BIQUARD Pierre, Mardochée

Par Michel Pinault

Né le 30 août 1901 à Paris (Xe arr.), mort le 28 avril 1992 à Paris (VIe arr.) ; chef de travaux à l’École de physique et chimie industrielle de la Ville de Paris (EPCI), puis professeur à la chaire d’électricité générale ; militant du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes ; secrétaire général de la Fédération mondiale des travailleurs scientifiques.

Son père était confectionneur de manteaux pour dames. Marié le 25 janvier 1934 à Lucile Loretz, Pierre Biquard fut le père de quatre enfants, Francis, Jean-Michel, Catherine et Claire. Pierre Biquard était de la 39e promotion (1920-1923) de l’École de physique et chimie industrielles de la Ville de Paris, celle aussi de Frédéric Joliot et André Langevin, un des fils de Paul Langevin, directeur des études de l’EPCI, Il effectua le service militaire comme élève officier de réserve à l’école d’artillerie de Poitiers (novembre 1923-mai 1924 à la commission des poudres de guerre puis comme sous-lieutenant à la DCA). Engagé à l’EPCI, il y devint préparateur, sous-chef à partir de 1925 puis chef des travaux en 1935. Docteur ès Sciences physiques en 1936, avec une thèse sur l’absorption des ondes ultrasonores dans les liquides, Biquard découvrit en 1932, avec René Lucas, l’effet Lucas-Biquard qui concerne la diffraction de la lumière par les ultrasons.
L’engagement direct de Pierre Biquard date du 6 février 1934. Il écourta, explique-t-il, son voyage de noces en Autriche, au lendemain de la nuit d’émeute, et rentra à Paris sous le sentiment de l’urgence. Biquard fut un des premiers artisans du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, dont il devint membre du bureau et secrétaire pour la région parisienne de 1935 à 1939. Il se lia avec Pierre Gérôme* et Henri Grandjouan, mais il eut aussi des relations étroites avec Paul Langevin et Frédéric Joliot-Curie*. En juillet 1936, il resta au bureau où il apparut comme un moyen terme et un intermédiaire entre Langevin et ses amis proches du Parti communiste et la majorité plus sensible au pacifisme intégral qui avait gardé le contrôle du bureau du CVIA, et il ne le quitta pas lorsqu’il devint évident que l’unité ne serait pas reformée. Il y mena une action d’aide à l’Espagne républicaine, y compris en organisant des livraisons d’armes. Il rencontra Léon Blum*, avec Victor Basch* et Henri Grandjouan, pour tenter d’obtenir un changement de la politique espagnole du gouvernement.
P. Biquard, sans jamais y adhérer, était proche de la SFIO, comme d’ailleurs une partie des scientifiques qu’il fréquentait. Par Paul Langevin, il était d’autre part mis en relations avec les amis scientifiques britanniques de celui-ci, en particulier J. D. Bernal, ainsi qu’avec P. Kapitza, alors à Cambridge. Lorsque ce dernier sera retenu en URSS par Staline, P. Biquard sera au centre d’une intense et discrète action d’influence visant à obtenir l’allégement du sort du physicien soviétique.
Biquard participa en 1936 à la campagne électorale de son ami Max Hymans*, candidat SFIO à Châteauroux (Indre). Il devint ensuite chef de cabinet d’Irène Joliot-Curie*, au sous-secrétariat d’État à la Recherche scientifique, dans le gouvernement Léon Blum. Quand, dès l’automne 1936, celle-ci quitta ce poste que Jean Perrin* vint reprendre, il resta en fonction. P. Biquard insistait sur l’importance à ses yeux de la création par celui-ci du Palais de la découverte, qui correspondait à sa conception militante de la science, faite de culte de la science pure, de volonté de servir le bien public et d’énergie à vulgariser les résultats de la recherche auprès du grand public, à laquelle il se consacra largement. Il publia deux ouvrages en collaboration avec Frédéric Joliot, prononça des conférences radio-diffusées : « La science au service de l’Humanité », « Science et liberté ». On retrouvera ce même souci dans la rédaction, au début des années soixante, d’ouvrages biographiques sur Joliot et Langevin ou dans sa tentative, en 1985, de faire éditer en France l’ouvrage de J.-D. Bernal, La Fonction sociale de la science, écrit en 1939.
Cette action propagandiste se manifesta sur d’autres terrains, comme des émissions de radio, au nom du CVIA., sur « L’Agence Havas et le 2 décembre » ou sur « La loi de 1867, l’encyclique Quadragesimo anno et le rassemblement populaire ». Toujours proche du parti socialiste, P. Biquard donna à l’Almanach populaire de 1938 un article sur la guerre des gaz. Mais c’est surtout son engagement pacifiste qui détermina ses prises de position. Au moment de Munich on trouva son nom le 29 septembre 1938 dans la liste des pétitionnaires favorables aux accords, parue dans L’Œuvre du 27 septembre 1938 et des jours suivants.
Le 25 avril 1939 Biquard fut nommé au Conseil supérieur de la recherche scientifique appliquée, Mobilisé en septembre 1939, affecté spécial au CNRS, il travailla pour la marine de guerre jusqu’à sa démobilisation, le 29 juillet 1940. À la fin de l’été 1940, il revint quelque temps à Paris où il participa à l’agitation provoquée par l’arrestation de Langevin par les Allemands. Il fut licencié le 19 décembre 1940 et mis à la retraite d’office par le gouvernement de Vichy en application de la loi raciale du 3 octobre 1940. La police française s’étant présentée à son domicile, rue d’Assas (VIe arr.), il quitta la capitale pour Lyon où il passa toute l’Occupation. Il trouva des emplois d’ingénieur au Matériel téléphonique (LMT) puis aux Etablissements Lumière, et participa à la résistance dans un réseau dirigé par Marc Bloch. Clandestin, il porta plusieurs identités d’emprunt : Leroy, Fermat, Draveil. Il revit dans la résistance lyonnaise, entre autres, Max Hymans*, Georges Altman et Yves Farge* qu’il avait connus étroitement au CVIA. Il échappa encore au moins deux fois à l’arrestation, fit de nombreux voyages à Marseille, Toulouse, Antibes pour nouer des liens entre les organisations de résistance, organisa les liaisons sans fil entre Lyon et différents maquis, et au cours de missions à Paris rencontra à nouveau Frédéric Joliot. En échappant finalement au pire, Pierre Biquard eut plus de chance que son cousin Robert et sa soeur Dinah, victimes des persécutions antisémites du régime de Vichy et disparus en déportation. Cette dernière était restée à Paris et tentait d’échapper aux conséquences des lois raciales de Vichy. Le directeur de l’Institut Pasteur notait en juin 1942, au nom de la commission du CNRS, que : « Mademoiselle Biquard mérite en tous points d’être retenue parmi les rares chercheurs israélites que la CNRS doit chercher à conserver. » (sic)
