ROUSSEAU Eugène, Isidore.

Par Jean Puissant

Jemappes (aujourd’hui commune de Mons, pr. Hainaut, arr. Mons), 18 décembre 1871 – Haine Saint-Pierre (aujourd’hui commune de La Louvière, pr. Hainaut, arr. Soignies), 1er août 1922. Gamin de verrerie, ouvrier métallurgiste, boulanger puis dirigeant de la coopérative Le Progrès à Jolimont (aujourd’hui commune de La Louvière, pr. Hainaut, arr. Soignies), conseiller communal et échevin à Haine Saint-Pierre, conseiller provincial du Hainaut, député représentant le Parti ouvrier belge de l’arrondissement de Thuin.

Fils d’Augustin Rousseau, terrassier, journalier, et d’Eugénie Lorette, tous deux originaires de Masnuy Saint-Pierre (aujourd’hui commune de Jurbise, pr. Hainaut, arr. Mons), Eugène Rousseau appartient à une fratrie de sept enfants (deux garçons et cinq filles) dont il est l’aîné. Il suit l’école primaire de Masnuy Saint-Pierre, puis en 1880 celle de Haine Saint-Pierre où se sont installés ses parents. Il abandonne l’école en 1882 pour travailler aux verreries de Mariemont jusqu’en 1885 puis aux ateliers métallurgiques Nicaise et Delcuve.

Membre de la Ligue ouvrière de Jolimont, Eugène Rousseau est licencié pour activités politiques dans l’entreprise. Membre de la coopérative le Progrès de Jolimont, il participe en 1889 à la dissidence de la coopérative La Sociale de Baume (hameau métallurgiste de la commune) mais regagne le Progrès où il devient boulanger vers 1893 certainement, où il y gagne quatre francs par jour. Dès 1894, il est adjoint à la direction de la coopérative dirigée par Théophile Massart. Au décès de ce dernier en 1904, Eugène Rousseau en devient le secrétaire, puis le secrétaire général. À ce titre, il est à l’origine d’un véritable affrontement avec le Bon Grain (SA) de Valère Mabille*, concurrent situé à Morlanwelz-Mariemont, qui conduit à un procès médiatisé qui souligne la malignité de la propagande de la société catholique à l’égard du Progrès et qui renvoie dos à dos les protagonistes en jugeant que le conflit relève de la concurrence exacerbée entre les deux sociétés, mais en rejetant la requête du Bon grain (1903).

Eugène Rousseau est devenu un militant actif du Parti ouvrier belge (POB). Il dirige d’abord et anime une fédération de la Jeune garde socialiste (JGS). Lui-même a tiré un « mauvais numéro », mais a été réformé pour des problèmes de vue en 1891. Il rédige des proclamations, tient des meetings à l’occasion du tirage au sort pour en dénoncer l’iniquité. Il est ainsi condamné en mai 1891 à une amende administrative de trente francs. En février 1892, il participe à la création de L’Espérance, société de secours mutuels et de propagande socialiste à Baume. Il la représente aux congrès nationaux du POB en 1892 et 1893 qu’il fréquente ensuite assidûment jusqu’à la Première Guerre mondiale. Il figure au sein du nouveau Comité fédéral du POB bassin du Centre de 1890 à 1892. Jeune homme, il devient donc un des militants socialistes en vue, dynamisme encouragé par son recrutement au Progrès.

À la suite de la révision constitutionnelle de 1893 et de la préparation des élections au suffrage universel tempéré, la Fédération du Centre est dissoute. Les organisations locales rejoignent la fédération régionale de leur arrondissement administratif. C’est le cas des fédérations de Charleroi, de Soignies surtout (comprenant La Louvière). Mais il faut créer une nouvelle fédération de Thudinie. Eugène Rousseau en prend la direction. En 1911, il est élu conseiller communal à Haine Saint-Pierre et devient deuxième échevin (des Finances) dans une coalition avec le parti libéral. En 1914, il est élu conseiller provincial de l’arrondissement de Thuin. Le groupe socialiste est devenu majoritaire au conseil pour la première fois.

