Par Michel Dreyfus
Né le 2 mai 1938 à Courbevoie (Seine, Hauts-de-Seine), mort le 16 mars 2014 à Paris ; employé des ASSEDIC du bâtiment ; secrétaire général de la Fédération des employés Force ouvrière depuis 1965 ; secrétaire général de la CGT-Force ouvrière de 1989 à 2004 ; président de la Fédération nationale de la Libre pensée.
La famille de Marc Blondel était originaire du Nord, de la région d’Hénin-Létard, où ses deux grands-pères étaient mineurs. Son grand père paternel, Henri, gazé pendant la Première Guerre mondiale, milita de longues années à la SFIO. Son père, également dénommé Henri, né à La Bassée dans le pays minier, fut fonctionnaire aux Impôts et aurait travaillé dans une banque avant d’opter pour une carrière militaire au 5e régiment d’infanterie. Selon le témoignage de Marc Blondel à Christophe Bourseiller (op. cit., p. 16), c’était un homme de gauche, un socialiste patriote qui s’engagea dans la Résistance au sein du réseau de Libération Nord. Pour cette action, il fut arrêté et envoyé en Allemagne mais il put en revenir ; il devait mourir en 1966. Dans cette famille, cette culture socialiste et laïque était toutefois tempérée par la présence des femmes, beaucoup plus croyantes. La mère de Marc Blondel fut une catholique très pratiquante, ce qui explique peut-être le second prénom de Marc Blondel, Fiacre : on peut le lire comme celui du saint patron des mineurs mais aussi comme celui des jardiniers, ce qui lui donnerait une référence davantage « confessionnelle que professionnelle » (C. Bourseiller, op. cit. p. 18).
Quelques jours après la naissance du jeune Marc, sa mère repartit avec lui à Hénin-Liétard. Il y passa toute la guerre avant de revenir à Paris ou en région parisienne, où il fit ses études secondaires au lycée Condorcet de Nanterre. Sur les conseils de son père, Marc Blondel adhéra aux Faucons rouges, l’organisation des Jeunesses socialistes. Il obtint son baccalauréat en 1955 et s’inscrivit alors à la Faculté de droit, tout en multipliant les « petits boulots » les plus divers.
Il se lia alors avec Jacqueline Rigoulot qui allait devenir sa première femme en mars 1958, à Courbevoie. Le couple eut deux filles. Elle travailla dans le régime d’assurance chômage ; elle devait terminer comme chef d’atelier au Groupement des ASSEDIC de la région parisienne. Marc Blondel se remaria en décembre 1996 avec Josiane Gobert.
En 1956, Marc Blondel adhéra à la section Force ouvrière du tri postal où il travaillait. Il prit la même année la carte de l’UNEF et milita pour l’indépendance de l’Algérie, ce qui l’amena rapidement à entrer en conflit avec la SFIO.
Marc Blondel rallia le Parti socialiste autonome en 1958 mais deux ans plus tard, ayant refusé la transformation de ce dernier en Parti socialiste unifié, il quitta cette organisation. Peu après, par l’intermédiaire de Georges Charreron, syndicaliste FO et membre de la SFIO, il fit la connaissance de Fred Zeller qui lui fit découvrir la franc-maçonnerie. Il fut alors initié à la loge L’Avant-garde maçonnique, liée au Grand Orient de France et il fréquenta les milieux francs-maçons de gauche. En 1997, il définissait la franc-maçonnerie comme « la libre conscience, la tolérance mutuelle, les valeurs républicaines : liberté, égalité, fraternité plus la laïcité. C’est la morale de base des valeurs familiales ». Si ses responsabilités syndicales grandissantes ne lui laissèrent plus guère de temps ensuite pour militer dans la franc-maçonnerie, Marc Blondel continua cependant à s’en sentir très proche. Au début des années 1960, il avait adhéré au mouvement de la Gauche européenne et il appartint même quelque temps à son comité directeur. Après avoir accédé au secrétariat général de Force ouvrière, Marc Blondel ne cessa d’affirmer son appartenance « historique » au Parti socialiste. Mais ses responsabilités syndicales lui interdirent d’y jouer le moindre rôle : en 1981, il signa toutefois, comme l’ensemble du bureau confédéral, une déclaration désapprouvant la participation des communistes au gouvernement.
