GEOFFROY Clara

Par Philippe Bourrinet

Née le 8 octobre 1917 à Paris (XIIe arr.), morte le 15 avril 2006 à Paris XXe arr.)  ; enseignante en France et au Vénezuela ; Jeunesses communistes, Fraction italienne bordiguiste, communiste internationaliste pendant la guerre à Marseille, membre de groupes internationalistes (Internationalisme, Révolution internationale). Active politiquement jusqu’à sa mort.

Clara Geoffroy (à droite) avec son compagnon Marc Chirik, Paris, fin des années 1970 (Photo de Jean-Louis Roche).

La mère de Clara Geoffroy, Rebecca Grinberg, Juive originaire de Simferopol (Crimée), militante du Parti ouvrier social-democrate russe (POSDR), avait quitté la Russie pour la France afin d’entreprendre des études de médecine, dont étaient exclus et les femmes et les Juifs.

À Paris, Rebecca Grinberg ne put mener à bout ses études de médecine mais obtint le diplôme d’infirmière. Elle se maria à Paul Geoffroy, un ouvrier syndicaliste-révolutionnaire, membre de la Confédération générale du travail (CGT) qui adhéra au Parti communiste français fondé à Tours (25-30 décembre 1920). En 1929, Clara Geoffroy qui venait juste de perdre sa mère, adhéra aux Jeunesses communistes. En 1934, elle se rendit à Moscou avec son père, pour visiter la soeur de sa mère. Ce qu’elle vit et sentit fut un choc émotionnel : la terreur, les conditions de vie inhumaines pour le petit peuple, tandis que, pensait-elle, s’enrichissait sur le dos des ouvriers une impitoyable nouvelle classe dirigeante, « construisant le socialisme » pour son seul profit de couche parasitaire et criminelle. Cet éveil brutal à la réalité d’un capitalisme d’État, affublé de l’étiquette « socialiste », l’amena à rompre avec la PCF.

En 1936, elle entra en contact avec l’Union communiste (U.C.) d’Henri Chazé (Gaston Davoust*). Chez Szajko Schönberg* (dit Laroche) qui militait à l’U.C., elle rencontra l’homme de sa vie. Vers 1937-1938 (son prénom apparaît dans les revues Bilan et Octobre, comme contributrice), elle se liait pour la vie à Marc Chirik, qui avait quitté l’U.C. et s’était engagé dans la Fraction de la gauche communiste italienne.En 1939, son compagnon Marc Chirik, comme son ami Jean Malaquais, bien que non-Français apatride, furent jugés aptes à « défendre la patrie ». En juin 1940, quand Chirik fut fait prisonnier par l’armée allemande, près d’Angoulême (Charente), Clara Geoffroy et Benjamin Feingold*, se rendirent en bicyclette à Angoulême, pour découvrir qu’il était interné dans un camp allemand. En septembre 1940, tous deux réussirent à le faire évader et rejoignirent Marseille, en zone Sud vichyssoise.

À Marseille, Clara Geoffroy fut plus que la compagne d’un militant de la Fraction italienne. Personne profondément humaine et douée de réels talents diplomatiques, elle joua un rôle fondamental dans la reprise des contacts distendus par la guerre et l’occupation. Elle participa aussi à l’activité de l’OSE (Œuvre de secours aux enfants), qui sauva en France 5.000 enfants juifs. C’est cette activité qui permirent à Clara et à son compagnon de ne pas être liquidés après leur arrestation par les FTP staliniens, en juin 1944, qui avaient trouvé dans une sacoche de Marc Chirik de la littérature internationaliste en allemand. Une activité de propagande révolutionnaire en allemand (et en yiddish) qu’avaient développée aussi bien Vsevolod M. Eichenbaum (Voline*) que les RKD de Georg Scheuer*, avec lesquels était en contact la Fraction italienne à Marseille.

Établie à Paris après mai 1945, elle connut la scission au sein de la gauche communiste italienne en France. De cette scission naquit la Gauche Communiste de France (GCF) qui resta très vite isolée du Parti communiste internationaliste (PCInt.), fondé en Italie du Nord en novembre 1943 par Onorato Damen* et Bruno Maffi. Son évolution se fit au travers de la la GCF, qui publiait la revue Internationalisme, et se maintenait en contact autant avec le GIC de Canne-Meijer, le Spartacusbond aux Pays-Pas qu’avec le groupe parisien autour de Munis*. Avec l’éclatement de la guerre de Corée, Marc Chirik, estima la troisième guerre mondiale inévitable en Europe. La GCF fut dissoute en 1952 et Marc Chirik partit pour le Vénézuela, Robert Salama* pour la Réunion, tandis que Jean Malaquais* était déjà établi aux USA.

Clara Geoffroy rejoignit plus tard son compagnon avec son tout jeune fils Marc. A Caracas, elle enseigna le français. En 1955, avec l’aide d’un collègue, elle fonda le College Jean-Jacques Rousseau, qu’elle dirigea pédagogiquement tandis que son compagnon en était l’administrateur, le jardinier et le chauffeur du ramassage scolaire. Comme il existait déjà un lycée Pascal, catholique et non laïc, fondé en 1952, l’école française ne fut fréquentée d’abord que par 12 élèves, surtout des filles. Sa laïcité et la pédagogie de sa directrice attirèrent bientôt des centaines d’élèves. En 1964, autour d’un groupe de jeunes, dont son fils Marc, se forma un petit groupe de jeunes qui publia la revue Internacionalismo, qui, tout en affichant un léninisme critique, tentait de concilier les positions de la gauche communiste “bordiguiste” et celles de la gauche communiste germano-hollandaise. Clara ne participa pas directement à cette activité politique, tout en subissant les contrecoups. Après que Marc Chirik eut rejoint en mai 1968 la France, l’école fut perquisitionnée, son fils arrêté et menacé de mort par la police. C’est elle qui par son aura humaine put faire sortir son fils de prison, en négociant directement avec l’ambassadeur de France à Caracas. Elle put négocier la fermeture légale de l’école et le rapatriement des fonds investis par elle et son compagnon.

