RONCIÈRE Marie [née FROGER Marie, Clémentine]

Par Gérard Boëldieu

Née le 23 juillet 1885 à Parigné-l’Évêque (Sarthe), morte le 1er mars 1927 à Rouez-en-Champagne (Sarthe) ; institutrice dans la Sarthe ; fondatrice en 1908 du Groupe féministe universitaire sarthois, affilié à la Fédération des groupes féministes universitaires de France ; pionnière du syndicalisme dans l’enseignement primaire.

Fille d’un coiffeur, élève de l’École normale d’institutrices du Mans d’octobre 1902 à juillet 1905, Marie Froger, titulaire du brevet supérieur, exerça ses fonctions d’institutrice dans cinq communes sarthoises. Stagiaire à Brette, elle y obtint son certificat d’aptitude pédagogique, le 17 mars 1906. Son premier poste de titulaire fut, deux ans durant, Peray, petite commune à école mixte. En septembre 1908 elle fut nommée à Boessé-le-Sec dont l’école de filles venait d’être laïcisée. Le 16 mai 1910, elle y épousa, mariage purement civil, Albert, Alexandre Roncière, né le 27 février 1886 à Saint-Cosme-de-Vair (Sarthe), ancien normalien du Mans (1903-1906), instituteur-adjoint à La Ferté-Bernard, ville proche de Boessé-le-Sec. À partir de juillet 1910, le couple enseigna dans trois postes doubles : Saint-Jean-de-la Motte, jusqu’en 1913, où elle dirigea l’école de filles, son mari étant maître-adjoint à celle de garçons ; Asnières où naquirent leurs deux fils, en 1914 puis en 1916, et où la lutte fut vive, mais inégale, entre l’école publique de filles et l’école privée propriété du maire tout influent, surtout pendant la guerre ; enfin, à partir d’octobre 1920, Rouez-en-Champagne, près de Sillé-le-Guillaume, où elle mourut dans sa 42e année. Son état de santé avait toujours été assez préoccupant.

Alors qu’elle enseignait à Peray, Marie Froger créa, en 1908, le Groupe féministe universitaire de la Sarthe, rattaché à la Fédération des groupes féministes universitaires (GFU) de France. Elle en assura le secrétariat général. La Revue de l’Enseignement primaire et primaire supérieur du 26 juillet 1908, dans sa rubrique « La tribune de fémina », précise que pour ce faire cette « jeune institutrice profondément consciente de son rôle social d’éducatrice et de femme » eut le soutien d’Auguste Trochet, président de l’Amicale des instituteurs et institutrices de la Sarthe et membre du Conseil départemental de l’instruction primaire, et des deux institutrices laïques membres de ce même Conseil, Mmes Samson et Poisson. Le sens profond de son engagement dans les GFU, Marie Froger l’exprima ainsi : agir pour « libérer l’institutrice de l’antique servage » afin de réaliser « ce rêve » : « une cité future où, à côté de l’homme ennobli, plus instruit et meilleur, on verra la femme, son égale en droits, non moins noble, non moins instruite et non moins bonne, prête à l’aider à faire triompher toujours contre la cupidité et l’égoïsme , la Justice et la Fraternité » (L’Action féministe. Organe des GFU, décembre 1909). Lors des débats internes sur la « réforme des programmes et de l’éducation dans les écoles de filles », tout en soutenant ses camarades qui demandaient à l’école de « préparer la fillette à son rôle d’épouse et de mère », elle n’en exprima pas moins des craintes de voir ce nouvel enseignement (« leçons sur le ménage ») se faire au détriment de l’enseignement général, de l’histoire en particulier, donc au détriment de la formation de la citoyenne : « laisserons-nous ignorer à nos filles toute cette évolution économique, politique et sociale que l’histoire nous enseigne ?… Nous devons, nous féministes, qui demandons pour la femme le droit d’être citoyenne, préparer les citoyennes de demain à bien remplir leur rôle. Nous devons leur rappeler le passé [mot souligné par elle] pour qu’elles aillent vers l’avenir [ibid.] d’un pas plus sûr. Et pas plus que l’histoire, nous ne devons négliger l’instruction civique dans l’enseignement donné aux petites filles » (L’Action féministe, novembre 1909). Au sein des GUF, Marie Froger se signala comme ardente « suffragiste ». Devant ses élèves, elle s’affirmait comme telle : « La première fois que j’ai dit, dans ma classe : Quand les femmes voteront… j’ai été interrompue par le rire : on avait cru à une plaisanterie. Maintenant elles trouvent cette idée toute naturelle et mes plus grandes cherchent déjà qu’elles réformes elles pourraient demander, elles, quand elles seront électrices… » (L’Action féministe, novembre 1909). À l’inverse, nombre de militantes des GUF ne considéraient pas comme prioritaire voire même pertinente la revendication du droit de vote féminin. Berthe Gaymard, qui préconisait l’action directe (« la révolte »), considérait le bulletin de vote comme « un hochet malpropre et dangereux ». Aussi brocarda-t-elle les arguments de Marie Froger, exprimés dans Le Devoir social, en faveur du vote féminin présenté comme puissant agent de moralisation sociale (L’Action féministe, janvier 1910).

