BLIN Roger, Paul, Jules

Par Olivier Neveux

Né le 22 mars 1907 à Neuilly-sur-Seine (Seine), mort le 20 janvier 1984 à Paris (Seine) ; metteur en scène et comédien.

Fils d’un docteur en médecine, et aîné d’une famille de cinq enfants, Roger Blin fit sa scolarité au collège Sainte-Croix de Neuilly. Fréquentant la Sorbonne, où, il passa une licence de lettres en 1928, il se passionna pour le dessin, passion qu’il entretint jusqu’à sa mort. Parallèlement à des études de lettres, il fit la connaissance d’Antonin Artaud, dont il fut l’assistant, en 1935, pour Les Cenci (il joua à cette occasion un rôle dans la pièce) et de Sylvain Itkine. Il assista aux travaux du groupe Octobre (animé entre autres par Jacques Prévert et le metteur en scène Lou Tchimoukow). Il participa par la suite à trois de ses spectacles : Suivez le druide, La Famille Tuyau-de-Poêle, Bonne route Capitaine. Il publia par ailleurs dans L’Ami du peuple et La Revue du cinéma des critiques cinématographiques. Progressivement, le jeu devint sa principale activité : d’abord figurant, il mena ensuite une carrière d’acteur au cinéma (avec Marc Allègret, Abel Gance, Marcel L’Herbier) et au théâtre (avec, entre autres, Jean-Louis Barrault, Charles Dullin et Sylvain Itkine qui animait le groupe Mars et avec lequel il joua en 1937 Ubu enchaîné d’Alfred Jarry). Il ne cessa par la suite, tout en menant son activité de metteur en scène, de revenir jouer au théâtre (avec Jean-Michel Serreau, Roger Planchon ou dans ses propres spectacles) et au cinéma (Jean Cocteau, P. Prévert, A. Zulawski, etc.). En 1942, convoqué pour jouer dans le film Entrée des artistes - dans lequel le comédien Dalio, en raison de sa judéïté, avait été remplacé - Blin refusa de s’y rendre. À l’issue de la guerre, il participa au groupe de l’Éducation par le Jeu Dramatique (EPJD) que fonda alors Jean-Marie Conty.

Il ne demeura pas à l’écart de l’action politique et s’engagea, particulièrement en 1934, dans deux initiatives significatives. Il signa aux côtés de nombreux intellectuels dont André Breton, Paul Éluard, Fernand Léger, André Malraux, le 10 février 1934, un « Appel à la lutte » remarqué, soulignant l’urgence d’une riposte vigoureuse aux menées fascistes dans l’unité d’action de toutes les organisations ouvrières et concluant par le mot d’ordre : « Vive la grève générale ». L’influence trotskyste n’était pas absente dans les termes du document. Roger Blin s’associa ensuite à la protestation énergique du 24 avril 1934 contre la mesure d’expulsion de France de Léon Trotsky prise par le gouvernement. Il était dès ce moment proche des milieux trotskystes qu’il ne cessa de fréquenter, manifestant sympathie et aide en de nombreuses circonstances. C’est ainsi qu’il adhéra à la Fédération internationale des artistes révolutionnaires créée fin 1938, à l’initiative d’André Breton après sa rencontre au Mexique avec Léon Trotsky.

Pendant le tournage d’un film à Nice en 1946, il prit part plus directement à l’activité de la cellule locale du Parti communiste internationaliste, vendant régulièrement La Vérité dans les quartiers populaires. L’organisation trotskyste ayant préparé un meeting avec la présence d’Albert Demazière, membre du comité central, le 12 juillet 1946, les dirigeants communistes de la région envahirent la salle avec près de deux cents de leurs militants avant l’ouverture de la réunion. Demazière fut assailli avec une violence extrême à son arrivée, aux cris de « À bas les fascistes ». Roger Blin fut également blessé, en même temps que ses camarades trotskystes. Le visage tuméfié et une dent manquante, il eut quelques difficultés pour le tournage du lendemain.

À partir de 1948, alors qu’il fut administrateur de la Gaîté-Montparnasse, il mit en scène ses premiers spectacles (textes de Johnston, Strindberg, Silvant). En 1952, il créa, La parodie, d’Arthur Adamov, auteur dont il avait joué en 1950, sous la direction de Jean-Marie Serreau La Grande et la Petite manœuvre. Il fut le créateur, l’année suivante, en 1953, d’En attendant Godot, de Samuel Beckett au Théâtre de Babylone qu’anima ce même Jean-Marie Serreau. Commença dès lors entre Samuel Beckett et Roger Blin une longue et fidèle collaboration : ce dernier créa successivement Fin de Partie (1957), La Dernière bande (1960) et Oh les Beaux jours (1963). De même, sa rencontre avec l’œuvre subversive et radicale de Jean Genet Les Nègres (1959) qu’il monta avec une troupe d’acteurs noirs Les Griots se répéta en 1966 avec Les Paravents, créée au Théâtre de France dit théâtre de l’Odéon, représentations qui donnèrent lieu, après les premières, à des violentes manifestations de l’extrême droite et à des contre-manifestations de défense du Théâtre animées par l’UNEF et des groupes d’étudiants d’extrême gauche. À l’Assemblée nationale, le député Christian Bonnet demanda la suppression de la subvention accordée au Théâtre, proposition refusée par André Malraux, ministre des Affaires culturelles. En 1968, Jean-Louis Barrault, le directeur fut remercié du Théâtre national de l’Odéon. Blin se solidarisa avec celui dont il fut l’acteur et l’ami et, dans Le Nouvel Observateur, « insulte par avance quiconque osera accepter sa situation à la direction de l’Odéon ».