Clara Geoffroy quitta alors le Vénézuela et rejoignit son mari d’abord à Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), puis à Paris. Ceux-ci étaient très liés à Josep Rebull* (1906-1999) et à Teresa Rebull* (1919-2015), elle-même grande amie de Clara. Son compagnon devint vite le mentor du groupe publiant dès 1968 la revue Révolution Internationale (R.I.), dont les jeunes membres français se situaient plutôt dans la mouvance communiste des conseils. Elle s’intégra plus tard dans le groupe R.I. unifié en 1972, par la fusion avec l’Organisation conseilliste de Clermont-Ferrand (Guy Sabatier) et les « Cahiers du communisme de conseil » (Robert Camoin) à Marseille. Elle fut active à partir de 1975 dans le groupe international “Courant communiste international”, issu de la fusion de divers groupes nationaux.

Malgré l’évolution tortueuse (selon Munis) du groupe CCI, engagé de plus en plus dans un processus de sectarisation, Clara Geoffroy, toujours débordante d’humanité et de bienveillance, maintint les relations avec de vieux amis comme Serge Bricianer*, Louis Évrard*, Georg Scheuer et Jean Malaquais. Lorsque dans les années 1990, après la mort de son compagnon, son groupe auquel elle appartenait formellement s’engagea dans une politique sectaire, et que les anathèmes et les exclusions se succédèrent, elle alla à contre-courant. Elle accueillit toujours chez elle ou en maison de repos comme ses propres enfants les anathémisés, même si ceux-ci étaient considérés comme des “parasites” par son organisation. Ce qui laissait apparaître un grand courage, étant elle-même terrorisée que son groupe apprenne qu’elle ne fermait sa porte à aucun des « enfants de la révolution ».

Ses convictions de femme révolutionnaire, en dépit de tous ces aléas, demeurèrent intactes jusqu’à sa mort (15 avril 2006), pendant près de 70 années. Comme le soulignait un site web italien, “sans femmes, il n’y a pas de révolution”.

Lors de son enterrement quand Michel Roger, ancien militant et auteur de travaux sur la gauche communiste italienne, voulut lui rendre hommage, l’assistance de militants du CCI se recula ostensiblement de quatre pas en arrière, suivant une pratique stalinienne bien rodée à l’égard de ses anciens militants. Cela souleva l’indignation générale, en particulier de Geneviève Nakach, auteur de la biographie de référence Malaquais rebelle, qui avait interviewé Clara Geoffroy.

Par un ferme et clair geste politique, son fils Marc Geoffroy, communiste des conseils, tint à ce que les archives politiques de ses parents ne soient pas remises au groupe “Courant communiste international”, auquel elle avait appartenu, mais conservées en sûreté.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article167742, notice GEOFFROY Clara par Philippe Bourrinet, version mise en ligne le 20 novembre 2014, dernière modification le 9 mars 2021.

Par Philippe Bourrinet

Marc Chirik, Paris, fin des années 1970 (Photo de Jean-Louis Roche). ">
Clara Geoffroy (à droite) avec son compagnon Marc Chirik, Paris, fin des années 1970 (Photo de Jean-Louis Roche).

SOURCES : Munis, Trayectoria quebrada de Révolution internationale, groupe « Alarma », Paris, 1974. – Jean-Louis Roche, Marc Laverne et la Gauche Communiste de France (années 1920 à 1970), 1993, tome I, Châtillon, 492 p. – Marc Laverne et le Courant communiste international, une conception classique de l’organisation révolutionnaire (années 1970 à 1990), tome II, 1998, Châtillon, 497 p. – Bricianer, Serge, 1923-1997 : http://libcom.org/history/bricianer-serge-1923-1997. – « Construction de l’organisation des révolutionnaires : thèses sur le parasitisme », Révolution Internationale, juillet 2005. –– « Omaggio alla nostra compagna Clara », Rivoluzione Internazionale, n° 146, Naples, 2006. – Site web italien “Donne e rivoluzione (Senza donne, niente rivoluzione)” : Clara Geoffroy (1917-2006) : http://donneriv.blogspot.fr/2006/10/clara-geoffroy-1917-2006.html (18 oct. 2006). – Geneviève Nakach, Malaquais rebelle, Cherche-Midi, Paris, nov. 2011. – Michel Roger, Les années terribles (1926-1945). La Gauche italienne dans l’émigration, parmi les communistes oppositionnels, Paris, « Ni patrie ni frontières », Marseille, 2012, 324 p. – Michel Roger, La Gauche communiste de France, Paris, janvier 2013. – Agustin Guillamon, Espagne 1937 : Josep Rebull, la voie révolutionnaire, Spartacus, Paris, juin 2014. – Témoignages de Michel Roger, Guy Sabatier, Geneviève Nakach.

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