CAVROT Ferdinand, Joseph. [Belgique]

Par Jean Puissant

Erbisoeul (aujourd’hui commune de Jurbise, pr. Hainaut, arr. Mons), 6 mai 1846 − La Hestre (aujourd’hui commune de Manage, pr. Hainaut, arr. Charleroi), 24 septembre 1918. Ouvrier mineur, militant socialiste, syndicaliste, mutuelliste, fondateur et dirigeant de la Fédération nationale des mineurs, conseiller communal de La Hestre, député représentant le Parti ouvrier belge de l’arrondissement de Charleroi.

Issu d’une famille ouvrière, Ferdinand Cavrot est mineur dès l’âge de douze ans au charbonnage du Haut-Flénu, puis aux produits de Flénu (aujourd’hui commune de Boussu, pr. Hainaut, arr. Mons) où il échappe à la catastrophe (coup de grison) du puits Sainte-Henriette de 1886. Il s’installe ensuite à La Hestre et devient ouvrier mineur au charbonnage de Mariemont, moins grisouteux. Il fait partie du conseil d’arbitrage de ce charbonnage dès sa création en 1890.

Ferdinand Cavrot aurait été membre de l’Association internationale du travail (AIT), militant d’associations ouvrières depuis 1871 : c’est lui qui l’affirme dans sa notice biographique du Parlement en 1894. Cela n’est pas impossible chronologiquement mais nous n’en trouvons aucune confirmation dans les sources. En revanche, son arrivée dans le bassin du Centre voit son implication dans le mouvement social s’affirmer avec force. Il est un des fondateurs de la mutualité de la Hestre en 1886 qui, avec La Solidarité de Fayt, crée la Fédération des mutualités du Centre en 1891.

Membre du Conseil fédéral du Centre en 1887, opposé au ralliement à Alfred Defuisseaux* et au Parti socialiste républicain (PSR), Ferdinand Cavrot forme, avec les dirigeants de la coopérative du Progrès de Jolimont (aujourd’hui commune de La Louvière, pr. Hainaut, arr. Soignies), la minorité restée favorable au Parti ouvrier belge (POB) dans la région. Le 21 mai 1887, il préside, comme délégué des ouvriers mineurs, avec L. Guinotte, administrateur-directeur des charbonnages de Mariemont-Bascoup, J. Weiler, ingénieur, et Henri Léonard, forgeron à La Hestre, secrétaires, une réunion destinée à mettre fin aux grèves (grève générale animée par les partisans d’Alfred Defuisseaux) qui touchent la région. Cette réunion est convoquée à la demande de la Ligue ouvrière de La Hestre et les patrons de la région sont invités à y assister. L’assemblée émet un vœu contre la loi Dumont (taxe sur l’abattage) à l’origine de la grève, refuse de se prononcer sur le suffrage universel, question politique qui est l’objectif de la grève, se prononce en faveur d’une demande de grâce pour les condamnés mais non à une amnistie, ni à un engagement des patrons à ne pas licencier des grévistes (objectif des Ligues ouvrières). Elle convoque enfin une réunion concernant la création de Conseils de conciliation et d’arbitrage ainsi que la création d’une caisse de retraite pour les ouvriers. Il s’agit d’une importante tentative des socialistes modérés et de certains patrons pour organiser la concertation sociale et éviter les grèves brutales comme celles qui se déroulent alors dans la région. En mai 1887, avec quelques socialistes comme César De Paepe*, Ferdinand Cavrot participe au Congrès libéral progressiste à Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale).

Lorsque la Fédération ouvrière du Centre se reconstitue au printemps 1889, Ferdinand Cavrot est membre du comité, avec la trésorerie pour fonction, une véritable constante. Mais il n’est pas réélu en 1890. Selon le commissaire de Feignies (sans autre confirmation, mais la suite semble lui donner raison), Cavrot, qui est un petit nouveau dans la région, mais déjà âgé de plus de quarante ans, se serait opposé, avec Victor Duby, au groupe dirigeant du Progrès de Jolimont, Théophile Massart et Jules Mansart. Mis en minorité tant à la coopérative, à la mutualité que dans sa commune, il se serait concentré sur les activités syndicales.

En 1888, avec Jules Mansart et Louis Artoos notamment, Ferdinand Cavrot parvient à créer plusieurs syndicats locaux de mineurs réunis en 1890 dans une Union fédérale des mineurs du Centre dont il est trésorier. Elle réunit presque tous les syndicats de mineurs du bassin, excepté à l’est, où certains se tournent vers les Chevaliers du travail de Charleroi. En 1890, Cavrot déclare lors du Congrès de La Louvière que les mineurs du Centre ne sont pas prêts à participer à une grève générale. L’animosité dont il fera l’objet viendrait de cette déclaration. Pourtant en mai 1891, lors d’une séance fédérale, il obtient un vote indiquant que les mineurs du Centre s’associeront à une grève générale si les mineurs d’autres bassins entament la grève pour les salaires ou la diminution du temps de travail.

L’Union est active lors des grèves générales en faveur du suffrage universel de 1891 et de 1893. De la Sociale décrit Ferdinand Cavrot ainsi : « Sa bonté, son intelligence, la force herculéenne dont il est doué, ses mouvements brusques, tout cela reflètent (sic) le mineur borain émancipé… Ouvrier mineur, il n’est pas le premier venu, il connaît lois et droit en matière de législature et les discute avec une autorité qui lui est toute spéciale. Il est très influent dans les sociétés et comités dont il fait partie… » (p. 364). C’est lui qui signe l’appel aux mineurs du Centre, dont il apparaît désormais comme le principal leader, pour la grève générale d’avril 1893 : « … Nous voulons la paix. Nous l’avons démontré par nos meetings, nos brochures, nos référendums, nos pétitions, par notre attitude légale… Au moment suprême… nous faisons notre devoir et n’avons rien à nous reprocher ». Ce texte confirme qu’il n’est pas un partisan par principe de la grève générale, mais qu’elle reste, après recours à tous les moyens constitutionnels, l’arme ultime qu’il faut cette fois utiliser.