Outre Beckett et Genet auxquels son nom est indéfectiblement lié, la liste des dramaturges qu’il porta à la scène est impressionnante : J. Duvignaud, J.-P. Faye, E. Manet, R. Dubillard, S. Mrozek, etc. et ceci dans des conditions matérielles extrêmement précaires. Roger Blin ne cessa d’être un metteur en scène attiré par des textes provocateurs en résonance directe avec l’actualité politique et internationale de son époque : « Les classiques français je n’y comprends rien. C’est du camaïeu. Et les relectures ne m’intéressent pas » (cité in Thibaudat, 1989). Il monta ainsi, en Suisse, en 1968, Les Charognards de R. Weingarten, pièce directement liée à la guerre du Vietnam, Boesman et Lena en 1976 du dramaturge sud-africain A. Fugard qui fustigeait l’apartheid et, en 1978, au Théâtre de la Commune à Aubervilliers, Minamata and Co. du japonais O. Takhahashi sur un scandale écologique (une société avait déversé des déchets de mercure dans la mer et ainsi empoisonné plusieurs dizaines de personnes).

Parallèlement à son activité de metteur en scène, Roger Blin s’engagea maintes fois politiquement et publiquement, participant à de nombreuses manifestations. Homme résolument à gauche - son engagement dans l’aventure d’Octobre, groupe « anticolonialiste, antipolicier, antimilitariste, anticuré et, dans une certaine mesure, antisocial-démocrate » tel qu’il devait le définir plus tard préfigurait son adhésion au Front populaire -, il affirma en dehors des « plateaux », et de créations en elles-mêmes significatives de son attachement à toutes les révoltes (Les Paravents), son soutien à diverses luttes. Il fut ainsi l’un des signataires de la Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie (dite « des 121 ») en septembre 1960, ce qui lui valut comme d’autres comédiens tels qu’Alain Cuny ou Laurent Terzieff d’ « être interdit d’antenne, [de ne] faire aucun cachet à la radio ni à la télévision, [de ne pas] jouer dans un théâtre d’État pendant une année ». Le 26 mai 1966, il participa aux « Six heures pour le Vietnam ». En 1968, il travailla à un projet de création d’École de théâtre ouvertement réfractaire aux cursus et aux institutions existantes. Il soutint, entre autres, la création du journal Libération en 1973 et s’associa, publiquement à un appel à manifester le 20 mai 1973 contre les exactions américaines commises au Vietnam. L’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981, si elle le « rendit plutôt content », mais sans excès, ne changea pas grand chose à sa situation. Il resta ce metteur en scène à la marge, en colère, provocateur, respecté - et pour cause...- mais peu célébré et peu aidé. Sa compagnie ne bénéficia toujours de subvention qu’au titre de « jeune compagnie ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16916, notice BLIN Roger, Paul, Jules par Olivier Neveux, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 4 juillet 2022.

Par Olivier Neveux

SOURCES : Odette Askan, Roger Blin, Lyon, La Manufacture, 1990. — Lynda Bellity Peskine, Albert Dichy, La bataille des « Paravents », Théâtre de l’Odéon, 1966, Paris, IMEC, 1991. — Roger Blin, Dessins [Festival d’Avignon 1985], Paris, Association pour l’œuvre graphique de Roger Blin, 1985. — Roger Blin, Lynda Bellity Peskine, Souvenirs et propos, Paris, Gallimard, 1986. — Michel Fauré, Le groupe Octobre, Paris, Éditions Christian Bourgois, 1977. — Jean Genet, Lettres à Roger Blin, Paris, Gallimard, 1986. — Sven Heed, Roger Blin. Metteur en scène de l’avant-garde (1949-1959), Éditions Circé, 1996. — Jean-Pierre Thibaudat, Chroniques d’un chasseur d’oubli, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1989, pp. 43-50. — J. Rabaut, Tout est possible, Paris, 1974. — M. Poch, Le groupe Octobre, expérience de théâtre populaire, mémoire de maîtrise, Paris 1. — La Vérité, 19 juillet 1946. — Renseignements recueillis par J.-M. Brabant. — Témoignage autobiographique de R. Blin du 5 mars 1979. — DBMOF, notice par Rodolphe Prager.

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