RONDEAU Alfred, Éloi

Par Joël Drogland

Né le 1er décembre 1891 à Voisines (Yonne), fusillé le 28 octobre 1943, après condamnation à mort par le tribunal militaire allemand d’Auxerre, au champ de tir d’Egriselles, commune de Venoy (Yonne) ; cultivateur, maire de La Chapelle-sur-Oreuse (Yonne) ; résistant, membre du mouvement Ceux de la Libération et du Front national.

Fils de Jules Rondeau et d’Amélie Bréard, cultivateurs, Alfred Rondeau naquit le 1er décembre 1891 à Voisines, à quelques kilomètres au nord-est de Sens. Il fut élève de l’École d’agriculture de la Brosse-Venoy (Yonne), avec comme objectif la carrière de vétérinaire, mais la guerre contraria ce projet. Après son service militaire, il fit la Grande Guerre, qu’il termina décoré de la Croix de guerre, avec le grade d’adjudant. Il épousa le 15 septembre 1920 à La Chapelle-sur-Oreuse une jeune fille de ce village, Yvonne Trahot, dont il eut deux enfants.
Responsable agricole à plusieurs titres, il devint maire de la Chapelle-sur-Oreuse en 1926. Il exploitait une ferme au hameau de Hollard et jouissait de l’estime générale. Le contenu de ses discours, en particulier ceux prononcés chaque 11 novembre devant le monument aux morts, révèle un homme de gauche, profondément pacifiste et républicain, convaincu des vertus de la concertation entre les nations. La famille entière possédait un grand esprit d’ouverture et sa ferme était un lieu d’accueil pour tous. Dans un document personnel de surveillance politique des maires et de leurs adjoints, Stéphane Leuret, sous-préfet collaborationniste de l’arrondissement de Sens pendant l’Occupation, considérait Alfred Rondeau comme un homme « intelligent » mais « dangereux » dans la mesure où il avait été, selon lui, « un élément très agissant du Front populaire ». Sur l’échelle des degrés de confiance à accorder aux maires et établie par ses soins, la cote d’Alfred Rondeau était au plus bas.
Patriote, Alfred Rondeau s’impliqua immédiatement et totalement dans la Résistance. Elle n’était pas pour lui un engagement politique : il adhéra à Ceux de la Libération, mais aussi au Front national. Il connaissait très bien René Marault et Henri Bouleau qui étaient des militants du Front national du village voisin de Soucy. Il connaissait également Pannier qui habitait Jouancy, hameau de Soucy, et qui était l’adjoint du colonel Mathis, organisateur du groupe sénonais de Ceux de la Libération, mouvement qui fournit ses cadres au BOA quand il s’implanta dans le Sénonais au printemps 1943. Son fils Roger partageait ses activités de résistance.
Alfred Rondeau hébergeait des résistants membres des FTP. Sa ferme servit aussi à entreposer des armes qui venaient du dépôt de Michery, dépôt constitué par le réseau Jean-Marie Buckmaster et dont Marc Bizot avait la garde. C’est dans la ferme de Rondeau que se cachèrent en septembre 1943 les membres du Groupe d’action immédiate des FTP.
Le 22 septembre 1943, ce groupe quitta la ferme d’Alfred Rondeau pour effectuer le soir même un sabotage contre l’usine de filets de camouflage de La Mousse à Sens. Dans l’après-midi, les frères Jean et Lucien Paquet, membres du groupe, furent interpellés alors qu’ils étaient chez un coiffeur de Sens. Les Feldgendarmes devaient être renseignés car ils ne demandèrent leurs papiers qu’aux deux FTP. Ces derniers ouvrirent le feu. Trois Feldgendarmes furent tués, ainsi que Lucien Paquet. Jean Paquet parvint à s’enfuir.
