BLOCH Colette [née SELLIER Colette, Théophile]

Par Alain Dalançon

Née le 23 novembre 1919 à Paris (XIIe arr.), morte le 23 décembre 2016 à Chasseneuil-du-Poitou (Vienne) ; professeure de mathématiques ; Résistante, militante communiste, militante syndicaliste du SNESup.

Colette et Michel Bloch à la Mérigote à Poitiers

Née dans l’enceinte de l’entrepôt de Bercy où son père était contrôleur des contributions indirectes alors que sa mère, institutrice, avait quitté l’enseignement pour élever ses quatre filles, Colette Sellier fit ses études secondaires au lycée Fénelon à Paris. Après avoir obtenu le baccalauréat « philosophie » en 1936, elle entra en classe de mathématiques supérieures pour préparer le concours d’entrée à l’École normale supérieure de Sèvres. En juin 1939, elle échoua pour la deuxième fois à l’oral de ce concours, à cause de la chimie mais fut pourtant admise à l’École supérieure de chimie de Nancy, la même année, grâce aux mathématiques. Comme la chimie ne l’intéressait pas, elle accepta finalement la bourse de licence à laquelle l’admissibilité à l’ENS de Sèvres lui donnait droit, mais en province. La faculté de Strasbourg (avec les mathématiciens Bourbaki) venant d’être transférée à Clermont-Ferrand, elle s’y s’inscrivit.

En 1938, Colette Sellier avait adhéré à l’Union des Jeunes Filles de France, avec l’accord de ses parents, socialistes avant 1914, favorables au Front populaire et au syndicalisme en général mais méfiants à l’égard du Parti communiste. Elle se tint d’abord à l’écart des étudiants communistes et militait pour aider les enfants espagnols dans le Ve arrondissement. Elle adhéra le 1er octobre 1938 aux Étudiants communistes où les réunions sur des sujets politico-philosophiques étaient agitées. La signature du Pacte germano-soviétique la troubla d’abord mais son beau-frère, Marcel Weill, lui en exposa les raisons. Sa fidélité au Parti ne fut donc pas ébranlée.

Colette Sellier se retrouva à la fin octobre 1939 à Clermont-Ferrand, où elle ne connaissait personne. Elle fut alors mise en contact par l’intermédiaire de Francis Cohen, avec Michel Bloch, fils de Jean-Richard Bloch, professeur à l’école nationale professionnelle de Thiers, qui devint son fiancé puis son mari en 1945. Ce dernier lui fit connaître les militants des « Amis de l’Union soviétique » de la région.

Après la défaite de 1940, et après avoir obtenu un certificat de licence de mathématiques, Colette Sellier participa à la remise en route de réseaux du Parti communiste clandestin. Au cours de l’été 1940, alors qu’elle logeait à la Cité universitaire, elle avait été mise en contact avec Marc Lefort et Nicole Joubert. Elle distribuait à des militants du matériel des « Amis de l’URSS » caché en rouleau dans le cadre de sa bicyclette, sous la selle. Dans le milieu étudiant, le mot d’ordre était de constituer un groupe d’étudiants patriotes, en participant activement aux organisations officielles d’étudiants, pour soutenir les revendications matérielles ou autres ; elle fut élue vice-présidente de l’Amicale des Sciences. Elle tapait des textes illustrés par Marc Lefort, puis tirés sur du papier pelure, que les étudiants allaient distribuer. Nicole Joubert fut arrêtée le 10 novembre 1940. Colette Sellier fut convoquée alors par la police spéciale mais fut relâchée faute de preuve après interrogatoires et perquisition dans sa chambre. Elle continua, malgré le danger, à diffuser dans la Cité universitaire où elle résidait, un tract après la manifestation du 11 novembre 1940 et l’arrestation de Paul Langevin. Repérée car elle avait distribué un tract alors que le bâtiment était clos, elle fut convoquée au commissariat où elle fut interrogée par des policiers de la Brigade spéciale.

Après l’arrestation, le 9 janvier 1941, de Michel Bloch, dans la chambre duquel les policiers de Vichy trouvèrent 300 exemplaires de l’Humanité clandestine et une lettre de Colette Sellier, celle-ci fut arrêtée à son tour, le 11 janvier, trouvée en possession d’un bulletin des Amis de l’Union Soviétique. De janvier à juin 1941, elle fut incarcérée à la maison d’arrêt de Clermont-Ferrand, avec d’autres militantes ouvrières et étudiantes, au milieu de prostituées et de « faiseuses d’anges ». Refusant de plaider non-coupable, elle fut condamnée par le tribunal militaire de Clermont-Ferrand, en même temps que Michel Bloch, à deux ans de prison et vingt ans de privation des droits civiques, civils et de famille. Transférée à la Maison d’arrêt de Riom, elle y resta de juin 1941 à janvier 1943. Lors de cette captivité, à cause de la mauvaise nourriture, du froid glacial des hivers auvergnats, elle contracta une congestion pulmonaire dont elle garda des séquelles. Côtoyant la misère féminine, elle étudia la géométrie et traduisit Nietzsche.

