Par Lynda Khayat
Né le 10 septembre 1908 à Lódz (Pologne), mort le 26 novembre 1964 à Paris ; tailleur pour dames ; avant la guerre, militant syndicaliste de l’habillement et membre de la sous-section juive de la MOI du PCF ; résistant communiste, arrêté le 3 juillet 1943 par des inspecteurs de la brigade spéciale, incarcéré à la prison de Fresnes, puis interné à Drancy, déporté à Auschwitz le 7 octobre 1943 ; après la guerre, permanent du groupe juif de la MOI, militant de l’UJRE.
Fils d’une famille juive polonaise de quatre enfants, dont le père était ouvrier boulanger et la mère s’occupait des soins du ménage, Abram Besserman possédait une instruction élémentaire, parlait et écrivait le polonais et le yiddish, ainsi que le français, tout en maîtrisant l’allemand. Tandis que ses parents Itzec et Zmirla Besserman née Goldmann étaient tous deux sympathisants communistes, il rejoignit en 1924 les organisations de jeunesse de ce parti et le mouvement syndical de Lódz, sa ville natale. Ouvrier tailleur de métier, il quitta la Pologne en 1929, en raison de son activité politique, faute également, selon ses dires, de pouvoir trouver un travail et gagna le Luxembourg.
Un an plus tard, il s’installa en France, dans la ville de Metz, où il rejoignit les rangs du PCF. Abram Besserman alias Grunberg, propagandiste révolutionnaire très influent dans les milieux communistes juifs polonais, notamment au sein de la Kultur Liga de cette localité, était étroitement surveillé dès janvier 1931 par les services de police, qui le considéraient « en cas de troubles sociaux ou même seulement de période agitée, [...] [comme] [...] un meneur très dangereux pour le maintien de l’ordre public ». Vivant en situation irrégulière, il fut l’objet, en avril 1931, d’une première mesure de refoulement.
Quelques mois plus tard, le 8 août, il fut arrêté en France, près de la frontière luxembourgeoise, par la brigade de gendarmerie d’Audun-le-Tiche (Moselle), trouvé porteur d’exemplaires du journal interdit Jedno-Robotnicza, L’Unité ouvrière, qu’il s’apprêtait à vendre au cours d’une réunion organisée dans un café de la ville pour protester contre l’arrestation de deux militants étrangers à la suite de la manifestation du 1er août 1931 à Villerupt (Meurthe-et-Moselle). Sans domicile fixe, considéré comme nomade, en application de l’article 7 de la loi du 16 juillet 1912, il fut contraint de verser un cautionnement entre les mains du maire de cette localité, puis fut présenté au procureur de la République de la ville, qui décida de le relaxer, afin qu’il soit refoulé du territoire français.
Quelques jours plus tard, il fut de nouveau arrêté à Metz et conduit au commissariat central, en compagnie du militant communiste roumain Adolphe Neumann, membre du SRI, au moment où ils quittaient tous deux l’immeuble de « l’Imprimerie populaire ». Considéré par les services de police comme « un militant communiste très actif qui fréquemment revient sur notre territoire par des "passages illégaux" en compagnie le plus souvent d’autres étrangers, indésirables ou expulsés », il fut refoulé une nouvelle fois, le 14 août 1931, vers le Luxembourg. Pour mettre un terme à cette situation, un arrêté d’expulsion fut pris, le 26 septembre suivant, sans qu’il puisse lui être notifié, les recherches entamées par les services de police pour le retrouver demeurant vaines.
Réfugié à Paris, il vivait clandestinement, travaillant sans autorisation comme tailleur pour dames. Il habitait dans le 20e arr. auprès de sa compagne et compatriote Rajzla Ryndchorn dite Rose (née le 16 juillet 1907 à Pinczow), immigrée juive polonaise originaire de Lódz, arrivée en France en 1932, couturière de profession, dont le père appartenait en Pologne au Parti communiste. De cette union naquit, le 14 février 1934, un premier enfant, Robert, de nationalité française par déclaration. Membre du bureau de la cellule communiste de son quartier, militant de la Commission intersyndicale juive de la CGTU, puis de la CGT, Abram Besserman occupa des responsabilités au sein de la direction du syndicat de l’habillement jusqu’au déclenchement de la guerre.
