ROVAN Joseph [ROVAN Joseph, Adolphe], né ROSENTHAL Joseph

Par Thibaud Blaschka

Né le 25 juillet 1918 à Munich (Allemagne), mort le 27 juillet 2004 à Saint-Christophe-les-Gorges (Cantal) ; résistant ; déporté à Dachau ; conseiller ministériel, chef du bureau de la culture populaire (Allemagne), expert auprès de l’UNESCO, correspondant de presse, professeur d’université ; considéré comme fondateur, vice-président (1946-1967), puis secrétaire général (1968-1978) de Peuple et culture ; vice-président délégué (1974-1981), puis président (1981-2001) du Bureau international de liaison et de documentation.

Joseph Rovan baigna durant son enfance viennoise (1921-1929), puis berlinoise (1929-1934) dans une atmosphère culturelle et politique dominée par son père d’ascendance juive, converti au protestantisme et à la démocratie libérale, héritier d’une fortune constituée dans le commerce de tissus de son grand-père, Joseph Rosenthal. Ruiné au sortir de la Première Guerre mondiale, ayant converti par patriotisme sa fortune en emprunts de guerre, son père se résigna à devoir travailler pour assurer à sa famille les moyens de perpétuer son mode de vie bourgeois et garantir à son fils l’accès au cursus scolaire classique.

Au printemps 1934, « nommé juif par Hitler » (Rovan, 1999, p. 60), Joseph Rovan rejoignit ses parents émigrés en France depuis avril 1933 et logeant dans un hôtel modeste de Levallois-Perret (Seine). Il intégra trois mois avant la fin de l’année scolaire, et avec un français maladroit, la classe de seconde du lycée Carnot à Paris (Seine). Son français maîtrisé à la rentrée suivante, il traversa sans embûches les épreuves du baccalauréat (1934-1936) et du cursus de licence d’allemand préparée à la Sorbonne (1935-1937). À la rentrée 1937, ayant obtenu la bourse Émile Boutmy, il s’inscrivit à l’École libre des sciences politiques (ELSP) ; il acheva sa scolarité en 1939 en se hissant à la deuxième place de la section diplomatique de l’ELSP.

Abonné à la revue des Cahiers du Contadour, Joseph Rovan, en compagnie de son ami du lycée Carnot, Pierre Citron, rallia aux étés 1938 et 1939 l’écrivain Jean Giono et sa communauté du Contadour : il s’enorgueillissait d’avoir été, « à vingt ans, le disciple de Giono plutôt que celui de Marx ou de Maurras » (Rovan, 1999, p. 129).

À la rentrée 1939, il échappa à l’internement qui frappait tous les ressortissants allemands ; en mai 1940, il fut néanmoins intégré dans une unité d’auxiliaires étrangers au sein du 99e régiment d’infanterie, puis démobilisé, redevint civil, obtint une carte d’étranger résident et partit rejoindre ses parents réfugiés dans la bourgade de Cheylard (Ardèche). À l’été 1940, il refusa d’utiliser la possibilité qui lui était offerte d’émigrer aux États-Unis. « Dans un certain sens, expliqua-t-il, c’est ce jour-là que je suis devenu français » (Rovan, 1999, p. 141). Sa demande de naturalisation, officielle, n’aboutit qu’en octobre 1946, il adopta alors définitivement le patronyme de Rovan.

Au printemps 1941, Jean-Marie Soutou, secrétaire de rédaction de la revue Esprit, réfugié d’abord au sein de la même bourgade ardéchoise, puis appelé à Lyon (Rhône) par le directeur de la revue, Emmanuel Mounier, demanda à Joseph Rovan de le rejoindre. Il participa dès lors à diverses structures de résistance : agent de liaison de Jean-Marie Sotou et de son entreprise de faux papiers, collaborateur et rédacteur de la revue clandestine Les Cahiers du Témoignage chrétien, participation à des rencontres et des sessions de formation d’ajistes résistants au sein des Camarades de la route et de Jeune France. Il bascula en août 1942 dans la clandestinité. À la fin de l’année 1942, après l’arrestation de Jean-Marie Soutou, il prit en main son service de fabrication de faux papiers ; un an plus tard, bénéficiant d’une solde d’officier, il prit la responsabilité pour la zone Sud du service « Identité » des Mouvements unis de la Résistance.

