FAWZY Didar née Diane ROSSANO

Par René Gallissot

Née le 20 août 1921 au Caire (Égypte), morte accidentellement à Genève le 26 mai 2011 ; militante aux côtés d’Henri Curiel au Caire dans le mouvement clandestin de libération nationale qui devient en 1947 Mouvement démocratique de libération nationale s’affirmant communiste ; quand H. Curiel est réfugié à Paris à partir de 1951, poursuivant cette collaboration dans l’assistance au réseau Jeanson d’aide au FLN puis dans le réseau Curiel ; arrêtée et emprisonnée à la prison de femmes de La Petite Roquette, est partie prenante de l’évasion des six prisonnières militantes de la cause algérienne en février 1961 ; poursuit son itinéraire de militante communiste et l’action de l’organisation « Solidarité » de soutien aux luttes du Tiers-monde.

C’est dans le quartier européen du Caire que grandit Diane Rossano ; elle appartient à une famille juive de bonne condition au sein des « colonies » qui bénéficient encore des protections capitulaires, en l’occurrence celle du Royaume d’Italie ; le régime des capitulations est aboli en 1935-1936, mais les distinctions de statuts demeurent (cf. Henri Curiel). Son père termine une carrière à la banque comme Directeur de la Banque nationale du Caire. Face à la domination britannique, ce qui peut aussi ouvrir quelques complicités de jeunesse avec des enfants de la bonne société musulmane égyptienne, Diane Rossano grandit dans un milieu francophone et francophile. L’aisance familiale lui permet d’être inscrite au lycée français de filles, institution de la Mission laïque française à la stricte tenue ; elle est en quelque sorte dispensée des bonnes institutions chrétiennes d’où ses sœurs aînées avaient été retirées par crainte du prosélytisme qui avait gagné des membres de la famille. Renvoyée à la suite d’une fugue à l’âge de quatorze ans, elle reprend ses classes à l’École Jabès ; avec le BES, elle entre compter les billets à la Banque nationale.
En 1935, sa sœur aînée, qui la récupère lors de sa fugue, la met au contact d’Henri Curiel ; l’aînée fait en effet partie de ce cercle d’amies entraînées dans le tourbillon de soirées dansantes aux terrasses des grands hôtels qui accompagne les vingt ans du jeune cadet de la Villa Curiel et va durer quelques années. Sans mépriser les surprises parties et le sport au Guezireh Sporting Club sur l’île sélecte de Zamalek, -plus tard le jeune officier Osman Fawzy la guidera au club hippique-, c’est par la voie politique qu’elle retrouvera Henri Curiel. Dans les rues populaires du Caire, Diane Rossano bute aussi sur la misère des migrants égyptiens.

Quand s’ouvrent en 1939 les années de guerre qui voient stationner les troupes alliées aux côtés des Britanniques et qu’au Caire Georges Gorse dirige la Délégation gaulliste et les Amitiés françaises, Diane Rossano se lie aux groupes d’études marxistes qui touchent cette jeunesse juive et européenne se pensant égyptienne. Elle découvre le matérialisme historique avec un jeune italien d’Alexandrie proche du groupe Iskra, passe au regroupement de la Ligue ou Union démocratique antifasciste qu’anime au Caire, entre autres, Henri Curiel. Quand l’armée allemande de Rommel menace Le Caire en 1942, elle tient la bibliothèque de la Ligue.

En septembre 1942, elle épouse Osman Fawzy, un officier du corps de la cavalerie (blindés) de l’armée égyptienne et aura deux filles. Par son mariage, elle deviendra Didar Fawzy, égyptienne. Avec lui, elle rejoint, à sa création en 1943, l’organisation clandestine dirigée par Henri Curiel : le Mouvement égyptien de libération nationale. Le mouvement se singularise des autres organisations qui se veulent communistes en conjuguant libération nationale et libération sociale, menant des campagnes d’alphabétisation ; elle manifeste aussi sa solidarité aux soldats grecs stationnés en Égypte mutinés contre leurs officiers fascistes et réprimés par l’armée britannique.

Après un temps de garnison aux côtés de son mari officier, c’est le retour au Caire à la fin de 1945 quand monte le mouvement de grèves des ouvriers du textile et des étudiants, donnant naissance, au printemps 1946, au comité national des étudiants et des ouvriers. Alors que la répression fait son œuvre en 1947, les principaux groupes participent à la transformation du Mouvement égyptien de libération nationale (MELN) en Mouvement démocratique de libération nationale (MDLN). Henri Curiel en est le responsable politique. Il prend position au nom du Mouvement, non sans critiques et scissions, pour la résolution de partage de la Palestine qui porte la création de l’État juif. En mai 1948 le Mouvement milite, y compris parmi les jeunes officiers, contre la guerre lancée par les États Arabes, la considérant comme une dérive de la question nationale.

L’action se poursuit dans la clandestinité, et la répression s’abat sur tous les groupes. Didar Fawzy est à nouveau aux frontières avec Osman, qui est alors envoyé au front. Interné dans un camp, Henri Curiel est expulsé sur l’Italie en 1950 ; Didar Fawzy, passant par Rome en 1951, l’aide à gagner Suisse puis Paris où il crée un groupe semi-clandestin, dit de Rome, avec Joseph Hazan et d’autres exilés du MDLN. En correspondance avec Didar Fawzy, le groupe est tenu au courant des activités en Égypte auxquelles elle continue à participer jusqu’après l’incendie du Caire du 26 janvier 1952 et le coup d’État militaire du 23 juillet 1952. Elle suit l’évasion du héros des grèves ouvrières de 1946, Mohammad Chatta, préparée avec Sherif Hetata, jeune médecin devenu cadre permanent, évadé et planqué à Paris par le « groupe », et revenu clandestinement dans le Delta.
Le MDLN a des partisans et une certaine audience dans l’organisation des « Officiers libres ». En 1953, alors qu’avec ses filles, elle est à Moscou, où son mari est attaché militaire, Didar Fawzy est mise en cause au cours d’un procès communiste. En 1954, séparée de son mari, elle rejoint le groupe MDLN à Paris. Mais elle fait des retours en Égypte. Le Président Nasser nationalise la Compagnie du Canal de Suez en juillet 1956, et tient tête à l’expédition anglo-franco-israélienne qui correspond aussi à la recrudescence de la guerre coloniale française en Algérie.