En février 1937, hébergé officiellement quelque temps à Joinville-le-Pont (5 rue du Canal) chez Robert Deloche*, ancien trésorier adjoint du syndicat unitaire des ouvriers fourreurs en confection de la Seine, il sollicita auprès des services de la Préfecture, une carte d’identité, afin de voir sa situation régularisée. Un sursis de départ lui fut accordé, afin qu’une enquête de police soit diligentée. Le conseiller général de la Seine et député socialiste Gaston Allemane* intervint en la faveur d’Abram Besserman, auprès du cabinet du Ministre de l’Intérieur, afin d’éviter qu’une nouvelle mesure de refoulement soit prise à son égard. En mars 1937, alors qu’il résidait officiellement à Stains, avenue du Bel Air, notification lui fut faite de la mesure d’expulsion prise antérieurement contre lui par le préfet de Moselle. Invité à justifier de sa qualité de réfugié politique dont il se réclamait, il produisit une lettre d’Émile Bureau_, secrétaire du Secours populaire français, l’attestant. Les services du Cabinet du Ministre de l’Intérieur décidèrent en juin 1937, contre l’avis de la Préfecture de police, d’accorder à Abram Besserman une autorisation de séjour de trois mois, à titre d’essai, sursis renouvelable dans les conditions prévues par la circulaire n°64 du 25 mars 1936. En juin 1937, c’est au tour de l’Union des syndicats ouvriers de la région parisienne de la CGT d’intervenir en sa faveur pour qu’un titre de séjour lui soit accordé. Habitant alors avec sa famille rue des Pyrénées dans le 20e arr. de Paris, il bénéficia de sursis trimestriels qui furent régulièrement renouvelés. Ayant obtenu en juillet 1937, une autorisation de travail, il fut employé successivement comme tailleur pour dames aux Entreprises Sylvain, Bd Bonne Nouvelle, puis à la Maison Zaygelbaum, rue Traversière. En août 1939, des autorisations semestrielles de séjour renouvelables semblaient pouvoir lui être accordées. Avant de s’engager comme volontaire dans l’armée française, il sollicita auprès du ministère de la Justice l’autorisation de se marier avec sa compagne, car démuni d’une carte d’étranger à validité normale, le maire du 20e arr. ne pouvait célébrer ce mariage, sans en avoir au préalablement reçu l’accord. Cette union fut contractée le 4 octobre 1939, date à laquelle il fut affecté au 12e RMVE au camp militaire de Valbonne (Ain).
Après la dissolution du PCF en septembre 1939, resté en relation avec ses camarades jusqu’à sa mobilisation, il perdit le contact avec le Parti communiste clandestin en mars 1940, quand il prit part aux combats sur la Meuse, au cours desquels il fut blessé et cité deux fois pour sa bravoure. Fait prisonnier, il fut soigné d’abord à Meaux et à partir d’octobre 1940 à l’hôpital militaire Villemin à Paris. Libéré le 21 avril 1941 en raison de son état de santé, il se réfugia alors dans la clandestinité, prit la fausse identité de Victor Pawlak et mit son fils en sécurité à la campagne. Il milita activement comme responsable syndical dans l’habillement et occupa la même fonction au sein de la sous-section juive de la MOI du Parti communiste jusqu’à son arrestation en juillet 1943.
En effet, pris en filature par des inspecteurs des brigades spéciales depuis le 24 juin 1943, il fut appréhendé le 3 juillet, dans le cadre d’un coup de filet mené contre l’organisation clandestine de la MOI, alors qu’il rejoignait son domicile illégal rue de Montreuil à Paris (11e arr.), où sa femme, agent de liaison, avait été arrêtée la veille. Conduit d’abord au commissariat de l’arrondissement, il fut emmené ensuite dans les locaux de la Préfecture de police pour un interrogatoire, au cours duquel il fut torturé, parce qu’il refusait de reconnaître sa participation à la résistance communiste.
Le 16 juillet 1943, il fut livré aux autorités allemandes et incarcéré à la prison de Fresnes. Sa femme fut transférée au camp de Drancy le 22 juillet, puis déportée à destination d’Auschwitz le 31. Quant à lui, il fut interné à Drancy le 18 septembre sur ordre des autorités allemandes. Là, il retrouva ses camarades arrêtés en même temps que lui et parvint à faire sortir du camp un rapport détaillé sur les circonstances de leurs arrestations. Ils préparèrent ensemble une évasion en creusant un tunnel, tentative avortée par leur déportation le 7 octobre 1943.