Libérée le 12 janvier 1943 et estimant avoir probablement échappé à l’envoi dans les camps en raison d’une erreur de date sur le registre d’écrou, Colette Sellier se réfugia chez les instituteurs Desserin puis chez l’institutrice communiste Hélène Madeuf, qui avait été révoquée. Elle fut contactée ensuite par Gérard Milhaud, le mari de sa future belle-sœur Marianne, professeur révoqué lui aussi, qui vivait en plaçant des livres d’art. Toutes deux purent rendre visite à Michel Bloch à la prison militaire de Nontron (Dordogne), fin février ou début mars 1943. Par Gérard Milhaud, elle prit également contact avec le Front national pour l’indépendance de la France, en la personne de François Le Lionnais, mathématicien, ingénieur chimiste et ergonome, fondateur avec Raymond Queneau de l’OULIPO (Ouvroir de littérature potentielle) qu’il présidait alors. Elle s’installa au printemps 1943 à Lyon, plaque tournante de la Résistance, à partir de laquelle elle fit de nombreux voyages en train dans tout le Sud (Marseille, Toulon, Sète, Alès, Montpellier, Toulouse...) pour des actions militantes.

Au bout d’un an, elle rentra à Paris chez ses parents, fit une rechute tuberculeuse et devait être envoyée se reposer dans la propriété de la famille Jean-Louis Wolkowitsch, près de La Châtre. Avant de partir, se rendant rue Marbeuf à Paris, pour rapporter à Pierre Rabatel un livre qu’il lui avait prêté, le 4 mai 1944, elle fut arrêtée en possession d’un numéro des Amis de l’URSS. Interrogée, considérée comme une comparse sans responsabilités, elle fut incarcérée à Fresnes. Le 15 août, elle fut transférée avec ses compagnes de captivité dans des autobus de la STCRP conduits par des Allemands à la gare de marchandises de Pantin, où les SS les entassèrent dans des wagons de marchandises, dont on fit descendre au bout de plusieurs heures les femmes enceintes et les tuberculeuses. C’est ainsi qu’elle resta sur le quai avec une douzaine d’autres femmes, tandis que les autres partirent pour Ravensbrück. Le 17 août, elle fut libérée avec un sauf-conduit de la Croix-Rouge.

En septembre 1944, Colette Sellier se rendit à Limoges où Michel Bloch faisait partie de l’état-major FFI. Ils se marièrent en septembre 1945. De santé fragile après les épreuves de la guerre, elle ne reprit pas ses études et travailla à Ce Soir, à la rubrique de politique étrangère avec Jacques Sadoul et Anna Fontenay. Après deux fausses-couches, elle mit au monde un fils en 1947, puis une fille en 1949, alors que son mari, jusqu’alors chef de cabinet du ministre communiste François Billoux, reprenait un service de professeur à la rentrée 1947 au lycée Dorian à Paris, à la suite de l’exclusion des ministres communistes du gouvernement en mai 1947. Le couple, assez mal logé à Aubervilliers, décida donc en 1949 de venir s’installer à Poitiers dans la propriété familiale de la Mérigote,
après la mort de Jean-Richard Bloch. Un troisième enfant naquit en 1951.

Lorsque les enfants eurent grandi, Colette Bloch se remit aux mathématiques. En 1958, sur les conseils d’une institutrice amie de l’Union des Femmes Françaises, elle devint maîtresse auxiliaire au lycée de garçons de Poitiers pour deux-tiers de service. Il lui manquait trois certificats de licence qu’elle obtint en dix-huit mois à la faculté de Poitiers, où André Revuz était directeur du département de mathématiques. Sur cette lancée, elle passa un DESS de calcul de probabilités et elle devint assistante à la faculté, sur proposition de M. Schützenberger, avec qui elle passa son DEA. Trop âgée pour présenter l’agrégation, au lieu de préparer une thèse, elle traduisit au début des années 1960 les 550 pages du cours du calcul des probabilités du professeur Rényi, rédigé en allemand (qui fut réédité tel quel en 1992). Elle termina sa carrière comme maître de conférences en 1984. Elle militait au Syndicat national de l’enseignement supérieur, qu’elle représenta dans diverses instances. Elle poursuivait encore en 2004 diverses activités à l’Institut de recherches sur l’enseignement des mathématiques de Poitiers.

Colette Bloch figura sur la liste « Pour une gestion sociale et démocratique « en 1971 aux élections municipales de Poitiers.

Le couple Bloch était respecté à Poitiers, bien au-delà du cercle du Parti communiste et des organisations qui lui étaient liées (Union des Femmes Françaises, FNDIRP, Secours Populaire).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16923, notice BLOCH Colette [née SELLIER Colette, Théophile] par Alain Dalançon, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 5 août 2022.

Par Alain Dalançon

Colette et Michel Bloch à la Mérigote à Poitiers

SOURCES : Arch. Comité national du PCF. — Récit autobiographique Occupations, inédit, 2000, 22 p. — Renseignement fournis par l’intéressée. — Lettre de Colette Sellier à Jacques Guillaumin, circa 1981, citée dans un projet d’article pour Résistance d’Auvergne, bulletin de l’ANACR 63, Archives Roger Champrobert, Clermont-Ferrand. — Notes de Jacques Girault et Éric Panthou.

fiches auteur-e-s
Version imprimable