Les premières élections au suffrage universel masculin en 1919 sont un succès dans l’arrondissement de Thuin. Le POB y obtient 48,2% des voix mais surtout 61,6% dans le canton de Binche qui comprend les communes industrielles du Centre. Un deuxième siège y est obtenu. Eugène Rousseau est donc élu député, mais en raison de différents avec son parti et surtout d’une pénible maladie qui l’emportera, il démissionne le 17 décembre 1919 au profit d’Elie Hainaut. Il décède quelques temps plus tard.

Le Peuple du 2 août 1922 rend un sincère hommage (en deuxième page) à Eugène Rousseau en soulignant « ce que la classe ouvrière doit à l’infatigable combativité de cet homme d’action, de propagande et d’organisation ». Le quotidien officiel du POB impute à la maladie le différend qui l’a conduit à rompre avec son parti.

Eugène Rousseau épouse Irma Staquet (Houdeng-Aimeries, 1874 – Haine Saint-Pierre, 1907) en 1895 et, en secondes noces, Virginie Lienaux (Haine Saint-Pierre, 1874 – La Louvière, 1943) en 1910. Il a, avec chacune d’elle, un enfant. Une de ses sœurs, Adolie, est l’épouse de Daniel Clesse, militant et futur député luxembourgeois. Jules Lekeu (1907, p. 171) l’oppose à son homonyme, non apparenté, Émile Rousseau « … lui, toute spontanéité, tout mouvement, toute passion, tout cœur, tout nerf, tout élan s’offre ici en suggestif contraste… de taille élancée, les traits fins, arborant le pince-nez, comme un jeune maître du barreau… , jouteur redoutable », maniant tant le patois qu’un français châtié.

« Homme du Progrès », Eugène Rousseau partage, avec quelques ouvriers obstinés, la même réussite, à la fois professionnelle à la tête de la grande coopérative régionale, mais aussi politique comme mandataire. Il laisse une contribution historiographique majeure à cette épopée dont il a été un des principaux acteurs. En 1894, il est en effet l’éditeur d’un historique, rare dans les organisations ouvrières, basé sur la collecte systématique de témoignages et de documents depuis l’adhésion du Centre à l’Association internationale du travail avec pour devise : « Nous nous sommes souvenus ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article167775, notice ROUSSEAU Eugène, Isidore. par Jean Puissant, version mise en ligne le 20 novembre 2014, dernière modification le 26 décembre 2019.

Par Jean Puissant

ŒUVRE : collaboration au Progrès, au Peuple, à L’Avenir SocialHistoire du socialisme et de la coopération dans le Centre par De la Sociale, préface d’E. Vandervelde, éditeur Eugène Rousseau, Baume-La Louvière, 1894 (comité d’édition : A. Herlin, C. Decarnières, O. Massart, J. Selvais, V. Thurion, E. Rousseau) – La coopération socialiste et ses avantages, Gand, 1902 – L’œuvre d’une classe - Histoire documentaire de la société coopérative des ouvriers du Centre, « Au Progrès » à Jolimont, Gand, 1911 – avec MASSART O., La Solidarité de Fayt ou quarante et une année de Mutualité socialiste, Haine Saint-Pierre, 1911.

SOURCES : DE LA SOCIALE, Histoire du socialisme et de la coopération dans le Centre, préface d’E. Vandervelde, Éditeur Eugène Rousseau, Baume-La Louvière, 1894 – LEKEU J., À travers le Centre, Croquis et mœurs : enquête ouvrière et industrielle, Bruxelles, 1907 (icono) – JORIS F., 1885-1985. Histoire des fédérations. Soignies-Thuin, Bruxelles, 1985, p. 196 (Mémoire ouvrière, 10).

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable