CUGNON Henri.

Par Jean Puissant

Forrières (aujourd’hui commune de Nassogne, pr. Luxembourg, arr. Marche), 5 février 1914 – Bertrix (pr. Luxembourg, arr. Neufchâteau), 18 avril 1984. Employé d’une coopérative socialiste, militant de la Jeune garde socialiste, secrétaire fédéral du Parti socialiste belge de Luxembourg, député de l’arrondissement de Neufchâteau-Virton puis sénateur, conseiller communal, échevin et bourgmestre de Bertrix, fils de Louis Cugnon.

Né dans une famille de sept enfants, cinq filles et deux garçons, Henri Cugnon est l’ante pénultième. Son père, Louis Cugnon, est maçon en briques réfractaires à la Société des chemins de fer à Jemelle (aujourd’hui commune de Rochefort, pr. Luxembourg, arr. Marche). Henri Cugnon fait ses études à l’école primaire de la commune puis à l’École moyenne de Rochefort où poussé, avec d’autres, par le directeur de l’école, il suit des cours lui permettant de passer les concours de l’administration. Mais c’est à l’Union coopérative de Liège qu’il réussit l’examen de commis-comptable en 1931. Il devient comptable à la nouvelle boulangerie coopérative de Libramont (arr. Neufchâteau). En 1936, il réussit un examen de promotion sociale et devient inspecteur et animateur de vente de l’Union coopérative pour la vallée de la Semois et le Pays Gaumais. En 1946, Henri Cugnon devient chef de service à la direction commerciale pour le Luxembourg et s’installe dès lors à Bertrix. Il est inspecteur principal lors de sa démission. En 1952, il est nommé secrétaire-trésorier fédéral du Parti socialiste de Luxembourg, poste qu’il assume durant trente ans.

Le père de Henri Cugnon, Louis, militant socialiste depuis la création du parti dans la région, est mandataire communal puis provincial représentant le Parti ouvrier belge (POB). Dès l’âge de quinze ans, Henri aide son père dans ses activités politiques. Il adhère à la Jeune garde socialiste (JGS) à la belle époque de ce mouvement et participe activement à la lutte antifasciste puis anti-rexiste. Il devient secrétaire fédéral de la JGS pour la province en septembre 1934. La JGS compte alors quatre cents membres répartis dans trente sections. La JGS, comme ailleurs dans le pays, est très critique à l’égard du POB et soutient l’Action socialiste de Marteaux-Spaak. À la fin de 1936, il est traduit devant le tribunal, comme coauteur et diffuseur d’un tract dénoncé comme diffamatoire par les dirigeants rexistes de la province. Il est relaxé, le tribunal se déclarant incompétent.

En 1934, avec Lesuisse (Libramont), Henri Cugnon crée une Union cycliste ardennaise qui organise chaque année un tour de la province réservé à la Fédération nationale socialiste de cyclisme. De 1933 à 1938, il est également délégué des Mutualités socialistes dans son village.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Henri Cugnon est actif au sein de l’Armée secrète (1er mars-14 octobre 1944 avec le grade de sergent).

Après la guerre, Henri Cugnon figure parmi les candidats socialistes aux élections législatives en 1949 et est député suppléant. Le Parti socialiste belge (PSB), qui a succédé officiellement au POB en 1945, perd les élections de 1950, dominées par la Question royale. Le Luxembourg votera à 70 % pour le retour de Léopold III sur le trône.

En décembre 1952, Henri Cugnon succède à Marcel Minet en tant que secrétaire de la Fédération provinciale du PSB. Son sens de l’organisation et son action contribuent à renforcer le parti socialiste dans cette province toujours dominée par le monde catholique (propriété foncière, clergé et parti confondus). Il poursuit la lutte politique menée par ses devanciers, souvent critique à l’égard du ministérialisme du parti, et très anticléricale opposée à toute mesure favorable à l’enseignement libre. En 1952, la fédération compte six cents affiliés ; en 1968, ils sont 2.253, et, en 1978, 5.152. Les progrès sont continus dans les communes, à la province.

En 1968, pour la première fois, le Parti social-chrétien (PSC) ne dispose plus de la majorité absolue à la Province. Lors des élections provinciales de 1974, le PSB devient le deuxième parti de la province : il obtient douze sièges, qui, combinés avec les dix sièges du parti libéral et les cinq attribués au Rassemblement wallon, permettent pour la première fois dans l’histoire du pays à rejeter le PSC dans l’opposition. Cette majorité est reconduite en 1978 mais avec quatorze sièges pour le PSB (27,2% des voix).

Au plan législatif, les élections de 1954 sont positives pour le cartel socialiste-libéral qui se présente depuis 1946 en obtenant plus de 40% des voix ce qui aux Luxembourgeois deux sièges socialistes. D’abord suppléant d’Edmond Jacques*, Henri Cugnon devient député de l’arrondissement de Neufchâteau-Virton, lors de la démission de celui-ci, le 5 novembre 1954. Son « maiden speech » porte sur les difficultés rencontrées par les planteurs de tabac de la vallée de la Semois. Ses interventions à la Chambre portent principalement sur la défense des intérêts de la province de Luxembourg, en particulier sur le développement des moyens de communication pour sortir la province de son isolement, mais aussi le développement de l’enseignement de l’état. L’enseignement officiel ne réunissait que 10% des élèves et en comptera 40%.