Il fut arrêté par la Gestapo à Paris le 11 février 1944. À Fresnes (Seine), emprisonné, il abandonna le protestantisme familial et embrassa la religion catholique. Déporté à Dachau (Allemagne) le 5 juillet, il devint un des collaborateurs d’Edmond Michelet, ancien chef du mouvement Combat pour la région du Limousin, chargé d’organiser la communauté française au sein du camp. Dachau libéré par les troupes américaines le 29 avril 1945, Joseph Rovan quitta avec Edmond Michelet le camp le 30 mai après que le dernier déporté français fut évacué ; il arriva à Paris le 1er juin. Il relata en 1987 son expérience du système concentrationnaire dans les Contes de Dachau.

Ses compagnons de Jeune France, réunis depuis le 22 septembre 1944 au sein de l’association Travail et Culture, lui avaient gardé, espérant son retour de déportation, le mandat de vice-président de leur mouvement. Il contribua à la création en février 1946 du Centre national de documentation de la culture populaire, service commun à Travail et Culture et à Peuple et Culture, il en prit la direction et bénéficia pour œuvrer à sa tâche de la collaboration avec Chris Marker. Il fut élu vice-président de Peuple et Culture à la fin de l’année 1946 ; parallèlement, il démissionna des instances de Travail et Culture, en raison, invoqua-t-il, de l’influence prépondérante en ses rangs de la Confédération générale du travail. Il participa, en octobre et décembre 1947, avec Chris Marker à la rédaction de la revue DOC publiée conjointement par Travail et Culture et Peuple et Culture. Au motif du refus par le Parti communiste français de voir publier un extrait de L’Espoir d’André Malraux au sein du deuxième numéro de la revue (l’écrivain ayant rejoint le général de Gaulle), et devant l’acceptation de ce refus par les autres dirigeants de Peuple et Culture, Joseph Rovan démissionna de ses fonctions de permanent salarié tout en conservant son mandat électif et politique de vice-président.

Il entra le 1er janvier 1948 dans l’administration française en Allemagne : il devint chef du bureau de la culture populaire au sein de la direction de l’Éducation située à Baden-Baden, chef-lieu de la zone française d’occupation, puis au sein de la direction des Affaires culturelles située à Mayence suite à la fondation en 1949 de la République fédérale d’Allemagne. Son engagement parallèle à Peuple et Culture se révéla crucial afin de remplir les missions qui lui étaient confiées : organisation de séminaires et de conférences à l’intention de cadres et dirigeants allemands des mouvements d’éducation des adultes, de tournées théâtrales et artistiques, de voyages d’études en France, etc. Il mit fin à ses fonctions le 31 décembre 1951.

À partir de 1952, le secrétariat de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) lui confia trois missions successives. Il fut d’abord engagé, par l’entremise de Paul Lengrand, fondateur de Peuple et Culture et membre depuis 1948 du secrétariat de l’UNESCO, comme administrateur d’un stage international sur l’emploi des moyens audiovisuels dans l’éducation des adultes qui se déroula durant l’été 1953 à Messine (Italie). Il prit ensuite en charge la gestion d’une expérience menée à partir de septembre 1953 dans l’Aisne au sujet de l’impact de la télévision sur les représentations et les comportements de spectateurs ruraux ; cette action se prolongea avec la création en 1955 d’une association Culture et télévision, affiliée à Peuple et Culture et subventionnée par l’UNESCO, dont Joseph Rovan devint secrétaire général. Il accepta enfin une dernière mission durant l’année 1955 en tant qu’expert dans le sud de l’Italie auprès de l’Union nationale de lutte contre l’analphabétisme.

Si Peuple et Culture constituait depuis 1946 la « colonne dorsale de [son] existence professionnelle et publique » (Rovan, 1999, p. 247), il parvenait à mener de front diverses activités. Il suivit par fidélité Edmond Michelet, engagé en 1945 dans les rangs du Mouvement républicain populaire, puis rallié en 1958 au général de Gaulle, dans ses fonctions ministérielles : Joseph Rovan devint son conseiller politique et technique au ministère des Armées (1945-1946), au ministère des Anciens combattants (1958-1959), au ministère de la Justice (1959-1960) et au ministère d’État chargé de la Fonction publique (1967-1968). Malgré son propre ralliement en 1958 au général de Gaulle, le seul, d’après lui, capable de mettre un terme à la question algérienne, il prétendait n’avoir « jamais rompu complètement avec les sentiments de [sa] jeunesse, qui combinaient l’analyse marxiste et l’espérance chrétienne » (Rovan, 1999, p. 452). Membre d’un cabinet ministériel en mai 1968, il participa ainsi conjointement au nom de Peuple et Culture aux séances, réunissant au Foyer international d’accueil de Paris des dirigeants de mouvements associatifs, qui aboutirent à la constitution le 27 mai du Comité national des associations de jeunesse et d’éducation populaire.

