Par Madeleine Singer
Né le 5 juin 1929 à Millau (Aveyron) ; agent de service, puis garçon de laboratoire ; secrétaire national du Syndicat général de l’éducation nationale (SGEN) pour les agents de service de 1957 à 1968.
Pierre Boissière était le fils cadet d’Ernest Boissière, ouvrier gantier qui avait cinq enfants. Ses parents étaient des sourds-muets profonds qui communiquaient par gestes et mouvements des lèvres. Sa mère votait MRP tandis que son père se situait dans la mouvance radicale-socialiste. P. Boissière passa son certificat d’études, puis travailla comme ouvrier-gantier à partir de 1944. Il appartint alors à la JOC et fut responsable de la section paroissiale. Entré à la CFTC dès 1945, il fut de 1949 à 1957 secrétaire du syndicat CFTC de la ganterie et de la mégisserie de Millau. Il s’était marié en 1953 avec une militante jociste qui était couturière, Ginette Rey ; elle passa alors à l’Action catholique ouvrière (ACO). Ils eurent six enfants.
En 1957 P. Boissière quitta la profession de la ganterie, vu le chômage larvé qui y régnait. Il devint agent de service au collège de Millau qui venait d’être nationalisé ; cet établissement fut quelque temps lycée avant de devenir CES en 1970. Cette année-là P. Boissière fut nommé garçon de laboratoire par promotion interne, mais l’échelle indiciaire était alors celle des agents de service. Il prit sa retraite dans cet établissement en 1989.
Adhérant au SGEN dès son entrée dans l’Education nationale, il devint aussitôt secrétaire de la section nationale des agents qui put exister grâce à lui. Jusque-là il y avait seulement quelques noyaux d’agents syndiqués dans des villes comme Charleville ou Saint-Quentin qui appartenaient alors à l’académie de Lille, académie dans laquelle un professeur du secondaire, André Gounon*, avait pris en charge les problèmes de cette catégorie. Certes l’académie d’Alger avait depuis 1955 un élu SGEN à la Commission administrative paritaire des agents, mais celui-ci, Cointe, pouvait seulement venir au Congrès national et siéger au Comité national qui suivait ce congrès. Comme Millau était loin de Paris, les dirigeants du Second degré continuèrent à effectuer pour les agents les démarches au ministère, mais une correspondance assidue entre A. Gounon et P. Boissière permit de répondre à toutes les questions relatives au statut, soit dans Syndicalisme universitaire, soit dans les bulletins « agents » qui, d’abord ronéotypés, furent imprimés à partir de 1963 et parurent alors en supplément de Syndicalisme universitaire toutes les six semaines. P. Boissière se souvient d’avoir été à l’origine de trois dispositions dans le statut des agents : interdiction de transport de fonds par le concierge, remplacement pour les courses en ville du vélo personnel par un vélo fourni par l’administration, installation obligatoire d’une ligne téléphonique directe pour l’infirmerie.
Élu au comité national en 1960, P. Boissière fit franchir à la section des agents trois étapes importantes. D’abord le 27 décembre 1963, un Bureau national agents fut constitué : il se réunissait une ou deux fois par an, le plus souvent à l’occasion du Comité national, et réglait les principales questions : application du statut, élections, cotisations, etc. Puis, au Comité national du 7 juin 1964, P. Boissière fut à sa demande élu au Bureau national car on avait perdu de vue le fait que les statuts du SGEN, depuis 1955, faisaient du secrétaire des agents un membre es-qualités du Bureau national comme pour les autres catégories importantes de l’Éducation nationale. P. Boissière avait posé sa candidature pour affirmer l’importance de la section, mais il avait été entendu avec Paul Vignaux* que, vu l’éloignement, il ne siégerait pas.
Enfin c’est en 1964 qu’il y eut pour la première fois une session « agents », organisée par P. Boissière à Seyssins, près de Grenoble. Pendant trois jours, les agents étudièrent outre leur propre statut, l’histoire du mouvement ouvrier, celle de la CFTC et du SGEN Ils apprirent à rédiger une lettre administrative, participèrent à des exercices de prise de parole, en simulant des rencontres entre agent et intendant, entre agent et agent-chef. Les participants dirent combien ces exercices leur avaient été bénéfiques car ils ne se croyaient pas capables de parler. A. Gounon vint à Seyssins « sur ordre du National pour voir de quoi Boissière était capable » ; emballé par la session, il lui déclara : « Je vais pouvoir dire que vous êtes tout-à-fait apte à mener une session ».
