Par Thibaud Blaschka
Né le 21 décembre 1910 à Camblain-Châtelain (Pas-de-Calais), mort le 30 janvier 2003 à Versailles (Yvelines) ; employé de bureau, professeur de lettres ; membre du secrétariat de l’UNESCO ; fondateur et vice-président (1945-1946), puis président (1974-1981) de Peuple et culture.
Petit-fils d’un mineur devenu brasseur de la compagnie minière qui l’employait, Paul Lengrand poursuivit l’ascension scolaire et sociale entamé par son père (au prénom identique au sien), qui, de retour des tranchées, renonça au métier paternel et entra comme associé dans l’administration des usines Foubert à Lille (Nord) spécialisées dans la fabrication d’articles funéraires. Après des études secondaires dans une école de jésuites, et fort de l’obtention de son baccalauréat de rhétorique, puis de philosophie, Paul Lengrand chercha sa voie à la faculté de droit de Lille, avant que, face à l’échec, son entourage familial, empreint d’une bonne volonté culturelle teintée de marxisme, ne l’oriente vers la classe préparatoire littéraire du lycée Henri IV. Après deux ans et un nouvel échec, il retrouva le chemin de la faculté de droit de Lille, avant de renouer l’année suivante avec la vie parisienne et les lettres classiques à la Sorbonne. Si son choix d’orientation scolaire s’avéra définitif, il continua à déménager d’une année à l’autre : Paris (Seine), Lille, Grenoble (Isère) où ses parents l’envoyèrent en raison du bienfait espéré du climat montagnard sur sa santé fragile.
Sur les bancs de la faculté des lettres de Grenoble, il rencontra Lucienne Bouillat ; ils se marièrent le 5 octobre 1935 et s’installèrent l’année suivante à Versailles (Seine-et-Oise) où Paul Lengrand avait obtenu un poste de secrétaire au sein de l’étude d’un notaire agréé au tribunal de commerce. Il consacra une part de ses loisirs à achever son cursus de licence ès lettres. Son diplôme en poche à la fin de l’année 1937, il déserta les abords du tribunal de commerce, postula à un poste d’enseignant en lettres classiques et fut affecté au lycée Condorcet à Paris. Il employa alors son temps libre à acquérir le diplôme d’études supérieures en littérature française à la Sorbonne, puis, l’étape franchie, et muni d’une bourse, il prépara l’agrégation de grammaire à la faculté des lettres de Nancy (Meurthe-et-Moselle).
Confirmé en 1939 dans son inaptitude au service militaire, et l’irruption du conflit arrêtant définitivement le cours de ses études, il enseigna comme professeur délégué au lycée de Chambéry (Savoie), puis au lycée de Montélimar (Drôme), et enfin à l’école des pupilles de l’air de Grenoble. Arrêté au cours d’une rafle à la fin de l’année 1943, puis libéré grâce à l’intervention du directeur de son école, il partit se réfugier dans le nord de la Drôme, avant d’être rétabli trois mois plus tard dans ses fonctions d’enseignant.
À la Libération de Grenoble, le 25 août 1944, répondant à un appel de l’Union départementale des syndicats de l’Isère, il participa à la création du Centre d’éducation ouvrière (CEO) qui fixa son siège à la Bourse du Travail de Grenoble. L’activité du CEO démarra en octobre 1944, Paul Lengrand en devint directeur. La technique dite de l’entraînement mental qui avait été expérimentée par Bénigno Cacérès et Joffre Dumazedier dans les équipes volantes du maquis du Vercors servit de support pédagogique aux stages et cours du soir dispensés par le CEO ; elle satisfaisait l’expérience critique de Paul Lengrand du contenu et des modalités scolaires d’apprentissage. Le CEO fut une des sept institutions constitutives de l’association Peuple et culture : ses statuts furent déposés à la préfecture de l’Isère le 21 février 1945, Paul Lengrand en devint vice-président. Il fut chargé avec François Le Guay, ancien membre de l’école des cadres d’Uriage, de rédiger le manifeste du mouvement connu sous le nom de Un peuple, une culture et édité le 15 janvier 1946.
À l’automne 1946, il s’opposa à la décision du président du mouvement, Joffre Dumazedier, de déménager le siège social de Peuple et culture à Paris, car il estimait l’initiative prématurée et non sans danger pour la survie des sept institutions constitutives de l’association. Son opposition vaine à ce projet était le symptôme d’une dissension plus profonde qui le conduisit à démissionner à la fin de l’année 1946 de ses fonctions et responsabilités au CEO et à Peuple et culture : il reprochait à l’équipe fondatrice et dirigeante de Peuple et culture d’avoir succombé à l’attraction du Parti communiste français, il refusait, pour sa part, d’apporter son adhésion à un parti qui concevait, selon lui, la culture comme un instrument de propagande.
Il succomba à son désir d’émigration et traversa à l’hiver 1946-1947 l’Atlantique, afin d’occuper un poste de maître de conférences au département des langues romanes de l’université McGill de Montréal (Canada).