À la Libération, Pierre Biquard, délégué dans les fonctions de sous-préfet, devint le chef de cabinet du Commissaire de la République de Lyon, Yves Farge qui le présentait comme le « parfait négociateur dans les différends qui opposent patrons et ouvriers ». Il devint, le 10 juillet 1946, directeur-adjoint du cabinet du ministre du Ravitaillement, Farge.
Pierre Biquard participa en 1946, comme chef de cabinet du haut-commissaire Frédéric Joliot, à la création du Commissariat à l’Énergie atomique, et en 1947 il fut pour quelque temps directeur du cabinet de Yves Farge au ministère du Ravitaillement. Après la révocation de Frédéric Joliot de son poste, en mars 1950, P. Biquard devint ingénieur à Saclay au service des accélérateurs. Au bout de deux années il fut mis fin à cette fonction par une lettre du président du conseil René Pleven, datée du 6 janvier 1952, adressée à l’administrateur général du CEA, Pierre Guillaumat. P. Biquard fut alors réintégré comme chef de travaux à l’ESPCI.
Le 5 décembre 1947, dans le quotidien Franc-Tireur il signa l’appel de 15 intellectuels « aux républicains. Pour éviter l’irréparable entre le régime et le peuple ». Pierre Biquard fut présent le 22 février 1948 à la réunion de l’Hôtel des Deux-Mondes qui vit la création des Combattants de la liberté (CDL) par une quarantaine d’anciens résistants. Il fait partie du conseil national mis en place lors des Assises des combattants de la Paix et de la Liberté de la Porte de Versailles, en novembre 1948. Dès le congrès de Pleyel, P. Biquard siégea au bureau national du Mouvement de la paix en France. Il appartint au Conseil mondial de la Paix à partir de 1956 et y resta jusqu’à sa mort.
En juillet-août 1955 Biquard fit, avec un important groupe de scientifiques français, un premier voyage en URSS à l’invitation de l’Académie des sciences, au cours duquel il visita plusieurs laboratoires (Moscou, Léningrad, Kiev), des accélérateurs de particules et la première centrale atomique de l’URSS, en fonctionnement depuis un an. Quelques jours après, le dévoilement des plans de cette centrale est un des évènements marquants de la conférence de Genève « Atom for peace », sur la coopération scientifique.
En 1954, Biquard devint secrétaire général de la Fédération mondiale des travailleurs scientifiques (FMTS). Dans cette fonction ses qualités d’écoute et de négociation furent précieuses. Il fut largement assisté par sa femme Lucille qui cumula les tâches de secrétaire, traductrice et hôtesse. Après le retrait, pour raisons de santé, de F. Joliot de la présidence de la FMTS, sa collaboration étroite avec le successeur de celui-ci, le prix Nobel britannique Cecil F. Powell (1950), directeur du département de physique de l’université de Bristol et président du conseil de la politique de la science du CERN (1962-1965), président puis vice-président de l’Association des travailleurs scientifiques britannique, dura jusqu’à la mort de celui-ci en 1969. La FMTS regroupa des organisations nationales de scientifiques que les conditions de la guerre froide allaient soumettre à des secousses importantes et répétées. Elle naquit en février 1946 à la suite de la conférence sur « La science et le bien-être de l’Humanité », tenue à l’initiative de l’Association des scientifiques britanniques, à Londres les 20 et 21 juillet 1946. Ce faisant, PMS Blackett, Roy Innes, J.D. Bernal, J.G. Crowther, menèrent ainsi à sa réalisation une idée du professeur Bernal datant de décembre 1944. Joliot et Biquard étaient présents ; Joliot fut élu président et Roy Innes secrétaire général. Biquard soulignait dans un article paru pour les vingt ans de la FMTS, qu’« il ne s’agissait pas d’une génération spontanée. Avant la guerre, Bernal avait eu l’occasion de rencontrer, dans la lutte contre le fascisme et la guerre, les savants français Paul Langevin et Frédéric Joliot-Curie. Un groupe britannique avait pris contact, à Paris, avec le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes dirigé par Alain Langevin et Rivet. » À partir de 1954, Biquard, secrétaire général de la FMTS, joua un rôle essentiel dans le développement du mouvement des scientifiques contre les essais atomiques dans l’atmosphère, et contribua aux rapprochements internationaux qui permirent le succès de l’appel dit Russell-Einstein (1955) et du mouvement de Pugwash (1957). Plus tard ce fut la guerre du Vietnam, le rôle de la science et des scientifiques dans cette guerre, qui mobilisèrent une partie des efforts de P. Biquard sans que sa préoccupation essentielle au sujet de l’armement nucléaire diminue jamais. Sa bonne pratique de l’anglais, ses contacts avec J.D. Bernal, Linus Pauling, E.H.S. Burhop, Joseph Needham, par exemple, facilitèrent l’ouverture de la FMTS vers le monde anglo-saxon. En France, dans l’Association des travailleurs scientifiques (ATS), Biquard milita aux côtés d’autres physiciens comme Francis Netter ou Evry Schatzman ; on trouva aussi Aubel, Barrabé, Grillot. Pour cette organisation, comme pour le Mouvement de la Paix, parfois pour les deux ensemble, il parcourut la France, assurant de nombreuses réunions de propagande et d’organisation. L’ATS (1 500 adhérents en 1952) ne survécut pas aux remous de la guerre froide.
À l’occasion de ses soixante-quinze ans, le 30 août 1976, Biquard donna son adhésion au Parti communiste français. Il écrivit le 20 mars 1981, à Georges Marchais, secrétaire général du PCF, pour demander des précisions sur la position du PCF à propos de la bombe à neutrons et au sujet du désarmement nucléaire. Celui-ci lui répondit par une lettre de trois feuillets, le 23 avril 1981, évoquée dans l’Humanité du 24 avril 1981.
Pierre Biquard était décoré de la médaille de la Résistance avec rosette en 1946, et fut fait officier de la Légion d’honneur en 1983.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16759, notice BIQUARD Pierre, Mardochée par Michel Pinault, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 29 juin 2020.