Renouvelée à Seyssins l’année suivante, la session se transporta ensuite à Pont-à-Mousson, au Mans, à Reims, à Saint-Girons, etc. Les échos rédigés par P. Boissière pour le bulletin « agents » faisaient connaître partout le travail accompli et suscitaient le désir d’y participer. Ceci conduisit, dit-il, à diviser la session en deux groupes à partir de 1967 : « session du premier degré pour les nouveaux, session du second degré pour les anciens ». P. Boissière ne put se rendre en 1968 au congrès national à cause d’une maladie qui allait durer douze ans et entraînait notamment l’impossibilité d’écrire. Il abandonna alors toutes ses responsabilités, comme il l’annonça lui-même dans le rapport d’orientation que Syndicalisme universitaire publia le 1er février 1968. Le congrès d’avril 1968 lui maintint la charge de la formation ; il prépara encore la session de Saint-Girons en 1969, mais la maladie ne lui permit pas d’y participer.
Militant de base au PSU, il le quitta en 1967 parce que « catho il était soupçonné de double jeu ». Il adhéra alors à la Convention des institutions républicaines (CIR) et fut secrétaire de la section de Millau. Il passa avec celle-ci au Parti socialiste lors du congrès d’Épinay, mais quitta le Parti en 1980 à cause d’un conflit avec les responsables de la section de Millau, en majorité des enseignants. Il fut à différentes reprises candidat tant aux élections municipales que cantonales (1973) ou législatives : candidat officiel de la CIR.en 1967, il se retira au bout de trois jours parce que les radicaux-socialistes lui opposaient un autre candidat.
Mon combat d’aujourd’hui, m’écrit-il en 1996, c’est la « dépendance » des personnes âgés. Co-fondateur de l’« Association solidarité-dépendance de Millau, Fenaille et la région », créée en 1990, il en est depuis lors le président. À ce titre il a adressé le 10 juillet 1995 une lettre au Président de l’association des présidents des Conseils généraux, demandant que la gestion de l’Allocation-dépendance soit assurée par la Sécurité sociale et non par les Conseils généraux. Avec d’autres associations, il adressa la même demande à tous les parlementaires par lettre du 30 octobre 1995. P. Boissière envoya également cette lettre au Président de la république, le 17 janvier 1996, car celui-ci avait évoqué la prestation-autonomie lors de la cérémonie des vœux à l’Elysée.
Si un modeste élève de l’école primaire, privé de tout appui dans le milieu familial, a pu devenir un militant de grande classe, c’est d’abord grâce à la JOC qui fut, dit P. Boissière, « une bonne école de formation centrée sur la classe ouvrière ». Puis il connut les Cahiers Reconstruction en allant au Comité national et s’y abonna : « J’ai été très marqué par les Cahiers, ils ont contribué à ma formation civique, syndicale, politique ». Il ajoute aujourd’hui que le personnage qui l’a le plus influencé dans sa vie de militant syndicaliste, c’est Paul Vignaux* : « Je suivais avec avidité ses grands exposés dans les Conseils nationaux du SGEN, surpris de voir que les professeurs membres du Conseil national ne suivaient pas aussi bien ». En retour le SGEN lui doit une section agents qui s’imposera au plan national en obtenant en 1981 un des huit élus tant dans la Commission administrative paritaire nationale des agents de service que dans celle des ouvriers professionnels.
Par Madeleine Singer
SOURCES : Madeleine Singer, Le SGEN 1937-1970, Th. Lille III, 1984, 3 vol. (Arch. dép. Nord, J 1471) ; Histoire du SGEN, 1987, P.U.L. Syndicalisme universitaire (1955-1970). Lettres de P. Boissière à M. Singer, 8.3.1995, 20.3.1996, 28.3.1996 (A.P.).