Le soir du 22 septembre, vers 22h 30, arrivant en camion, commandés par un sous-officier en tenue civile, une quinzaine de Feldgendarmes investirent la ferme de Hollard. Quatorze personnes étaient réunies autour de la table car on avait vendangé l’après-midi. Un homme qui tenta d’esquisser un mouvement fut abattu ; il s’agissait d’un réfractaire au STO, Jacques Brun, hébergé à la ferme. Alfred Rondeau fut arrêté ainsi que son épouse, sa fille, son fils Roger, une nièce, un camarade de son fils et quatre ouvriers agricoles. Cette arrestation est à mettre en rapport avec les événements qui s’étaient déroulés l’après-midi chez le coiffeur de Sens. Plusieurs faits attestent que les deux événements sont liés mais aucun document ne nous permet de l’expliquer avec certitude.
Alfred Rondeau fut interrogé et torturé à la Feldgendarmerie de Sens, à l’Hôtel de Paris, dans la nuit du 22 au 23 septembre 1943. Il fut ensuite détenu à la prison de Sens puis transféré à la prison d’Auxerre. Les Allemands étaient bien renseignés sur les faits qui s’étaient déroulés depuis l’arrivée du groupe FTP à la ferme. La culpabilité de Rondeau fut considérée par eux comme totale : « Au cours de l’instruction, tous les prévenus, à l’exception de M. Rondeau et d’Yves Genevois, ont reconnu qu’ils savaient que ces inconnus possédaient des armes ». « Alfred Rondeau aurait dû le signaler immédiatement. Au contraire, il a hébergé ces détenteurs d’armes, en sa qualité de maire, il n’a pas trouvé nécessaire d’avertir les autorités de cette détention d’armes. Par sa coupable omission, il est arrivé qu’à cause du groupe terroriste qu’il a hébergé et nourri, trois Feldgendarmes ont été abattus à la mitraillette le 22 septembre de cette année à Sens. La seule punition appropriée dans ce cas est donc la peine de mort ».
Les pièces jointes au dossier du tribunal militaire allemand d’Auxerre nous apprennent aussi que des collaborationnistes proches d’Alfred Rondeau (en particulier un neveu, qui fut abattu par la Résistance au printemps 1944) intervinrent auprès des autorités judiciaires françaises pour qu’elles intercèdent auprès des Allemands afin obtenir que Rondeau ne soit pas fusillé et que les peines des autres condamnés soient amoindries. De Brinon rédigea une note verbale le 11 novembre 1943, soit après l’exécution de Rondeau le 28 octobre, pour que Mme Rondeau et le jeune Catin-Vidal voient leurs peines allégées. Sa fille et l’ami de son fils furent libérés quatre jours plus tard. Mme Rondeau et un ouvrier agricole furent libérés après trois mois de détention à la prison d’Auxerre. Les trois autres ouvriers agricoles ainsi que Roger Rondeau furent déportés.
Le nom d’Alfred Rondeau est inscrit sur le monument aux morts de La Chapelle-sur-Oreuse, sur celui de Voisines, sur le monument des déportés et fusillés de l’Yonne à Auxerre, et sur le monument aux fusillés d’Égriselles, commune de Venoy. La rue principale du hameau de Hollard, commune de La Chapelle-sur-Oreuse, porte son nom.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article165700, notice RONDEAU Alfred, Éloi par Joël Drogland, version mise en ligne le 14 octobre 2014, dernière modification le 29 mai 2020.

Par Joël Drogland

SOURCES : AVCC, Caen, B VIII 4, Liste S 1744 (Notes Thomas Pouty). — SHD, GR 28 P 85, dossiers du tribunal militaire d’Auxerre (dossier Rondeau). — Archives départementales de l’Yonne, 1 W 102, 1 W 151 et 1 W 171. Archives municipales de La Chapelle-sur-Oreuse. — Témoignage de Roger Pruneau, ami de Roger Rondeau et membre de son groupe (1994). Témoignage de Gisèle Rondeau, veuve de Roger Rondeau (1995). Témoignage de Maurice Berdou, ami de Roger Rondeau, membre de son groupe, présent lors de l’arrestation d’Alfred Rondeau (1995). Témoignage de Jean Léger, ami de Roger Rondeau, membre de son groupe, arrêté le 25 novembre 1943, déporté (1995). — Delasselle Claude, Les fusillés de l’Yonne 1940-1944, in Yonne Mémoire n° 35 (mai 2016). Drogland Joël, Histoire de la Résistance sénonaise, 2e édition, ARORY, Auxerre, 1998. — Mémorial GenWeb.

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