Le 24 mars 1960, Marc Blondel était devenu employé de l’ASSEDIC du bâtiment ; il militait alors activement aux Jeunesses syndicalistes de Force ouvrière. Il créa une section FO aux ASSEDIC du bâtiment puis il mit en place une coordination des sections syndicales ASSEDIC de la région parisienne. Dès la même année, il était secrétaire du syndicat des organismes sociaux de la région parisienne. Devenu permanent, il accéda dès l’année suivante au secrétariat de l’Union syndicale des employés de la région parisienne ainsi qu’au Conseil national de la Fédération FO des employés et cadres. En 1965, il en devint le secrétaire. L’année suivante, il se fit remarquer en défendant, lors du congrès national, le principe de l’unité syndicale avec la CGT et la CFDT, liées alors par un Pacte d’unité. Mais Force ouvrière, dirigée depuis 1963 par André Bergeron, n’était absolument pas prête à s’engager dans cette voie.
Marc Blondel devait affirmer par la suite qu’il joua un rôle de « second rang » en Mai 68. En 1974, il fut élu secrétaire général de la Fédération des Cadres et employés, puis il entra au bureau confédéral de Force ouvrière lors de son congrès national tenu à Bordeaux en juin 1980. Il y fut chargé des questions économiques : économie générale, énergie, fiscalité, cadre de vie, environnement, plan et aménagement du territoire, politique régionale, consommation, prix et statistiques. Il suivit également les questions relatives à la régionalisation et la décentralisation, à la participation et à l’intéressement. Il eut également en charge les prolongements internationaux de l’ensemble de ces questions, dans la mesure où il s’occupa également des relations avec le Bureau international du travail (BIT), la Confédération européenne des syndicats (CES), l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), etc. Depuis 1981, il avait en effet été élu au conseil d’administration du BIT. Il eut un rôle important au BIT (Bureau international du travail) comme "porte parole des travailleurs (c’est à dire de l’ensemble des organisations syndicales françaises) pendant vingt ans. Il porta plainte au BIT, en 1980 comme "délégué des travailleurs", contre le général Jaruzelski, pour soutenir le syndicat Solidarnosc interdit en Pologne.
En 1985, André Bergeron fit savoir qu’il ne solliciterait pas le renouvellement de son mandat, puis quitta ses fonctions en 1989 sans avoir réglé sa succession, ce qui provoqua une âpre lutte entre deux prétendants, Marc Blondel et Jean-Claude Pitous. En définitive, ce fut Marc Blondel qui l’emporta avec 54 % des voix ; ce duel devait laisser des traces au sein de la Confédération. Et surtout, l’arrivée de Marc Blondel à la tête de FO symbolisait l’arrivée d’une génération nouvelle, qui n’avait pas vécu la scission de 1948 et les débuts de la Confédération.