Après les évènements de mai-juin 1968, et malgré son échec à l’oral de l’agrégation d’allemand en 1950, il fut nommé en 1969 professeur associé au sein de l’unité d’enseignement et de recherche d’allemand de l’université de Vincennes (Val-de-Marne). Après sa soutenance de thèse en 1979, il fut élu en 1981 professeur titulaire à l’institut d’allemand de l’université Paris 3 Sorbonne nouvelle située à Asnières (Hauts-de-Seine). Il qualifiait lui-même son interprétation des sujets historiques et politiques, matière de son enseignement, de « libéral de gauche » (Rovan, 1999, p. 462). Il prit sa retraite universitaire en 1986. Son Histoire de l’Allemagne, des origines à nos jours, rééditée à plusieurs reprises, reçut en 1994 le prix de l’Académie française.

Une part centrale de sa vie professionnelle fut également occupée par son activité journalistique. Fidèle lecteur depuis ses années de lycée de la revue Esprit, il en devint secrétaire de rédaction de l’automne 1945 à l’été 1946, puis participa à la vie éditoriale et rédactionnelle de la revue jusqu’en 1978. Il fut, en outre, à partir de 1954, et jusqu’à la fin des années 1980, correspondant permanent à Paris de la radiodiffusion bavaroise et du quotidien régional badois Le Matin de Mannheim.

Il quitta définitivement Peuple et Culture à l’automne 1978 et mit son énergie au service exclusif de l’entente et de la coopération franco-allemande. Il avait été membre (au nom de Peuple et Culture) du conseil d’administration de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (1963-1969) créé à la suite du traité de l’Élysée du 22 janvier 1963 par Konrad Adenauer et Charles de Gaulle. Il accepta cinq ans plus tard la vice-présidence déléguée (1974-1981), puis la présidence (1981-2001) du Bureau international de liaison et de documentation, créé en 1945 pour le développement des relations franco-allemandes.

Pour son soixante-quinzième anniversaire, une fête fut organisée en septembre 1993 à l’ambassade d’Allemagne à Paris par le chancelier allemand Helmut Kohl.

Il succomba à une crise cardiaque le 27 juillet 2004 au cours d’une baignade dans un lac proche d’une maison de famille située à Saint-Christophe-les-Gorges (Cantal).

Décerné chaque année depuis 2006 par l’ambassadeur de France en Allemagne, le prix Joseph Rovan distingue des associations qui œuvrent au dialogue franco-allemand.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article170597, notice ROVAN Joseph [ROVAN Joseph, Adolphe], né ROSENTHAL Joseph par Thibaud Blaschka, version mise en ligne le 12 février 2015, dernière modification le 14 décembre 2021.

Par Thibaud Blaschka

ŒUVRE CHOISIE : « L’Allemagne de nos mérites », Esprit, n° 115, 1945. — Allemagne, Seuil, 1955. — Regards neufs sur l’Europe, Seuil, 1956.— Une idée neuve, la démocratie, Seuil, 1962. — Contes de Dachau, Julliard, 1987. — Citoyen d’Europe, Robert Laffon, 1993. — Histoire de l’Allemagne, des origines à nos jours, Seuil, 1994. — Mémoires d’un Français qui se souvient d’avoir été Allemand, Seuil, 1999. — Histoire de la social-démocratie allemande, Seuil, 1978. — Histoire du catholicisme politique en Allemagne, Seuil, 1956.

SOURCES : Arch. Dép. de Seine-Saint-Denis, 23 J 1, Robert Aimé et Maurice Delarue, Travail et culture. Éléments historiques (période 1944-1949), 1985. — Bénigno Cacérès, Les origines de Peuple et culture, Peuple et culture, 1985. — Vincent Troger, « De l’éducation populaire à la formation professionnelle, l’action de Peuple et culture », Sociétés contemporaines, n° 35, 1999. — Marie-Bénédicte Vincent, « Démocratiser l’Allemagne de l’Ouest après 1945 : une association française d’éducation populaire sur le terrain, Peuple et culture », Le Mouvement social, n° 234, 2011. — Daniel Vernet, « Joseph Rovan. Un humaniste français qui se souvenait d’avoir été allemand », Le Monde, 30 juillet 2004, p. 12. — Ouvrages de Joseph Rovan présentés dans la rubrique « Œuvre choisie ». — Service central d’état civil du Ministère des Affaires étrangères.

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