TUCCI Enzo

Par Jean-Sébastien Chorin

Né le 19 octobre 1908 à Florence (Italie), fusillé le 19 février 1944 au fort de la Duchère (Lyon, Rhône) ; polisseur ; résistant au sein des groupes francs de l’Armée secrète (AS) à Lyon.

Fils d’Edoardo Tucci et d’Elvira Purtinuri, Enzo Tucci était polisseur, marié et avait deux enfants. Il devint caporal-chef des chasseurs alpins de la 4e armée des troupes italiennes d’occupation en France. Après l’armistice du 8 septembre 1943, les Allemands rassemblèrent les hommes de sa compagnie dans des casernes à Grenoble (Isère) afin de négocier avec eux. Mais les Italiens refusant toutes propositions, les Allemands considérèrent Enzo Tucci et ses compagnons comme des internés militaires utilisables pour le travail en territoire français. Les soldats italiens furent rassemblés au camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), puis déplacés le 3 octobre à Mont-de-Marsan (Landes), où ils durent travailler pour l’Allemagne. Les militaires allemands tentèrent ensuite de les conduire en Allemagne. Les Italiens résistèrent et purent rester en France. Enzo Tucci réussit à prendre le maquis en janvier 1944. Il intégra ensuite les groupes francs du Ve bureau de l’AS à Lyon. Suite à des opérations de la police et de la Milice contre les groupes francs de Lyon, dix-sept résistants se replièrent entre le 14 et le 17 février 1944 dans deux maisons hors de la ville. L’une était située dans le hameau de Vancia à Miribel, dans l’Ain (aujourd’hui à Rillieux-la-Pape, dans le Rhône), l’autre à Écully (Rhône). C’est à Vancia, dans la maison de l’ancienne cure de l’église, qu’Enzo Tucci se réfugia avec huit compagnons.
Dans la nuit du 17 au 18 février 1944, suite à une dénonciation, des miliciens, des Allemands et des Groupes mobiles de réserve (GMR) attaquèrent le refuge de Vancia. Le chef de l’équipe réussit à s’échapper. Un milicien fut tué. Débordés par le nombre, les résistants se rendirent au bout de neuf heures de combat. L’un d’eux, interrogé par Joseph Darnand (chef de la Milice et secrétaire général au Maintien de l’ordre), donna l’adresse du refuge d’Écully. Dans la journée du 18 février, les miliciens et les GMR attaquèrent les hommes cachés à Écully. Cernés et à court de munitions, ils furent également contraints de se rendre.
Les résistants arrêtés à Vancia et Écully furent conduits à L’Alcazar, local de la Milice situé montée du Chemin-Neuf à Lyon. Les miliciens les torturèrent. Des policiers français établirent des procès-verbaux officiels à partir des aveux obtenus sous la torture. Ces procès-verbaux furent transmis à Georges Marionnet (chef milicien et membre du cabinet de Joseph Darnand au secrétariat général du Maintien de l’ordre [SGMO]), qui dirigeait les interrogatoires. Georges Marionnet considéra que ces procès-verbaux étaient trop tempérés pour garantir la condamnation à mort des prisonniers. Il exigea qu’on y ajoute les réponses aux trois questions : « Étiez-vous présents lors de l’affaire de Vancia et Écully ? », « Aviez-vous des armes à disposition ? » et « Vous êtes-vous servis de ces armes ? »
Après l’interrogatoire, deux résistantes, arrêtées également le 18, durent procéder à une toilette sommaire de leurs camarades, dont les visages étaient tuméfiés et couverts de sang.
Le 19 février, Enzo Tucci et ses compagnons furent conduits à la prison Saint-Paul (Lyon), où ils furent incarcérés. Ils comparurent devant la cour martiale du SGMO dans la salle de l’anthropométrie de la prison Saint-Paul. La cour martiale fut composée de Georges Marionnet, président de la cour, d’Eugène Panebœuf (chef régional de la Milice) et de Simide (chef milicien de Bourg-en-Bresse), assesseurs, tous désignés par Joseph Darnand. La cour ayant déjà statué sur le sort des accusés, l’audience se résuma à la lecture de la sentence (« jugement d’une demi-heure, tout au plus », d’après le témoignage de Roland Hételle). Ils furent condamnés à mort. Selon les règles de fonctionnement des cours martiales du SGMO, les condamnés n’eurent droit ni à l’assistance d’un avocat ni à aucun recours d’aucune sorte. Ensuite, le surveillant-chef remit une feuille aux condamnés, afin qu’ils puissent faire leurs adieux à leurs familles. René Cussonac, l’intendant de police de Lyon, détruisit les lettres, soit en les déchirant devant leurs yeux, soit en les brûlant.
Le 19 février 1944, rapidement après le jugement, Enzo Tucci, Jean-Baptiste Mazurat, Jacques Granger, Jean-Claude Chevailler, Claudius Bouit, Roland Boeglin, Louis Bonavent, Sergio Dal Pero, Aimé Lhopital et Marcel Tardy furent conduits dans les fossés du fort de la Duchère. Ils marchèrent jusqu’aux poteaux en chantant « La Marseillaise » et « L’Internationale ». Beaucoup d’entre eux refusèrent d’avoir les yeux bandés. Le peloton d’exécution fut constitué de GMR. L’un d’eux, Roland Hételle, refusa de tirer et fut arrêté. Les autres ne purent ou ne voulurent tirer franchement sur leurs cibles, si bien que l’exécution fut un massacre. Les résistants furent grièvement blessés et il fallut les achever à coups de pistolet.
La propagande vichyste se fit l’écho de cette victoire des forces du Maintien de l’ordre, notamment via le journal Le Nouvelliste du 21 février, le journal Lyon Républicain du 16 mars et l’éditorial de Philippe Henriot diffusé sur les ondes de Radio-Paris.
Le corps d’Enzo Tucci fut rapatrié et inhumé en Italie.

Lyon, fort de la Duchère (19 février - 4 août 1944)

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article168358, notice TUCCI Enzo par Jean-Sébastien Chorin, version mise en ligne le 10 décembre 2014, dernière modification le 2 mars 2022.

Par Jean-Sébastien Chorin

SOURCES : Arch. Dép. Rhône, 90J29, 3678W19. – Pia Leonetti Carena, Les Italiens du maquis, Éd. Del Duca, 1968. – Virginie Sansico, La justice du pire, les cours martiales sous Vichy, Éd. Payot, 2002. – René Chevailler, Gaëlle Marignan, Bruno Permezel, René Perrin, Les groupes francs, Libération-sud, Ve bureau de l’Armée secrète, une résistance lyonnaise en armes, Éd. BGA Permezel, 2004. – Jacques Delperrié de Bayac, Histoire de la Milice, 1918-1945, Fayard, 1969.

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