Comme dirigeant syndical des mineurs du Centre, Ferdinand Cavrot participe à la création de la Fédération nationale des mineurs lors du Congrès de Jumet-Gohyssart (aujourd’hui commune de Charleroi) du 2 février 1890, dont il est nommé trésorier, congrès qui réunit les syndicats de mineurs des cinq bassins du pays. « La Fédération a pour but le bien-être général des ouvriers houilleurs en établissant une étroite solidarité entre eux pour tous les cas de grève, de chômage et de vieillesse… (et, pour ce) de réclamer en toute occasion le suffrage universel et d’obtenir par voie législative des réponses économiques inscrites dans le programme du POB » (article 1er). La Fédération s’inscrit donc d’emblée dans la triple perspective politique d’adhésion au parti et à ses objectifs dont le principal, le suffrage universel, et, d’autre part, d’envisager une organisation à bases multiples : caisses de résistance, de chômage, d’accidents et de vieillesse. Mais il s’agit d’une fédération, dès lors ces caisses restent de la responsabilité des syndicats locaux et éventuellement des fédérations régionales.

Ferdinand Cavrot fait partie du Comité national de la Fédération des mineurs, avec Louis Artoos, comme délégué du bassin du Centre. Il en est le trésorier. Il participe au Congrès international de Londres, préparatoire à la création de la Fédération internationale des mineurs à Jolimont en 1889. Il est un des délégués permanents des mineurs belges à la Fédération internationale qui a son siège à Londres. Il siège au Conseil supérieur du travail et de l’industrie dès sa création en 1892 (il en devient vice-président). Membre du conseil des Prudhommes de la Louvière (1886), militant inlassable de la conciliation et de l’arbitrage, il est partisan de l’unité syndicale au sein de la Fédération nationale et s’oppose donc ainsi à Jean Callewaert* désireux de préserver l’autonomie des syndicats de mineurs affiliés aux Chevaliers du travail dans la région de Charleroi principalement mais aussi dans la partie orientale du centre et dans le Borinage. L’unification se fera tardivement en 1904.
Le 6 août 1907, Ferdinand Cavrot dépose, au nom de la Fédération nationale des mineurs dont il est le trésorier ; devant la Commission d’enquête sur la durée du travail dans les mines de houille lors de la séance du groupe de La Louvière, section de Mons.

Élu conseiller communal socialiste à La Hestre en 1887 puis de 1895 à 1900, Ferdinand Cavrot se consacre ensuite à ses mandats syndicaux et parlementaire. Il est en effet élu député de l’arrondissement de Charleroi, comme candidat POB, sur une liste réunissant la Fédération démocratique (Jules Destrée*, Léopold Fagnart*) et les Chevaliers du travail (Jean Callewaert*, Pierre Lambillote*), qui remporte triomphalement l’ensemble des sièges de l’arrondissement aux élections au suffrage universel masculin tempéré par le suffrage plural en 1894. Il siège au Parlement comme député de l’arrondissement de Bruxelles du 27 mai 1900 à 1902 puis à nouveau comme député de Charleroi du 25 mai 1902 à sa mort, à l’exception de la période entre 1904-1908, les élections de 1904 constituant une cuisante défaite pour le POB après l’échec des grèves de 1902. Il est un des seuls véritables députés mineurs, sortis de la fosse pour entrer à la Chambre. Il y défend surtout les intérêts des mineurs, notamment en 1911 avec une proposition visant à augmenter sensiblement la pension des mineurs, proposition appuyée par de vastes manifestations dans le Hainaut.

Ferdinand Cavrot collabore épisodiquement à divers titres de la presse socialiste et à L’Ouvrier mineur. Lors de ses funérailles en 1918, en présence de délégations de tout ce que le POB compte en Belgique occupée, Désiré Maroille, collègue et ami au syndicat et au Parlement, après avoir souligné le rôle de Cavrot dans l’évolution de la législation sociale depuis l’entrée des socialistes au Parlement (inspection ouvrière, accidents, pension des mineurs, bains douches, la journée des neuf heures…), termine ainsi son discours : « La grande famille ouvrière est en deuil. Les mineurs surtout, à qui il a donné toute sa vie, tout son cœur… Il a vécu pour eux, rien que pour eux… »
Sa femme, Hortense Delvaux, décédée en juillet 1893, a participé à la fondation de la société de Libre pensée de la Hestre.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article168275, notice CAVROT Ferdinand, Joseph. [Belgique] par Jean Puissant, version mise en ligne le 8 décembre 2014, dernière modification le 4 avril 2024.

Par Jean Puissant

SOURCES : DE LA SOCIALE, Histoire du socialisme et de la coopération dans le Centre, La Louvière, 1894 − Le Courrier de l’Avenir, 6 octobre 1918 − DETHIER N., Centrale syndicale des travailleurs de la mine 1890-1950, La Louvière, 1950 − PUISSANT J. (éd.), Sous la loupe de la police française, le bassin industriel du Centre (1885-1893), Haine-Saint-Pierre, 1988, p. 54-64.

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