BINOT Jean, Edmond

Par Gilles Morin

Né le 2 août 1911 à Fleury-sur-Andelle (Eure), mort le 9 novembre 1982 à Nice (Alpes-Maritimes) ; instituteur, professeur en EPS ; militant socialiste SFIO, PSA puis PSU de la Seine-Maritime, membre de la direction nationale du PSA puis du PSU ; adjoint au maire du Havre (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), député de Seine-Inférieure (1945-1958).

Jean Binot dans les années 1940
Jean Binot dans les années 1940
Assemblée nationale, Notices et portraits, 1946

Issu d’un milieu protestant, Jean Binot suivit des études aux cours de l’école primaire à Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), puis les poursuivit à l’école primaire supérieure, enfin à l’École normale d’instituteurs de Rouen. Réformé pour la vue, nommé au Havre à l’école de Frileuse de 1931 à 1933, il se maria en septembre 1935 avec une institutrice, Suzanne Lemen dont il divorça. Il épousa en secondes noces en juillet 1939, Margueritte Levasseur, professeure agrégée d’histoire au lycée de jeunes filles du Havre, fille d’un gros négociant selon un rapport de police. Ce dernier précise à propos de Jean Binot : « Alors qu’il était avant la guerre un ardent défenseur des intérêts de l’ouvrier contre le capitaliste, il s’est maintenant « embourgeoisé » par suite de « sa nouvelle situation ». Ils eurent un enfant, né le 27 mars 1944 à Angers (Maine-et-Loire). Jean Binot exerça comme professeur de français à l’école primaire supérieure du Havre à partir d’octobre 1933, devenue collège moderne pendant la guerre. Détaché auprès de l’Institut pédagogique national en 1958, il fut intégré dans le corps des chargés d’enseignement en 1960. Il fit valoir ses droits à la retraite à partir de 1961.

Jean Binot, réformé en arrivant au corps en 1932, avait adhéré au Parti socialiste en décembre 1935, sans avoir appartenu à d’autres formations dans le passé. Il présida la section havraise des Jeunesses laïques et républicaines et fut membre du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Il participa à des réunions publiques au temps du Front populaire, intervenant, par exemple, comme orateur le 19 juin 1937 au Havre dans un meeting rassemblant 400 personnes où il dénonça le « mur d’argent ». En avril 1938, à la fondation du journal, il était le rédacteur en chef du Havre-Socialiste.

Militant du parti socialiste clandestin, il participa au comité local de Libération après la libération du Havre, le 12 octobre 1944. Il fut désigné par arrêté préfectoral comme adjoint au maire de la ville ruinée par les bombardements, chargé de l’Instruction publique. Leader de la section SFIO du Havre, il était considéré comme le meilleur orateur du parti mais fut battu avec la liste antifasciste aux élections municipales d’avril 1945. Elle avait recueilli 15 161 voix sur 32 195 exprimés. Il collaborait à la rédaction du quotidien local Le Havre-Libre où il traitait de la politique intérieure et extérieure de la France et dont il était co-actionnaire, et aux journaux socialistes paraissant au plan départemental, Cité nouvelle et La République de Normandie.

Jean Binot, qui ne s’était pas présenté aux élections du conseil général le 23 septembre 1945 (et devait échouer en 1949), fut désigné comme tête de liste socialiste dans la deuxième circonscription du Havre aux élections pour la première Assemblée constituante, le 21 octobre 1945. Il étendit ses conférences « aux campagnes les plus reculées » selon les rapports préfectoraux et se dépensait alors « sans compter pour son parti ». Il militait sur le plan local pour la création d’un nouveau département - qu’il désignait déjà comme la Seine-Maritime - et demandait, pour le moins, l’autonomie du Havre durant la période de reconstruction. Il obtint 30 450 voix sur 175 648 exprimés et fut élu député socialiste. Il devint ainsi, avec son camarade Jean Capdeville élu dans l’autre circonscription du département, le premier député socialiste élu depuis la scission néo-socialiste. Son adresse correspondait au Lycée de jeunes filles du Havre dont sa femme était directrice. Celle-ci, moins bonne oratrice que lui, participait à toutes les manifestations socialistes, donnait de nombreuses conférences appréciées pour leur qualité et fut conseillère municipale du Havre en 1953.

Jean Binot a été réélu dans la 2e circonscription du Havre à la deuxième Assemblée nationale Constituante, le 2 juin 1946 par 34 122 voix sur 187 288 exprimés. Il siégea ensuite à toutes les assemblées de la IVe République, seul élu de sa liste. Mais, comme la plupart des parlementaires socialistes de cette période, il obtint un nombre décroissant de suffrages, hormis en 1956 où la participation s’était fortement accrue. Réélu le 10 novembre 1946 par 24 899 voix sur 177 815 exprimés, il voyait son résultat réduit le 17 juin 1951, avec 21 763 voix en moyenne pour sa liste (23 080 pour lui personnellement) sur 182 862 exprimés. La liste socialiste avait, à cette date, conclu un apparentement avec les radicaux-socialistes, le MRP et les indépendants. Le 2 janvier 1956, il fut réélu avec 27 228 voix sur 217 707 exprimés.

Au Palais-Bourbon, Jean Binot appartint à la commission de l’Éducation nationale durant toute la IVe République. Représentant des intérêts des enseignants et du monde laïque, il fit rapidement entendre sa voix. Il intervint le 30 décembre 1945 pour demander le reclassement de la fonction enseignante, la reconstruction des établissements scolaires et la réforme de l’enseignement. Il parla au nom de la SFIO dans d’autres grands débats sur la question scolaire, comme celui qui portait sur la nationalisation des écoles des Houillères en mai 1948. Il prit encore position fermement contre les projets scolaires de la nouvelle assemblée le 31 août 1951, lorsqu’il interpella le gouvernement sur le financement des bourses des élèves de l’enseignement privé. Président de la commission d’enquête scolaire « Haut-Rhin-Bas-Rhin-Moselle » en septembre 1951, il fut rapporteur le 1er juillet 1952 du projet de loi relatif à l’enseignement du français dans la région. Le groupe socialiste désigna Binot comme responsable du secteur éducation nationale en février 1946, puis comme secrétaire pour les questions sociales. Il entra à la Commission exécutive du groupe en novembre 1946. Dans la période, il fit par ailleurs des conférences pour la Ligue de l’Enseignement et pour le CNAL.

Binot appartint aussi à la commission de la presse, de la radio et du cinéma de la première Constituante, durant laquelle il était par ailleurs membre de la commission du ravitaillement, ainsi que lors de la première législature. Durant cette dernière, on le retrouve encore à la commission de la famille, de la population et de la Santé publique. Il entra à la commission de la Marine marchande, qui intéressait particulièrement le port du Havre en 1947 et en 1956, et à la commission chargée d’enquêter sur les événements survenus en France de 1943 à 1945. Il fut nommé juré à la Haute Cour de justice, en 1948, 1951 et 1956. Durant la seconde législature, il appartint à la commission de la reconstruction et des dommages de guerre.

Jean Binot, qui avait voté l’investiture de Maurice Thorez le 4 décembre 1946, se rangea sans hésiter dans le camp de la troisième force en 1947. Il est vrai qu’il avait rapidement été attaqué par les communistes sur un plan personnel. Farouche opposant au système soviétique et à l’occupation de l’Europe centrale, il se montra défenseur inconditionnel du plan Marshall, fervent atlantiste, et se rendit en Yougoslavie fin 1951 à l’invitation du maréchal Tito et de son gouvernement.

Binot milita aussi très tôt en faveur de la construction de l’Europe. Il prononça ainsi en octobre 1948 une conférence au Cercle Duquesne de Dieppe sur « L’Europe unie fondement de la paix ». Il en fit d’autres pour le Mouvement européen, où il expliquait la nécessité de construire l’Europe pour « sauver la civilisation occidentale ». Il vota encore pour le pool charbon-acier le 13 décembre 1951. Mais il critiquait la conception de la construction européenne sans l’Angleterre et les États scandinaves. Il vota contre le projet d’armée européenne le 19 février 1952. Dans une lettre adressée aux dirigeants socialistes du Havre, il estimait qu’il fallait construire « une Europe réelle, celle qui va des bords de l’Atlantique jusqu’au rideau de fer, faute de pouvoir, pour le moment, aller plus loin. C’est entre ces deux Europe-là qu’au travers du débat sur l’armée européenne, chaque député est appelé à se prononcer. » En 1954, il expliquait encore que l’Europe des six était inconcevable, car laissant la France « face au danger allemand, avec de faibles pays, tels l’Italie, la Belgique, la Hollande, le Luxembourg » et estimait indispensable qu’avant d’incorporer l’Allemagne dans un système de défense commun, l’Europe soit organisée politiquement, le contrôle d’un organisme international pouvant seul empêcher la renaissance du militarisme allemand. Il contribua au rejet du traité de la CED, en votant la question préalable présentée par le général Aumeran, le 30 août 1954. Ayant été indiscipliné de nouveau lors du scrutin concernant la ratification des accords de Londres et de Paris, le 30 décembre 1954, il fut exclu de la SFIO en février 1955, mais devait être réintégré par le congrès national de juillet suivant. Il était particulièrement discuté par la direction nationale socialiste qui cherchait à l’éliminer, relayée dans le département par Georges Brutelle*, qui cumulait les fonctions de secrétaire fédéral de la Seine-Maritime depuis l’exclusion de Capdeville* et de secrétaire adjoint du parti au plan national. Les socialistes de base lui reprochaient eux d’être peu présent et de violer les décisions de congrès. Mais, à plusieurs reprises, il sut convaincre des assemblées de militants de sa bonne foi.