Marie Roncière contribua, en 1911, à la création du syndicat des instituteurs et institutrices de la Sarthe, et pendant la Première Guerre mondiale adopta des positions pacifistes ce qui lui valut d’être frappée par la répression.

Exempté du service militaire en 1907, maintenu exempté en 1914, son mari fut mobilisé à la fin de juillet 1917. Après un mois passé à « l’intérieur » dans le service auxiliaire, il fut versé « aux armées » jusqu’à sa démobilisation, le 8 mars 1919.

Dans une lettre à Gabrielle Bouët, datée du 22 août 1919, Marie Roncière s’affirmait « anarchiste individualiste » (Thierry Flament, op.cit. p. 187).

En novembre 1920, dès les débuts de la politique de répression des syndicats de fonctionnaires, interdits selon les articles 3 et 9 de la loi du 21 mars 1884, menée par le Bloc national, la dissolution du syndicat des instituteurs de la Sarthe ne fut pas prononcée, la majorité des deux-tiers de ses membres exigée par les statuts n’ayant pas été atteinte, mais le bureau démissionna et les syndiqués se dispersèrent. Une partie rejoignit l’ancienne Amicale ; une forte majorité (autour de 350) opta pour la Fédération des fonctionnaires affiliée à la CGT (60 000 adhérents menés par Émile Glay) ; une bonne vingtaine pour celle de l’Enseignement (10 000 adhérents autour de Louis Bouet). Ces derniers constituèrent le nouveau Syndicat des instituteurs et institutrices de la Sarthe, Paul Rebours, instituteur à Poillé étant son secrétaire et Marie Roncière sa trésorière. Tous les deux furent cités à comparaître à l’audience du 24 juin 1921 du tribunal correctionnel du Mans pour y être jugés pour infraction à la loi de 1884 et constitution d’organisation politique, et y entendre prononcée la dissolution de leur syndicat. Leur défenseur fut Oscar Bloch. Le syndicat fut effectivement dissous et eux condamnés chacun, à la peine maximum, soit 200 F d’amende. Ils interjetèrent appel immédiatement. Ils reçurent l’appui des amicalistes, au nom de la liberté d’opinion en République, et de la section du Syndicat national, objet, lui, de poursuites à Paris, au nom du droit syndical.

Par la suite, elle milita au Parti communiste, ou en fut proche, et donna au journal L’Ouvrière des articles « très goûtés sur la maternité, l’enfance, l’instruction en France et les autres pays ».

Une fois devenu veuf avec deux garçons de 13 et 11 ans, Albert Roncière, sollicita et obtint un poste au Mans « pour les faire instruire ». Il s’y remaria le 2 juin 1927. D’avril 1927 à 1936, il y enseigna à l’école de garçons de la rue Nationale comme instituteur-adjoint. Il fit cours aux illettrés militaires. De septembre 1936 à sa retraite, le 1er octobre 1941, il dirigea l’école de garçons de Sablé. Instituteur syndiqué, franc-maçon, il fit partie de l’Ordre mixte international du Droit Humain. Roncière mourut le 4 novembre 1972 au Mans.

Principales féministes dans le Maitron

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article170412, notice RONCIÈRE Marie [née FROGER Marie, Clémentine] par Gérard Boëldieu, version mise en ligne le 5 février 2015, dernière modification le 3 septembre 2020.

Par Gérard Boëldieu

SOURCES : Arch. dép. de la Sarthe : 1 T 864, dossier professionnel de Roncière née Froger Marie, Clémentine ; 1 T 788, dossier professionnel de Roncière Albert, Alexandre ; 1 T 786, dossier professionnel de Rebours Paul. — Arch. du diocèse du Mans : registre des mariages de Boessé-le-Sec pour 1910 (constatation de l’absence d’acte de mariage au nom de Roncière). — Revue de l’Enseignement primaire et primaire supérieur, 26 juillet 1908, p. 530. — L’Action Féministe, organe des GFU, n° 2, novembre 1909, p. 26 et 27 ; n° 3, décembre 1909, p. 40 et 41 ; n° 4, janvier 1910, p. 60 et 61. — La République sociale de l’Ouest, organe de la section SFIO de la Sarthe, 3 octobre 1920 ; 17 juillet 1921. — La Sarthe. Le libéral de l’Ouest, 9 et 13 juillet 1921. — L’Ouvrière, n° 236, 10 mars 1927. — Bulletin de la Sarthe du SNI. — Anne-Marie Sohn, Féminisme et syndicalisme. Les institutrices de la Fédération unitaire de l’enseignement de 1919 à 1935 ; Thèse de 3e cycle, Nanterre, s.d. — Thierry Flament, L’École Emancipée, une contre-culture de la Belle époque, Les Monédières, 1982, 403 p.

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