la pensée du monde ouvrier français. Rochefort lança également dans Les Droits de l’Homme le mot « opportuniste » appliqué à « celui qui vote l’amnistie en temps opportun ». Il était lié d’amitié avec Eudes qui le dit « remarquable par ses qualités d’homme d’action et d’entraîneur de foules », et le nomma tuteur de ses enfants ; lié à Jules Vallès également, au point de prononcer plus tard son éloge funèbre.
L’amnistie acquise, l’arrivée de Rochefort à Paris, le 14 juillet 1880, déchaîna une manifestation quasi révolutionnaire. Il fonda L’Intransigeant et fut élu député de Paris en 1885 ; il se rallia par la suite eu boulangisme et fut violemment antidreyfusard et antisémite.
Par Michel Cordillot
SOURCES : Arch. Min. Guerre, 3e conseil ; Arch. PPo., Ba/1245 ; Arch. Grand-Orient (Bibl. Nat.), Cote 1632, vol. III ; Rochefort, Les Aventures de ma vie, Paris, Dupont, 1896-98, 5 vols et De Nouméa en Europe, Paris, Martinon, sd ; Olivier Pain, Henri Rochefort, Paris, Périnet, [1879] ; Jules Destrem, Rochefort et la Commune, Paris, 1871, 15 p ; Alexandre Zévaès, Henri Rochefort, le pamphlétaire, Paris, 1946 ; Michel Cordillot, « La proscription communaliste aux États-Unis (1871-1880) », in Ronald Creagh (dir.), Les Français des États-Unis d’hier à aujourd’hui, Montpellier, Éditions espaces 34, 1994, p. 333-352.