Par Michel Pinault

ŒUVRE : En plus de ses communications scientifiques (une vingtaine), Pierre Biquard a écrit plusieurs ouvrages. En collaboration avec Frédéric Joliot, Deux heures de physique (1930) et Etude sur la philosophie scientifique de Henri Poincaré, Kra. — Les ultrasons (1945) d’abord signé Draveil, puis réédité sous son nom, « Que sais-je ? », PUF. — Frédéric Joliot-Curie et l’énergie atomique Paris, Seghers 1961 — Paul Langevin, scientifique, éducateur, citoyen, Paris, Seghers, 1969. — Du radium aux microprocesseurs, histoires de l’École Supérieure de Physique et Chimie, 1882-1982, IDSET, 10 rue Vaucquelin, Paris Ve arr., 1982.

SOURCES : Arch. Nat., F/1bI/ 724 et 1042, F17/24943. — Notice personnelle de Titres et travaux. — Notice biographique par Claude Schuhl (Association Curie et Joliot-Curie). — Archives de Pierre Biquard communiquées par la famille. — Archives Joliot-Curie communiquées par la famille. — Archives de l’ESPCI. — Ouvrages cités de Pierre Biquard. — Entretiens avec Pierre Biquard, les 19 février, 2 avril et 10 juillet 1990. — « La mémoire du siècle », France Culture, Georges Léon, 6 août 1986. — Vigilance, publication du CVIA (1935-1937). — Le Monde scientifique, publication de la FMTS (1957-1969).— Notes de Jacques Girault.

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