OUALIAN Noaga, Jean-Baptiste

Par Françoise Blum

Né le 26 décembre 1941 à Tilga (Haute-Volta/Burkina) - Technicien de recherche – Membre du Comité directeur de l’Union des Étudiants de Dakar (UED) – Vice-président aux affaires panafricaines puis président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) – responsable du Groupe Marxiste Léniniste Voltaïque (GMLV)– Membre de l’Organisation Communiste Voltaïque (OCV) – Membre fondateur du Prolétaire – Membre fondateur de l’Union des Communistes Burkinabé (UCB), de l’Organisation pour la démocratie populaire/Mouvement du Travail (ODP/MT) – Membre du bureau politique du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP)

Noaga Jean-Baptiste Oualian est né le 26 décembre 1941 (date supposée) dans le village de Tilga, en Haute-Volta. Son père était chef du village, situé en pays mossi. Il appartenait à la lignée des princes Kafando, nom changé en Ouali (Cigogne) pour éviter trop d’homonymies, et transcrit ensuite en Oualian. Son père avait neuf femmes, la mère de Noaga étant la première épouse et donc la reine, quatre garçons et « 10-12 filles » (« avant les Français on ne comptait pas »). En tant qu’aîné, Noaga aurait dû succéder à son père comme chef du village mais refuse deux fois, du fait, dit-il, de son aversion toute particulière pour la coutume du lévirat. Il s’est d’ailleurs converti au catholicisme, après qu’un instituteur de l’école primaire lui en ait donné le goût. « Ce baptême représentait pour moi la planche de salut pour éviter d’abord le lévirat, puis la polygamie », dira-t-il. Il devient donc Jean-Baptiste, alors que son prénom originel était Noaga. Lui-même a deux enfants, un garçon et une fille. Son père est décédé en juillet 1953 lors d’une épidémie de charbon.

Noaga est scolarisé à la sous-préfecture de Tougouri, située à 31 km de Tilga, dans le cercle de Kaya. Une école y avait été construite en 1947. Le chef de canton Naba Bélem-Wendé, membre comme lui à la lignée des Kafando, exigeait des chefs de villages dépendants de lui qu’ils envoient des enfants. Il y fut donc envoyé d’office. Il y entre en septembre 1947, après avoir été d’abord écarté par un recruteur qui sélectionne les enfants selon l’état de leur dentition ou au vu de leur nombril. Les élèves sont logés par des notables qui la plupart du temps confisquent à leur profit les vivres réparties par le chef de canton qui les a collectées dans les villages d’origine, condamnant les enfants à faire l’école buissonnière pour chercher leur pitance dans la nature, et les exposant du même coup au fouet du maître pour absence.

Après l’école primaire, Noaga, devenu Jean-Baptiste, poursuit ses études au lycée Philippe Zinda Kaboré de Ouagadougou où il arrive en 1954 et où il sera baptisé sous le nom de Jean-Baptiste. En 4ème, un professeur d’espagnol qui parle à ses élèves de culture et civilisation le persuade qu’il faudra un jour qu’il quitte son pays pour acquérir cette culture à laquelle il aspire.

Durant cette scolarité, il est bénévole à l’infirmerie. Il passe ainsi son diplôme de secouriste de la Croix-Rouge française en mai 1960. Parallèlement, il commence sa vie militante avec des réclamations qui touchent à la vie quotidienne et à l’hygiène (construction de WC, comblement d’un canal, amélioration du quotidien alimentaire etc). Ses activités militantes et sociales lui construisent une renommée, ce qui le conduit à accepter le poste de délégué général du lycée en 1963-1964. Cela l’amène à des actions telle qu’un entretien haut en couleur avec le ministre de l’éducation nationale à qui il réclame l’annulation de l’exclusion (sur la demande d’un professeur français) d’élèves, l’africanisation de l’alimentation. Contrairement aux prédictions et malgré cette algarade, il réussit son baccalauréat série sciences expérimentales, en 1964, tout en consolidant sa notoriété.

