BETOULLE Léon

Par Justinien Raymond

Né le 25 octobre 1871 à Limoges (Haute-Vienne), mort le 30 novembre 1956 à Limoges ; employé ; militant socialiste ; maire de Limoges ; président du conseil général ; député, puis sénateur de la Haute-Vienne.

Sénat, Notices et portraits, 1930

Léon Betoulle vint au monde sous le double handicap d’une naissance illégitime et de la pauvreté. Il naquit au cœur du quartier ouvrier de Sablard et du Puy-Lannaud et y passa sa jeunesse dans les deux pièces qui étaient à la fois le foyer et l’atelier maternels. Sa mère, couturière, en assurait la vie au prix des longues journées de travail qui s’imposaient alors à une ouvrière à domicile ayant, seule, la charge d’un enfant.

Le jeune Léon fréquenta l’école communale où il fut, au dire de ses maîtres, un élève intelligent et studieux. A peine adolescent, il entra comme petit clerc dans une étude d’officier ministériel avant d’être employé à la manufacture de porcelaine de Théodore Haviland. Après ses maîtres, ses premiers patrons furent frappés par l’application au travail et la maturité précoce de cet enfant de seize ans, petit de taille, aux cheveux roux, aux yeux bleus. C’est qu’il s’adonnait passionnément à la lecture, allant des philosophes du XVIIIe siècle, aux écrits des utopistes du XIXe et aux brochures et manifestes des premières organisations ouvrières renaissantes.

Cette curiosité, son milieu d’origine le poussèrent, dès l’âge de dix-huit ans, vers le socialisme qui s’affirmait à Limoges. En 1883 naquit le groupe « l’Avant-garde socialiste révolutionnaire », d’esprit allemaniste ; en 1894, le groupe blanquiste « Ni Dieu ni Maître ». En 1895, un Cercle républicain socialiste réunissait collectivistes et radicaux socialistes. Il perdit ces derniers par son adhésion au Parti ouvrier français (POF), puis se divisa sur le cas Millerand. Les ministérialistes se retrouvèrent dans le Cercle d’unité socialiste très proche d’un Cercle démocratique des Travailleurs rassemblant radicaux et socialistes. Betoulle, adhérant à ce dernier depuis 1896, administra leur commun organe quotidien Le Réveil du Centre, lancé le 16 juin 1901. Il était, depuis 1898, correspondant politique de La Dépêche de Toulouse après avoir écrit dans deux feuilles socialistes locales : l’Express et le Rappel du Centre. À l’heure des regroupements, Betoulle représenta le « Cercle d’unité socialiste », auquel il avait adhéré, au congrès de Paris, salle Wagram, septembre 1900. L’année suivant, avec le Cercle d’unité socialiste et le Cercle démocratique des travailleurs, unis dans une Fédération autonome, il rejoignait le Parti socialiste français de Jaurès.

Au cercle démocratique, Betoulle se lia avec le peintre sur porcelaine Paul Barbois, conseiller municipal du faubourg Montjovis (les élections se faisaient alors par quartiers). Le 21 août 1897, il épousa Louise Barbois et, le 6 mai 1900, élu par 1 492 voix, conquit à l’Hôtel de ville le siège abandonné par son beau-père. C’était le premier d’une longue série de succès électoraux. En 1901, le canton de Limoges-Est formé des quartiers urbains de la rive gauche de la Vienne et d’une commune rurale, Le Palais, l’envoyait au conseil d’arr. Le 1er mai 1904, au nouveau mode de scrutin, Léon Betoulle fut réélu conseiller municipal avec la liste radicale et socialiste d’Émile Labussière, contre une liste de cinq candidats du PS de France. En quatrième position, avec 8 754 suffrages, il accéda au poste d’adjoint au maire. Il rapporta le budget municipal et rédigea un programme de réalisations locales qu’il soumit à l’opinion par le Réveil du Centre. Il ambitionnait de faire de Limoges la capitale d’un Centre-Ouest rénové. Il se lança dans une active propagande en Limousin. Pour avoir les coudées franches, il quitta Le Réveil et lança en octobre 1905 Le Populaire du Centre. Ce quotidien rayonna progressivement sur la Haute-Vienne, l’Indre, la Creuse, la Corrèze, la Dordogne, la Charente et la Vienne. Son tirage s’éleva lentement de 3 500 à 7 500 en 1910 et 10 500 en 1912. Betoulle en était à la fois l’administrateur et le secrétaire de rédaction. Élu député, il résigna ces fonctions, mais suivit toujours de près la vie du journal dont il sauva parfois personnellement les finances en détresse. Aussi, en 1910, il fonda avec quelques amis la Société anonyme Imprimerie nouvelle, présidant pendant trente ans, jusqu’à la modification de la loi de 1867 sur les sociétés anonymes, son conseil d’administration et les assemblées générales des actionnaires. En octobre 1954, il vit le journal qui était son œuvre franchir le cap des cinquante mille exemplaires.