Henri Cugnon démissionne en 1965. Il devient alors sénateur coopté par le PSB qui voit en lui un acteur majeur de la croissance de son influence dans la province (1965-1971). Il est ensuite élu direct (1971-1974 et 1977-1981). Il est membre des commissions de l’Environnement, des Classes moyennes et de la Défense nationale. Son premier discours porte sur les difficultés économiques de la province et de la nécessité d’assurer son développement, d’où découlent d’autres interventions sur le réseau routier, la défense des usines du sud de la province (Athus…).

Henri Cugnon est délégué suppléant au Conseil interparlementaire consultatif du Bénélux (1977). Attentif aux intérêts de sa province, il est également sensible aux enjeux wallons. Il est un des quatre cents mandataires socialistes qui signent une adresse au Roi, le 13 janvier 1961, en « demandant justice pour les Wallons ». En juillet 1961, avec Simon Paque, il présente une proposition de modification de la Constitution émanant du Congrès national wallon et de Wallonie libre. Fédéraliste, il est membre du Mouvement populaire wallon (MPW) en 1962 et du Comité central d’action wallonne en 1963. Il représente le PSB au Collège exécutif wallon la même année. Il vote contre le rattachement des Fourons (pr. Liège ; aujourd’hui pr. Limbourg, arr. Tongres - Tongeren) au Limbourg. Il faut consulter la population concernée, explique- t-il. Mais avec l’un de ses mentors, Jules Bary, il se retire du MPW et de ses mandats wallons sur injonction du PSB en septembre 1963 avant même la décision d’incompatibilité. L’autonomie wallonne est un objectif mais l’émancipation de la classe ouvrière flamande l’est tout autant, écrit-il.

Henri Cugnon se retire en 1981 avant d’abandonner son poste de secrétaire fédéral du parti en juin 1982.

Conseiller communal de Bertrix en 1958, premier échevin en 1971-1972, Henri Cugnon devient bourgmestre de Bertrix le 7 juin 1972 mais échoue à poursuivre ce mandat en 1976. En 1982, il est à nouveau échevin et il est prévu qu’il reprenne le poste de bourgmestre dans un collège tripartite pour deux ans en 1985-1986. La maladie en décide autrement. Il décède d’un cancer du poumon.

Entre autres réalisations de Henri Cugnon, citons l’organisation annuelle d’un week-end social mobilisant toute l’administration pour collecter des fonds au travers de bal, banquet, tombola, des fonds pour les institutions implantées à Bertrix. Il milite pour la création de l’Athénée de la ville. Cugnon est administrateur de diverses intercommunales : Intercommunale de la valorisation de l’eau (IVE) d’Arlon, Intercommunale de développement économique du Luxembourg (IDELUX) (1967-1982), des Œuvres médico-sociales de Haute-Lesse, Fondation universitaire du Luxembourg dont il est un des fondateurs en 1971 (vice-président), Fondation rurale de Wallonie…. Il collabore très régulièrement de l’actif organe bimensuel d’information et de contact des socialistes luxembourgeois, Le Réveil du Luxembourg, dont il est l’éditeur.

Léon Déon, son adjoint, explique : « Henri Cugnon était un homme qui travaillait en semaine, mais surtout le samedi et le dimanche », courant de réunion en meeting dans toute la province. Très estimé de la population locale, personnalité importante du socialisme luxembourgeois pendant trente ans, mille à deux mille personnes, selon les sources, lui rendent hommage lors de ses funérailles civiles, en présence notamment du vice-premier ministre social-chrétien, Charles-Ferdinand Nothomb, autre élu de la région.

Titulaire de la médaille de la Résistance, de la médaille civique de 1ere classe, chevalier puis commandeur de l’ordre de Léopold, Henri Cugnon est l’époux de Raymonde Clarinval, présidente des Femmes prévoyantes socialistes (FPS) de Bertrix et père de quatre enfants qui ont tous fait des études supérieures. Une de ses sœurs, Paula, institutrice et militante des FPS, a été conseillère communale socialiste à Waterloo (aujourd’hui pr. Brabant wallon, arr. Nivelles).

Fils d’ouvrier, militant syndical et mandataire politique, Henri Cugnon qui se dit athée ainsi que tous les membres de sa famille, et ces derniers concrétisent bien, l’ascension sociale collective qui caractérise nombre de milieux militants.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article169914, notice CUGNON Henri. par Jean Puissant, version mise en ligne le 15 janvier 2015, dernière modification le 7 février 2022.

Par Jean Puissant

SOURCES : Interview de Henri Cugnon, 1984 – JACQUES E., Le socialisme dans le Luxembourg, préface d’Henri Cugnon, Saint-Mard, 1960 – FLAGOTHIER R., 1885-1985. Histoire des Fédérations. Luxembourg, Bruxelles, 1985 (icono) (Mémoire ouvrière, 7) – Notices réalisées par Paolo Leonardi et Eric Mahieu, section Journalisme de l’Université libre de Bruxelles, 1984, 1989.

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