Il obtient une bourse pour Dakar (il considérait qu’il fallait choisir une université africaine) où il arrive en septembre 1964. Il y loge à la cité universitaire, dans la même chambre qu’un camarade qui lui enseigne les rudiments de l’histoire du mouvement étudiant et politique. Il apprend ainsi que l’association des scolaires voltaïques (ASV) a décidé de ne plus impliquer les scolaires restés en Haute-Volta par peur des représailles du gouvernement de Maurice Yameogo. Ce camarade l’informe également que l’AEVF (Association des étudiants voltaïques en France) a fini par s’unir en aout 1960 à l’ASV de Dakar pour créer l’UGEV (Union générale des étudiants voltaïques), née dans la clandestinité et jamais reconnue légalement. Il commence alors à s’impliquer dans le militantisme étudiant et garde encore de cette époque une photo où il pose en uniforme de combattant en guise de soutien à la Guinée Bissau. Après la répression du mouvement de protestation contre la chute de N’Krumah en février 1966, il rentre en Haute-Volta avec ses compatriotes, choisissant volontairement de déserter l’université d’un régime qui ne respecte plus les franchises universitaires. Dès avril-mai, ses camarades et lui retournent néanmoins à Dakar, à la suite de quelques concessions faites par Senghor. Membre du comité directeur de l’UED (Union des étudiants de Dakar), premier responsable de la section PAI (Parti africain de l’indépendance) voltaïque de Dakar de 1966 à 1968, il participe aux luttes du mai 68 dakarois et est finalement , de même que tous les étudiants étrangers, expulsé. Suite à son succès à des examens qui se tiennent malgré tout en Haute-Volta, il bénéficie d’une des bourses offertes alors par la France. Le 12 aout 1968, il se marie avec une musulmane dont le père, originaire de Boromo, vivait en pays Bissa en tant qu’imam. Elle y travaille dans un dispensaire. Il obtient malgré la différence de religion le consentement du père et se marie sous le régime de la monogamie ce qui est alors source d’étonnement des agents présents de l’administration. Son épouse décède en janvier 1971.