Cette année 1905, Betoulle entra au Parti socialiste SFIO. Il allait devenir son leader départemental, membre de sa commission administrative fédérale, bien qu’il représentât la minorité réformiste, qui s’agrégeait, dans la Fédération unifiée, aux socialistes révolutionnaires. Pendant longtemps, d’âpres luttes l’avaient opposé à ces derniers tandis qu’il côtoyait étroitement la démocratie radicale limousine dans le sillage d’Émile Labussière. Il s’en éloigna dans le feu des luttes ouvrières locales. Le soutien apporté aux porcelainiers en grève (1904-1905) rapprocha les organisations socialistes ennemies, réconcilia leurs deux groupes rivaux depuis 1900 au conseil municipal et facilita la fusion décidée sur le plan national. Le 17 avril 1905, au cours d’échauffourées consécutives à un lock-out, l’ouvrier Vardelle avait été tué. Devant l’émotion causée par ce drame, les conseillers municipaux socialistes, confondus en un seul groupe, refusèrent le budget de la police (27 décembre 1905) à la demande de la section socialiste unifiée de Limoges. Labussière démissionna, suivi, le 4 janvier 1906, des élus socialistes et de quelques radicaux. Pour trente sièges à pourvoir, la liste de droite du Dr Chénieux l’emporta au second tour par 7 800 voix contre 7 500 à la liste socialiste sur laquelle figurait Léon Betoulle. Celui-ci était donc définitivement intégré au socialisme limousin uni. Labussière, nommé trésorier-payeur général à la Réunion, quitta le Parti socialiste dans lequel il s’était tout d’abord laisser entraîner. Betoulle représenta le Parti aux congrès nationaux de Limoges (1906), Nancy (1907), Toulouse (1908), Saint-Étienne (1909), Lyon (1912) et Amiens (1914). Sur la scène politique limousine libérée du joug d’une personnalité dont la position restait forte, Léon Betoulle allait cueillir les succès promis à un parti unifié auquel il apportait son expérience municipale, un nom connu de militant et le précieux appui d’un organe quotidien qu’il plaça sous son contrôle politique.

Aux élections législatives de 1906, Betoulle mena une campagne très active dans la première circonscription de Limoges. Bien accueilli dans les milieux ouvriers, étoffés par l’essor de l’industrie de la porcelaine, il l’emporta, au premier tour, le 6 mai, par 11 844 voix contre 10 668 à Lamy de la Chapelle, malgré la réserve ou l’hostilité des ruraux. Le Parti socialiste avait décidé que ses candidats feraient partout campagne sur la question de la propriété. Dans sa profession de foi, Betoulle se conforma à ce mot d’ordre avec des ménagements dictés par la structure sociale du Limousin. À la « société de misère et d’inégalités sociales dans laquelle nous vivons, dans laquelle ceux qui travaillent et produisent ne possèdent rien tandis que ceux qui ne travaillent pas possèdent toutes les richesses », il opposait la société socialiste « où chacun ne vivra que du produit de son travail, mais en recevra le produit intégral ». Mais, disait-il, « les socialistes se refusent à exproprier les petits propriétaires qui vivent si difficilement aujourd’hui sur le bout de champ qu’ils possèdent et travaillent de leurs mains... Le partageux c’est le gros propriétaire qui, à la fin de l’année, partage, lui qui n’a rien fait, le produit du travail accompli par son colon... ». « Pour le triomphe de la démocratie, des revendications prolétariennes et de la République sociale » (SOURCE : Arch. Ass. Nat.), il en appelait aussi aux « petits commerçants » qui vivent, expliquait-il, de la clientèle des travailleurs et que menace l’extension des grandes firmes. Son élection ne passa pas inaperçue, puisqu’il parla aux côtés de Sembat, de Guesde et de Jaurès, le 4 juin 1906, à la manifestation organisée à Saint-Mandé par le Parti socialiste pour fêter ses succès électoraux.

Réélu député en 1910, 1914, 1919 et 1924, Betoulle ne devait plus quitter le Parlement jusqu’à la fin de la Troisième République. Le 14 décembre 1924, au siège vacant par suite du décès du radical Pierre Codet, il fut élu sénateur et réélu en 1927 et 1936. Au Palais Bourbon, il appartint aux commissions de l’Intérieur et du Travail. Parmi les propositions de loi qu’il signa avec des élus socialistes, une lui revient en propre : elle établissait, pour les institutrices d’abord, les congés de maternité, étendus ensuite aux autres salariés.

En 1920, Betoulle, demeuré au Parti socialiste avec la grosse majorité de sa Fédération, entrait au conseil général de la Haute-Vienne pour le canton de Limoges-Est. Il avait échoué avant guerre dans le canton d’Ambazac. À partir de 1930, il présida l’Assemblée départementale jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. Alors la Fédération dont il avait été le premier élu, dont il demeurait le drapeau, comptait, cas unique en France, les trois quarts des élus cantonaux et détenait les cinq sièges de députés et les trois sièges de sénateurs du département. Le 10 juillet 1940, à l’Assemblée nationale de Vichy, Betoulle vota la délégation de pouvoirs au maréchal Pétain et, de ce fait, se trouva exclu du Parti socialiste SFIO à la Libération. Réintégré en 1947, à la veille des élections municipales, il reprit la tête de la liste socialiste qu’il conduisit à la victoire. Il fut réélu avec sa liste en 1953. Il mourut trois ans plus tard, réalisant un vœu qu’il avait souvent formulé : mourir maire de Limoges.