Revenu en France à l’automne 1948, il refusa la proposition qui lui fut faite d’être réaffecté au lycée de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) et aida, par l’entremise d’un ami canadien, Eugène Bussière, en charge de la mise en œuvre du programme de l’éducation des adultes au sein de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), à la préparation de la première conférence internationale de l’éducation des adultes qui se déroula du 16 au 25 juin 1949 à Elseneur (Danemark). Il devint ainsi membre du secrétariat de l’UNESCO et découvrit la condition de fonctionnaire international.
Il participa à deux reprises en 1953 et 1960 à des campagnes d’alphabétisation des adultes respectivement en Sicile et en Sardaigne (Italie). Suite à son séjour sicilien, il reçut commande de la part de Chris Marker, directeur de la collection « Petite planète » aux éditions du Seuil, d’un essai sur l’Italie publié en 1954 sous le pseudonyme de Paul Lechat.
Parallèlement à sa collaboration active à des réalisations éducatives de longue durée, il exerça avec constance sa fonction d’administrateur et organisa, en sa qualité de chef de la section de l’éducation des adultes à la division de l’éducation extra-scolaire de l’UNESCO, la deuxième conférence internationale de l’éducation des adultes qui se déroula du 22 au 31 août 1960 à Montréal.
Il renoua en 1961 avec Peuple et culture : ses dirigeants lui avaient demandé d’animer une association affiliée Culture et développement nouvellement créée en accord avec le ministère de la Coopération afin de répondre aux sollicitations d’assistance technique venues de pays du tiers-monde ; il accepta après avoir obtenu de sa hiérarchie un congé de deux ans.
Au terme de son congé, en 1963, il fit le choix de réintégrer l’UNESCO. Son dernier fait d’armes au secrétariat de l’institution fut la rédaction et la publication, en 1970, à l’occasion de l’année internationale de l’éducation, proclamée par l’Assemblée générale des Nations unies, d’un essai présenté comme une Introduction à l’éducation permanente : traduit ultérieurement en dix-sept langues, son ouvrage s’attelait à un défrichage inédit du concept d’éducation permanente, de sa signification et de sa portée, de ses contenus et de ses méthodes pédagogiques.
Son départ en retraite, en 1971, ne signifia pas un arrêt de ses engagements. Il fut invité à rejoindre le secrétariat de la commission internationale sur le développement de l’éducation instituée par l’UNESCO en vue d’une analyse critique et prospective dans le cadre de l’année internationale de l’éducation et placée sous la présidence d’Edgar Faure, ancien président du Conseil (1952 et 1955-1956) et ancien ministre de l’Éducation nationale (1968-1969) : résultat de la visite de vingt-huit pays, les travaux de cette commission eurent une renommée mondiale à travers la publication, en 1972, de son rapport intitulé Apprendre à être. Paul Lengrand accomplit ainsi au cours des années 1970-1980 plusieurs missions de recherche, de formation et d’expertise (en Afrique, principalement) pour le compte de son ancien employeur et de ses groupes associés, à l’instar du Conseil international de l’éducation des adultes et de l’Institut de l’UNESCO pour l’éducation.
Sa relation avec Peuple et culture, rétablie en 1961, s’intensifia également à partir des années 1970 : il en devint président en 1974, puis président d’honneur à partir de 1981.
Il évoqua, en 1994, dans son dernier ouvrage intitulé Le métier de vivre, son histoire individuelle qu’il entrecoupait de réflexions sur l’évolution de sa construction personnelle du concept d’éducation permanente. S’il reconnaissait à Peuple et culture un rôle pionnier dans l’élaboration de méthodes pédagogiques innovantes, il jugeait rétrospectivement sa conception de la culture populaire restrictive et à l’opposé de l’esprit de son manifeste. Il reprochait encore aux dirigeants de l’UNESCO le rétrécissement depuis les années 1970 du périmètre d’action du secteur de l’éducation permanente à la seule lutte contre l’analphabétisme. Il préférait substituer à l’une comme à l’autre une vision globale et universelle de l’éducation des adultes entendue comme processus qui applique la « notion d’apprentissage à toutes les dimensions de l’être et aux diverses circonstances où il se manifeste » [Lengrand, 1994, p. 120].
Par Thibaud Blaschka
ŒUVRE CHOISIE : Entraînement mental, Peuple et culture, 1946. — Italie, Seuil, 1954. — L’éducation permanente, Peuple et culture, 1966. — Introduction à l’éducation permanente, UNESCO, 1970. — L’homme du devenir. Vers une éducation permanente, Entente, 1975. — Le métier de vivre, Peuple et culture, 1994.
SOURCES : Bénigno Cacérès, Les origines de Peuple et culture, Peuple et culture, 1985. — Joseph Rovan, Mémoires d’un français qui se souvient d’avoir été allemand, Seuil, 1999. — Pierre Henquet, « Paul Lengrand », Lien-Link, n° 85, 2003. — Acher Deléon, « Paul Lengrand et l’éducation des adultes », Lien-Link, n° 87, 2004. — Vincent Troger, « De l’éducation populaire à la formation professionnelle, l’action de Peuple et culture », Sociétés contemporaines, n° 35, 1999. — Chloé Maurel, L’UNESCO de 1945 à 1974, thèse de doctorat d’histoire, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2005. — Ouvrages de Paul Lengrand présentés dans la rubrique « Œuvre choisie ». — État civil de Camblain-Châtelain.