Il arrive le 10 décembre 1968 à Bordeaux où il est logé sur le campus de Talence dans le village 1, réservé aux scientifiques, alors que lui-même est inscrit en lettres. Très vite informé par un devancier, Tiendrebogo Issa, de l’existence d’une section bordelaise de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France), de même que d’une sous-section de Bordeaux de l’AEVF, il se retrouve bientôt vice-président puis président de la section de Bordeaux de la FEANF (1969-1970). Il devient également président du CLEOM, (Comité de Liaison des Étudiants d’Outre-Mer) qui regroupe aux côtés des étudiants de la FEANF, Martiniquais, Guadeloupéens, Haïtiens et Malgaches et développe des relations avec les groupes gauchistes français. Il insiste sur l’importance d’être légaliste en pays démocratique et de se servir du ou des droits et d’utiliser toutes les possibilités légales existantes pour ses activités militantes et de ne pas troubler l’ordre public. La FEANF s’abstient alors de manifestations publiques, les ayant payées par des expulsions au début des années 60. Cela n’empêche pas d’autres types d’action, comme les occupations d’ambassade à Paris. A Bordeaux, c’est par exemple une forte délégation qui occupe l’OCAU (Office de coopération et d’accueil universitaire). Au temps de sa présidence bordelaise, Jean-Baptiste Oualian engage le débat sur la ligne politique du Parti Africain de l’Indépendance (PAI) dont il conteste avec certains de ses camarades la fidélité au marxisme-léninisme. Il considère aussi que la Chine, contrairement à l’Union soviétique, est restée sur une ligne révolutionnaire. Ces dissensions conduisent à la création, à côté du PAI, du Groupe marxiste-léniniste voltaïque (GMLV). Mais Oualian est alors confronté à une série de difficultés. Sa bourse est supprimée une première fois en juin-juillet 1969. Il en obtient néanmoins le rétablissement grâce à une visite à l’inspection académique. Mais elle est supprimée une seconde fois et un jour qu’il rentre d’un voyage à Paris, il trouve sa chambre condamnée. Il cherche alors un logement et du travail et essuie de multiples refus, qu’il attribue à des listes que font circuler les Renseignements Généraux. Il vit de l’aide de proches : un ami français qui lui trouve d’abord gîte et couvert chez son père à Pessac, puis une chambre peu chère chez les curés de Pessac, un ami malgache grâce auquel il a fini par trouver un travail de nettoyage de nuit dans un grand magasin, un autre ami qui, quand il a lui-même du travail, lui donne une partie de ses propres revenus, etc . Mais toutes ces tracasseries et d’autres, d’ordre plus universitaires – hostilité de certains enseignants à son égard pour raisons politiques, ce qui lui était d’ailleurs déjà arrivé à Dakar - lui font penser qu’il est nécessaire de quitter Bordeaux pour Paris. Ses camarades l’appellent d’ailleurs à Paris pour qu’il prenne la présidence de l’AEVF. L’argent du voyage va lui être payé par une camarade expulsée de l’UEC pour gauchisme. Il arrive néanmoins trop tard à Paris pour prendre la tête de l’AEVF et entre en revanche au CE de la FEANF, dont le congrès a lieu juste après celui des associations nationales, comme vice-président aux affaires panafricaines. On lui propose également une chambre à la maison des étudiants voltaïques. Il est chargé entre autre des relations avec les mouvements de lutte de l’Afrique portugaise. Il participe ou il contribue à l’activité de l’intergroupe qui réunit les différents GML (Groupes Marxiste-Léninistes territoriaux ). Il devient président de la FEANF pour l’année 1973 (les élections ont lieu en décembre 1972). Il effectue aussi un certain nombre de voyages en tant que représentant de la FEANF. Il est envoyé en Albanie en juillet-août 1972 au congrès de la jeunesse, puis y retourne en 1973 et 1974. Les relations avec les Albanais sont excellentes, et le seront encore plus après l’adoption par la Chine de la théorie des trois mondes que récusent les GML. Jean-Baptiste Oualian serre la main d’Enver Hodja, est reçu par son fils. Il visite également deux fois la Fédération des étudiants africains en Italie. Il représente la FEANF au congrès de l’UIE (Union internationale étudiante) à Budapest. Il y rédige et distribue un tract mettant en cause l’influence soviétique sur l’UIE, ce qui leur vaut, à lui et son camarade, une expulsion manu militari de la Hongrie, en mai 1974. Par ailleurs, il est, à partir de 1972, le premier responsable du GMLV. Le groupe a des sections clandestines à Ouagadougou, au Togo, à Niamey et en Union soviétique.

Ses activités militantes ne lui permettent pas vraiment de suivre le cursus auquel il s’est inscrit. Il obtient néanmoins, en 1977, sa licence d’enseignement de langues vivantes étrangères (Espagnol) à l’université de Paris IV-Sorbonne, diplôme d’un DESU-Documentation à l’université de Paris VIII-Vincennes (1981), d’une licence des sciences du langage à l’université Paris III-Sorbonne nouvelle, et d’une maîtrise de documentation et information scientifique et technique à l’université Paris VIII.

Il mène alors la vie classique d’un étudiant très engagé et connaît les péripéties liées aux tentatives des états pour mettre au pas leurs étudiants. C’est par exemple, le 7 aout 1973, l’expulsion par la police des étudiants logés à la Maison des étudiants voltaïques (3 rue Gérando), expulsion que les étudiants réussiront à médiatiser. Ils seront finalement relogés dans un immeuble du 12 rue Fessart rebaptisé non plus Maison des étudiants mais Maison du Burkina-Faso, et dont ils ont perdu la gestion.