Malgré la longévité de sa carrière parlementaire, Betoulle s’affirma surtout à la mairie de Limoges qu’il occupa de mai 1912 jusqu’à sa révocation par ordonnance gouvernementale le 16 novembre 1940. Les socialistes limougeauds, dont il se trouva séparé par son vote de Vichy, le replacèrent à leur tête en 1947 pour reconquérir l’Hôtel de ville qui leur avait échappé à la Libération. Leur succès témoigna de la place qu’il occupait dans la cité. Il fut réélu en 1953 avec dix-huit colistiers socialistes sur trente-sept conseillers municipaux et conserva son écharpe de maire jusqu’à sa mort. Le rayonnement limité de Limoges, à peu près borné aujourd’hui au cadre départemental, et son expansion urbaine momentanément stoppée pourraient masquer l’ampleur des problèmes posés pendant le dernier demi-siècle, et conduire à minimiser l’œuvre accomplie. Mais, à la veille de la Première Guerre mondiale, Limoges était le grand centre porcelainier à son apogée avec plus de 9 000 ouvriers dans trente-cinq usines en 1907 et exportant vers les États-Unis, en 1912, pour sept millions de francs. Cette industrie de luxe durement touchée par la guerre, dont une industrie du cuir et de la chaussure, ancienne et longtemps stagnante, avait fort heureusement pris la relève, occupait déjà près de 8 000 ouvriers en 1920 et connaissait sa plus grande prospérité quand la crise de 1929 allait l’atteindre et la fermeture du marché américain en 1930 porter le coup de grâce à l’industrie de la porcelaine désormais réduite à un artisanat de survivance. La grande usine Haviland dans laquelle le maire de Limoges fut autrefois salarié ferma ses portes en 1931.

En 1912, Léon Betoulle prit donc en charge une ville attardée et stagnante. Il s’attacha à réaliser le programme qu’il avait tracé quelques années auparavant : aménagement des rues, d’un parc public et d’un stade municipal, d’un réseau de trolleybus, d’une gare moderne, de logements ouvriers, de bâtiments administratifs et scolaires, etc. Pendant plus d’un tiers de siècle, Betoulle s’identifia à la ville dont il était maire. Par nature et par goût, il était administrateur plus que doctrinaire politique. Cependant, au cours de la Première Guerre mondiale, il fut mêlé à une dramatique controverse. Le 3 août 1914, Betoulle et la municipalité de Limoges lancèrent par placards à leurs concitoyens un mot d’ordre patriotique : « Qu’ils partent ! C’est le devoir de l’heure présente ! [...] Une seule chose importe maintenant : défendre le sol national, sauvegarder la République ! (Cf. Pierre Cousteix, p. 77). Moins d’un an après, Betoulle signa le rapport du 9 mai 1915 par lequel la Fédération socialiste de la Haute-Vienne lançait le mouvement minoritaire. Mais s’il adhérait au pacifisme d’une Fédération avec laquelle sa vie politique se confondait, il n’en était pas le promoteur. Ce fut le secrétaire fédéral Léon Berland qui avait préconisé devant les organismes centraux du parti une politique dont les véritables inspirateurs étaient Paul Faure et Adrien Pressemane. Vingt-cinq ans plus tard, dans des circonstances pourtant bien différentes, il obéissait peut-être aux mêmes sentiments pacifistes, quand il émit à Vichy un vote de résignation qui ne lui épargna pas les rigueurs administratives du régime né de la défaite et mit fin à sa carrière parlementaire.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16622, notice BETOULLE Léon par Justinien Raymond, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 3 décembre 2022.

Par Justinien Raymond

Sénat, Notices et portraits, 1930

ŒUVRE : L. Betoulle a collaboré à l’Express, au Rappel du Centre, au Réveil du Centre (juin 1901 — octobre 1905) et au Populaire du Centre (depuis octobre 1905).

SOURCES : Arch. Ass. Nat. dossier biographique. — Hubert-Rouger, La France socialiste, p. 130, 338, 339. — Les Fédérations socialistes I, p. 535 à 556, passim. — Statistique des élections au Sénat de 1876 à 1937 dressée par le service des procès-verbaux du Sénat, Paris, 1937, pp. 69, 73. — Le Populaire du Centre, 1956, 1er, 2, 3, 4 décembre 1956. — Léon Berland, Rétrospectives (1883-1905), Le Socialisme en Haute-Vienne (1905-1959), manuscrits. — Pierre Cousteix, « Le Mouvement ouvrier limousin de 1870 à 1939 » in L’Actualité de l’histoire, décembre 1957, n° double 20-21, pp. 27 à 96.

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