Après avoir participé à l’action du « groupe » en faveur du droit à la nationalisation de la compagnie du Canal, notamment à Londres auprès du Movement for Colonial Freedom, Didar Fawzy, de retour au Caire avec ses filles, assure par l’intermédiaire d’Osman Fawzy les liaisons écrites de Curiel avec Khaled Mohieddine, retourné en Égypte de son exil suisse après Bandoeng. Elle assure aussi des liaisons (écrites et directes) avec les camarades torturés, condamnés aux travaux forcés et emprisonnés à Kharga (oasis du désert occidental), dont son compagnon, hérif Hetata.
À Paris pour Curiel, la cause algérienne et l’action contre le colonialisme français deviennent premières. À partir de novembre 1957, à nouveau à Paris, vivant avec ses deux filles dans deux chambres d’un petit hôtel du quartier latin, elle travaille à mi-temps pour la revue Orient. Elle fait partie, avec Rosette Curiel et Joyce Blau, du petit groupe autonome animé par Curiel qui rend des services au réseau de soutien dirigé par Francis Jeanson, tels l’impression de Vérités Pour..., des passages de frontières et des planques. Rosette Curiel suit les transferts de fonds du FLN en Suisse.
Après la vague d’arrestations de janvier-février 1960, Didar fait partie du réseau constitué par Curiel sur la demande de la Fédération de France du FLN. Tout en poursuivant les services de soutien au FLN, son projet est de rassembler en un Mouvement anti-colonialiste français (MAF), les forces hostiles à la guerre, favorables ou non au soutien des militants algériens. Il travaille avec Victor Leduc, en dissidence du PCF, la plateforme qu’approuve la réunion fondatrice, tendue par l’opposition entre Francis Jeanson et Curiel, à Saint-Cergue dans le Jura suisse, le 20 juillet 1960. Didar s’occupe du passage des frontières et des planques avec Jehan de Wangen qui assure, plus largement, l’intendance du réseau. Elle est arrêtée avec lui et Henri Curiel, le 20 octobre 1960.

Après le passage par les locaux de la DST et le dépôt, elle rejoint les prisonnières politiques de la Petite Roquette. Elle fait partie du groupe des six femmes qui préparent et réalisent l’évasion de février 1961. À la suite de péripéties imprévues, elle atterrit avec deux autres camarades chez une ancienne détenue algérienne qui les conduit à un hôtel algérien. Planquée le soir même, elle est évacuée vers la Belgique un mois plus tard, puis acheminée sur le Maroc. Elle travaille au service de presse de la Mission algérienne du FLN à Rabat puis prend part à Oujda, près de la frontière, à l’enseignement donné aux jeunes algériens réfugiés. Elle rejoindra l’Algérie où elle résidera de 1962 à 1982, avec des retours clandestins à Paris.
Entrée à Paris à l’École des Langues Orientales, elle avait obtenu le Diplôme de l’école (en arabe) ; elle fait ensuite une licence d’histoire à l’Université d’Alger avant d’obtenir un doctorat d’État en histoire à l’Université de Paris 7, par une thèse republiée récemment et traduite en arabe, sur le Soudan contemporain. En Algérie sous le gouvernement de Ben Bella, elle organise le travail volontaire des jeunes et se consacre à l’aide internationale aux mouvements de libération que conduit l’organisation Solidarité créée en 1962 par Henri Curiel qui la coordonne depuis Paris jusqu’à son assassinat en 1978. Après avoir, pour mémoire, repris dans un livre son itinéraire de communiste, résidente en Suisse, Didar Fawzy-Rossano s’occupe de sa traduction en arabe. Renversée par une auto, elle meurt sous le choc à Genève à près de 90 ans.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article166954, notice FAWZY Didar née Diane ROSSANO par René Gallissot, version mise en ligne le 27 octobre 2014, dernière modification le 1er novembre 2022.

Par René Gallissot

ŒUVRE : D. Fawzy-Rossano, Mémoires d’une militante communiste (1942-1990) du Caire à Alger, Paris et Genève. Lettres aux miens. L’Harmattan, Paris 1997 et Le Soudan en question, Éd. La Table Ronde, Paris 2002.

SOURCES : G. Perrault, Un homme à part. Barrault, Paris 1984. — Autour de l’action et de l’assassinat d’Henri Curiel. Textes et documents. Colloque international Université de Paris 8, novembre 1998. -Des Brigades internationales aux sans-papiers. Crise et avenir de la solidarité internationale (M. Rogalski et J. Tabet, dir.), Actes des rencontres internationales Henri Curiel (novembre 1998, Gennevilliers), Le Temps des Cerises, Pantin, 1999. -J.-L. Einaudi, franc-tireur. Georges Mattéi, de la guerre d’Algérie à la guérilla. Le Sextant-Danger public, Paris 2004. — J. Charby, Les porteurs d’espoir. Les réseaux de soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie : les acteurs parlent. La Découverte, Paris 2004. — Échanges avec Didar Fawzy-Rossano. — Le Monde, 22 juin 2011.

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