Pour certains commentateurs, la victoire de Marc Blondel sur son rival aurait été possible grâce à l’appui que lui auraient apporté les trotskystes, organisés au sein du Parti des travailleurs (PT) ; Marc Blondel fut parfois même taxé de trotskysme. Pourtant, il se définit lui-même comme « rebelle et solitaire à toute idée d’embrigadement et à toute vérité révélée ». Si l’influence du Parti des travailleurs ne fut pas négligeable à Force ouvrière — Dominique Andolfatto l’estime à moins de 20 % des mandats - ce furent bien davantage d’autres facteurs que la seule personnalité de Marc Blondel qui contribuèrent à la radicalisation de Force ouvrière. Marc Blondel accéda en effet à la tête de cette confédération à l’heure où les difficultés économiques et sociales des années 1980 faisaient qu’il y avait pour elle beaucoup moins de « grain à moudre » que dans les deux décennies précédentes. Cette plus grande difficulté à obtenir des résultats concrets remettait de facto en cause l’orientation défendue jusqu’alors par André Bergeron. De plus, cette radicalisation des positions de FO entraîna une perte relative de son influence dans la gestion des organismes paritaires (caisses de Sécurité sociale, UNEDIC, CNAM) etc. ; or, cette gestion constituait une autre composante de l’identité historique de la Centrale. Enfin, Marc Blondel arriva au secrétariat général à l’heure où les Démocraties populaires - et deux ans plus tard, l’Union soviétique - implosèrent. Dès lors, la question de l’anticommunisme qui avait été depuis la naissance de Force ouvrière une des principales composantes de son identité se posa en de tout autres termes.
La nouvelle orientation de Force ouvrière fut encore confortée à partir de novembre 1995 par la lutte que la confédération engagea contre le Plan Juppé qui réorganisait la Sécurité sociale. Préparé dans le plus grand secret et en dehors de toute concertation avec les organisations syndicales, ce Plan avait notamment pour objectif de réduire l’influence de Force ouvrière dans les organismes gestionnaires de la Sécurité sociale, au profit de la CFDT : depuis les Ordonnances Jeannneney (août 1967), Force ouvrière avait joué un rôle primordial dans leur gestion, mais le gouvernement voulait alors changer la donne. Marc Blondel s’estima alors « trahi » par le gouvernement et défendit en la circonstance des positions proches de celles de la CGT, également opposée au Plan Juppé ; la différence avec la CFDT fut totale. L’organisation de Marc Blondel participa aux grandes manifestations de novembre décembre 1995 et cette orientation fut symbolisée par la poignée de main, historique, passée le 28 novembre 1995, entre Marc Blondel et Louis Viannet secrétaire général de la CGT. Allait-on vers une recomposition syndicale sur la base d’un pôle revendicatif où la CGT et FO se seraient retrouvées ? Cette hypothèse fut avancée par certains commentateurs et analystes, mais en définitive, elle devait faire long feu.
Enfin, sensibilisé à l’histoire, notamment par la grande connaisseuse du mouvement ouvrier que fut Colette Chambelland (fille de Maurice Chambelland et de Louise Chambelland, Marc Blondel contribua à ce que FO commence à s’intéresser à ses premières années et s’ouvre à l’échange avec les universitaires. Marc Blondel fut favorable à ce que FO organise, en collaboration avec le Centre d’histoire sociale de l’Université de Paris 1, un colloque consacré au premier secrétaire général de la Confédération, Robert Bothereau. Ce colloque se tint en deux séances à Orléans et à Paris en 2000 ; il devait être publié en 2003.
Peu après, en février 2004, Marc Blondel abandonna ses fonctions de secrétaire général et fut remplacé par Jean-Claude Mailly.
Marc Blondel avait été vice-président de la FIET (Fédération internationale des employés, techniciens et cadres), vice-président de la CES (Confédération européenne des syndicats), vice-président de la CISL (Confédération internationale des syndicats libres).
En 2013, il était président de la Fédération nationale de la Libre pensée, président des Amis de Fred Zeller, président des Amis de Léon Jouhaux.
Par Michel Dreyfus
ŒUVRE : Qu’est ce que Force ouvrière ? Paris, L’Archipel, 2002.
SOURCES : Michel Lépinay, Sécu. Faillite sur ordonnance, Calmann-Lévy, 1991, 268 p. — Christophe Bourseiller, Cet étrange Monsieur Blondel. Enquête sur le syndicat Force ouvrière, Bartillat, 1997. — Les syndicats en France, sous la direction de Dominique Andolfatto, La Documentation française, 2004, 176 p. — Archives Force ouvrière. — Échange de correspondance entre Georges Porlalès et Marc Blondel.