Ce sont aussi l’écriture et la diffusion clandestine en Haute-Volta de tracts, du journal Jeune Volta et de moults débats très théoriques. La réflexion de Oualian le mène à l’adoption du concept stratégique de "Révolution nationale démocratique et populaire" (RNDP), adoptée au XXVIe congrès de la FEANF, concept remplacé par celui de RDP ("Révolution Démocratique et Populaire") par Thomas Sankara lors de son Discours d’Orientation Politique (D.O.P.) du 2 octobre 1983, et dont certains attribueront la paternité à la FEANF. Le concept de RDP (Révolution Démocratique et Populaire) renvoie à l’idée que la prochaine révolution après 1960 au Burkina ne peut pas encore être socialiste mais doit arracher le pouvoir aux bourgeoisies bureaucratique et compradores pour permettre à la bourgeoisie nationale patriote (ou nationaliste progressiste) de promouvoir une politique d’industrialisation nationale. Par contre pour Jean-Baptiste Oualian, le slogan de RNDP est valable pour la FEANF "organisation patriotique de masse anti-impérialiste" (qui n’est donc pas un parti politique). Quand il parle à des communistes, son mot d’ordre est « Révolution démocratique et populaire », dans la mesure où il considère que depuis les indépendances, il n’y a plus lieu de parler de révolution nationale. Il vit alors toujours d’expédients, soit d’argent qu’il a gardé de la période où il était boursier, soit de l’aide d’amis. Il a décidé de ne pas quitter la France tant qu’un GML assez important pour être ensuite rapatrié au pays n’y sera pas constitué. Le but du GML était d’enlever au MLN (Mouvement de libération nationale), anti-communiste, la direction du mouvement étudiant voltaïque , ce qui est apparemment réussi au Ve congrès de 1971 de l’UGEV, à Ouagadougou. Cela a conduit le gouvernement voltaïque à exercer une surveillance plus sévère sur le mouvement étudiant en France. Par ailleurs , Oualian est hostile à la création d’un parti essentiellement d’intellectuels marxisants, qui prendrait la place du GML, qu’il juge prématurée malgré la ferme suggestion faite par les Albanais. En juillet 1977, néanmoins, lors d’une conférence nationale clandestine au Burkina, le GML adopte un programme et l’appellation d’OCV (Organisation communiste voltaïque). Oualian et quelques autres refusent en revanche la transformation de l’OCV en PCRV (Parti communiste révolutionnaire voltaïque, créé en 1979). Il démissionne d’ailleurs de l’OCV en novembre 1977 et un an plus tard, en 1978, crée avec quelques compagnons le Prolétaire qui deviendra l’ULC (Union des luttes communistes) sans que Oualian y participe toutefois. Certains le considèrent alors comme un « pachyderme ». Il n’en participe pas moins encore à la création de deux groupes ou partis : à Paris, en 1983 « En avant pour le parti », qui deviendra une section de l’UCB (Union des communistes burkinabé), dont il fait également partie des membres fondateurs, en 1984. Il participe encore à la création de l’ODP/MT (Organisation pour la démocratie populaire/Mouvement du travail), à celle de l’ADB (Association pour le développement du Burkina) en 1994. Quand, en février 1996 , l’ODP fusionne avec 8 autres partis pour donner le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès), Oualian est élu membre du bureau politique national.

Un décret du 25 décembre 2007 lui confère le grade de chevalier de l’ordre national du Burkina-Faso.

Au-delà des appartenances et des combats théoriques, Oualian a été et reste une personnalité charismatique qui a exercé une grande influence. Il est encore de nos jours, tout en continuant à vivre à Paris, un homme de recours pour ses compatriotes. Étudiant en diaspora, il a finalement renoncé pour des raisons politiques - la distance lui semblait plus propice à l’action - puis peut-être parce que sa vie s’ est construite en France, à rentrer au pays. Il s’est remarié avec une Française rencontrée à la librairie maoïste Norman Béthune et dont il a deux enfants. Après quelques années où il a été contractuel en bibliothèque, il a trouvé un emploi de technicien de recherche et de formation à la bibliothèque du monde anglophone (Paris III-Paris IV). Il a acquis la nationalité française. Il est aussi caractéristique de ces étudiants des années 60 et 70 qui ont investi la plus grande partie de leur existence dans le combat politique, opposants éternels à des régimes qui ne furent pas tendres avec eux et, qui, dotés d’une solide culture marxiste, ont animé les débats théoriques de leur temps.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article168278, notice OUALIAN Noaga, Jean-Baptiste par Françoise Blum, version mise en ligne le 8 décembre 2014, dernière modification le 18 juin 2015.

Par Françoise Blum

SOURCES : Entretiens avec Jean-Baptiste Oualian, juin 2014

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