Au camp d’Auschwitz III (Buna-Monowitz), il fut employé comme manœuvre. Désigné par ses camarades pour établir une liaison avec les internés politiques polonais, il fut chargé également d’organiser en groupes de résistance les travailleurs français requis au titre du STO dans les usines de la Buna de l’IG Farben. Après quelques mois, dix groupes de trois furent formés, dont le travail clandestin consistait à mettre en relation les internés politiques avec l’extérieur et à effectuer des sabotages sur leur lieu de travail. Il participa également à la rédaction de tracts signés du Front national, distribués par les internés communistes aux ouvriers français travaillant avec eux dans les usines, les appelant à la lutte contre l’hitlérisme. Une liaison fut établie avec la Résistance polonaise extérieure au camp pour faciliter leur évasion, qui malgré plusieurs préparatifs ne put être réalisée. Pendant l’évacuation d’Auschwitz le 20 janvier 1945, grâce à leurs camarades polonais, lui et sept autres militants communistes dont Samuel Radzinski_ arrivèrent à s’échapper et gagnèrent la ville de Gleiwitz, où ils furent libérés le lendemain par l’avancée des troupes russes. Sa femme, quant à elle, fut délivrée par l’Armée rouge à Birkenau, le 27 janvier 1945 et rapatriée via Odessa à Marseille le 11 mai suivant. Avant son retour en France, Abram Besserman séjourna d’abord dans des camps aménagés par les autorités soviétiques pour les prisonniers français libérés, où nombre de déportés politiques communistes furent regroupés. Rapatrié à Paris fin juillet, il se rendit à la Préfecture de police le 17 septembre suivant, pour déposer plainte contre les inspecteurs, qui l’avaient arrêté et torturé. Il comparut à titre de témoin, à la fin du mois de novembre 1945, dans le procès de deux d’entre eux devant la Cour de justice de la Seine.
Il s’installa avec sa famille rue du Sénégal à Paris (20e arr.) et reprit son emploi d’ouvrier tailleur pour dames aux Entreprises Sylvain, Bd Bonne Nouvelle. L’arrêté d’expulsion, dont il avait été l’objet, fut rapporté le 29 mai 1946. De son union naquit un deuxième enfant, Henri, Lucien, le 23 novembre 1946 et la famille emménagea rue du faubourg Saint-Denis dans le 10e arrondissement. Il obtint la nationalité française ainsi que sa femme et le plus jeune de ses fils en septembre 1947, soutenu, semble-t-il, par une intervention du CADI. Bientôt, il rejoignit les organisations d’anciens combattants et de déportés juifs appartenant à la mouvance communiste et retrouva ses responsabilités syndicales parmi les ouvriers immigrés. Secrétaire de la Commission intersyndicale juive de la CGT, il occupa une fonction identique à la tête du syndicat de la confection pour dames de cette organisation. Permanent de la MOI du PCF en tant que membre de la Commission politique du groupe juif, il vint renforcer, en octobre 1949, la rédaction de la Naïe Presse, quotidien communiste en langue yiddish, remplacé alors à la tête de la Commission intersyndicale juive de la CGT par Jacques Lederman, ouvrier maroquinier. Responsable de l’UJRE, Abram Besserman comme sa femme appartenait à la cellule Magenta de la section du 10e arr. du PCF. Il retravailla ensuite dans la confection, en dernier lieu dans l’entreprise Wermes.
Décédé le 26 novembre 1964 à l’âge de cinquante-six ans, il fut enterré au cimetière de Bagneux dans la sépulture familiale.
Par Lynda Khayat
SOURCES : Arch. Nat. 19940508 art. 239 Fichier central de la Sûr. Nat. ; Dir. de la Sûr. Nat. 19940434 art. 315 dos. 26363 Besserman Abram (1931-1939) ; Natural. 19780015 art. 119 dos. 5262 X 47 Besserman Abram ; F 9 art. 5680 fichier du camp de Drancy ; Z 6 art. 206 dos. 2531 Instruction de la Cour de Justice du département de la Seine concernant Blanchin Marcel, Henri, inspecteur de la BS2 inculpé d’intelligence avec l’ennemi (procédure du 26 novembre 1945). — Arch. PPo. BS 2 GB 130 Affaire Lerner (procédure du 29 juin 1943) ; Dossier Epuration Barrachin Gaston, inspecteur principal adjoint de la BS 2. — CDJC ML_A_62 Carte de CVR d’Abram Besserman. — Alfred Besserman, « Comment nous avons creusé un tunnel à Drancy », in Naïe Presse, 15 au 19 août 1953. — Naïe Presse, n°276, 27 novembre 1964. — David Diamant, Par delà les barbelés, Paris, chez l’auteur, 1986, pp. 167-169.