Durant la deuxième législature, Binot joua par ailleurs un rôle important dans l’inclusion dans la loi d’amnistie de 1953, qu’il condamnait fermement par ailleurs, de mesures en faveur des objecteurs de conscience. Il demanda à cette occasion la création d’un service civil pour les objecteurs et déposa de nouveau un projet de loi sur ce sujet le 15 février 1956. Le 31 mars 1955, il s’opposa à la loi sur l’état d’urgence en Algérie. Admirateur de Pierre Mendès France, il avait regretté la non-participation des socialistes à son gouvernement et soutenu celui-ci par une campagne d’éditoriaux publiés dans La République de Normandie. Il défendit sans réserve encore ses mesures contre les bouilleurs de cru, pourtant peu populaires en Normandie, et plaça résolument sa campagne pour les législatives de 1956 sous le signe du Front républicain.

Réélu le 2 janvier 1956, il vota comme tous ses camarades du groupe l’investiture du gouvernement Guy Mollet, puis les pouvoirs spéciaux en Algérie, demandés par celui-ci le 12 mars 1956. Mais, une nouvelle fois, il se sépara de la direction socialiste et devint rapidement un des animateurs de la minorité socialiste qui s’opposait à la politique de Guy Mollet et Robert Lacoste. Il fut indiscipliné dans le vote étendant les pouvoirs spéciaux en Algérie le 19 juillet 1957 et versait une cotisation régulière au Comité socialiste d’études et d’action pour la paix en Algérie, qui rassemblait les minoritaires depuis janvier 1957. Ne voulant pas risquer l’exclusion, il fut généralement discipliné, vota le traité instituant la communauté économique européenne et l’investiture des gouvernements Bourgès-Maunoury, Gaillard et Pflimlin. Après le soulèvement algérien du 13 mai 1958, il approuva encore l’état d’urgence le 16 mai, mais s’opposa à l’investiture du général de Gaulle le 1er juin 1958 et refusa les pleins pouvoirs à son gouvernement le lendemain.

En 1956-1957, Binot avait été l’animateur d’un cycle de conférences concernant les recherches atomiques et leurs utilisations.

Jean Binot fut l’un des fondateurs du PSA en septembre 1958, puis du PSU en avril 1960. Il appartint à la Commission administrative provisoire du PSA de septembre 1958 à avril 1960, puis fut membre du Comité politique national (CPN) du PSU en 1960. L’année suivante, il entra au bureau national de ce parti et publiait régulièrement un « billet » dans Tribune socialiste. En janvier 1963, à l’issue du Congrès d’Alfortville, il fut désigné une dernière fois à la direction du PSU, comme élu minoritaire de la motion A regroupant beaucoup d’anciens du PSA et de militants laïques qui craignaient l’influence des anciens MLP.

Jean Binot représenta régulièrement le PSA et le PSU aux élections législatives. En 1958, il se représenta en Seine-Maritime sous l’étiquette de l’Union des forces démocratiques. Les RG notaient qu’il n’était guère susceptible d’être réélu, pour s’être depuis plusieurs années « désintéressé de plus en plus des électeurs de sa circonscription ». Depuis sa première législature, ses visites espacées à la section et son peu d’attention envers ses électeurs étaient souvent évoquées. Ses moyens physiques ne lui permettant plus d’exercer comme enseignant, il se détacha progressivement de la section du Havre du PSU qu’il avait contribué à fonder et résida à partir de 1962 à Versailles. Son épouse étant décédée, il se remaria le 7 juillet 1959, dans la mairie de son ami Depreux, avec Jeanne Beaudier, née le 18 juillet 1909 à Paris (5e arr.). Binot milita désormais à Paris et dans l’Eure. Il y fut candidat PSU aux législatives de novembre 1962 dans la circonscription de Louviers, prenant la succession de Pierre Mendès France battu au scrutin précédent. Il recueillit au premier tour 4 418 voix sur 32 020 suffrages exprimés et se retira en faveur du candidat communiste. Il continua par la suite à publier des articles violemment antigaullistes dans l’hebdomadaire La Dépêche de Louviers, dirigé par un ancien colistier de Pierre Mendès France et fut de nouveau candidat dans cette circonscription en mars 1967, rassemblant 7 111 voix sur 42 431 suffrages exprimés.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16749, notice BINOT Jean, Edmond par Gilles Morin, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 26 août 2021.

Par Gilles Morin

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Assemblée nationale, Notices et portraits, 1946
Jean Binot dans les années 1950
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Assemblée nationale, Notices et portraits, 1956

SOURCES : Arch. Nat., F/1cII/110, 113 B ; F17 27672 (dépouillé par Jacques Girault) ; CAC, 20010216/94/2722 bis/439. — CAC, 19850085, art. 13. — Archives André Seurat. — Rapports des congrès de la SFIO, 1944-1959. — Tribune socialiste, 2 février 1963. — Marc Heurgon, Histoire du PSU, Paris, Édition de la Découverte, 1994, t. 1, 444 p. — DPF 1944-1958, op. cit. — Notes de Jacques Girault.

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