BONDY François [BONDY Frantz dit]

Par Gilles Morin

Né le 1er janvier 1915 à Berlin (Allemagne), mort en mai 2003 à Zurich (Suisse) ; journaliste ; militant communiste oppositionnel puis socialiste ; rédacteur en chef de Preuves.

De nationalité suisse, par filiation, mais issu d’une famille originaire de Prague, et de confession juive, François Bondy entra en France fin 1931 avec ses parents. Son grand-père avait dirigé le théâtre allemand de Prague et son père, qui en était metteur en scène, était passé en Suisse en 1915. F. Bondy passa une partie de sa jeunesse à Nice, où il se retrouva au lycée avec Romain Gary, puis à Paris, où militant du Parti communiste français, il adhéra au groupe oppositionnel « Que faire » en 1935. Puis, le groupe rejoignant la SFIO il fut militant actif de celle-ci au sein de l’émigration allemande, appartenant à la tendance Bataille socialiste. Journaliste, du 1er juin 1936 au 30 novembre 1937, il collabora à l’Agence économique et Financière, puis, bénévolement, comme rédacteur au journal Parizer Tageszeitung, organe anti-hitlérien, édité en langue allemande en France d’août 1938 à mai 1939.

Au début de la guerre, François Bondy suivit des cours à l’École des Hautes études et prépara une thèse sur la sociologie et l’économie à la Sorbonne. Il fut interné le 17 mai 1940 à Roland-Garros par les autorités françaises, puis deux mois au camp de Vernet, enfin expulsé vers la Suisse en juillet. Il témoigna alors des conditions de détention dans ces camps, contribuant au lancement d’une campagne internationale contre les conditions de détention, qui se développa en Suisse et aux États-Unis. En janvier 1941, il était recherché comme « militant socialiste révolutionnaire » par les Renseignements généraux. À Zurich, il collabora alors à la revue antifasciste italienne Libera Stampa, participa à la création de Svizzera Italiana et fit alors la connaissance d’Ignazio Silone. Il fréquenta alors les pionniers du fédéralisme européen et participa à des projets de revue européenne pour l’après-guerre.

À partir de 1945, François Bondy fut correspondant de l’organe Zurichois Weltwoche (La Semaine dans le monde), hebdomadaire d’information de tendance conservatrice et collabora à Der Monat, revue à vocation européenne financée par les Américains à Berlin. Il séjourna régulièrement à Prague en 1946-1947, où il put prendre conscience de la prise de pouvoir progressive par les communistes. Sur fond de Guerre froide, après le succès du Kongress fur Kulturelle Freiheit à Berlin en juin 1950, auquel il avait été étroitement associé, il fut choisi pour être un des organisateurs du Congrès pour la Liberté et la Culture, programme culturel américain, mais surtout agence anticommuniste mise en place avec l’appui des syndicats (AFL avec Irving Brown), mais aussi des autorités et services secrets américains. Outre le bureau de Paris du Comité, un autre fut ouvert à Berlin, avec Margarete Buber-Neumann et Richard Löwenthal, un troisième à Rome par Ignazio Silone. François Bondy organisa le premier congrès international pour la Liberté de la culture qui se tint à Bruxelles en novembre 1950, où il proposa la fondation d’une Ligue internationale « sorte de communauté atlantique sur le plan intellectuel » qui « se préoccupe, plus qu’aucune autre organisation actuellement existante, du sort de la jeunesse des pays actuellement soumis au totalitarisme ».

Dans les débats animés qui agitaient le groupe qui hésitait entre fonder un mouvement international large, afin de contrer le Mouvement de la Paix initié par le Kominform, et la mise sur pied d’un réseau international de haut niveau agissant par influence intellectuelle, il joua un rôle d’intermédiaire essentiel, par ses relations personnelles avec Ignazio Silone, Arthur Koestler et Irving Brown. François Bondy a pu réaliser alors son projet de création d’une Revue européenne en lançant en mars 1951 Preuves, Cahiers mensuels du Congrès pour la liberté de la culture. Il occupa les fonctions de rédacteur en chef de cette revue intellectuelle jusqu’en 1967. Résolument antitotalitaire et favorable à la construction européenne, sans développer un esprit de croisade, la revue entendait donner des « preuves » sur le soviétisme et penser le totalitarisme selon le programme que François Bondy établit dans l’éditorial du numéro huit de la publication. Plutôt favorable à la décolonisation, elle se démarquait par ailleurs du maccarthysme et de la discrimination raciale aux États-Unis. On le vit ainsi, tout en reconnaissant la culpabilité des Rosenberg, demander la commutation de la peine de condamnation à mort qui les visait. Les années suivantes, il contribua à la publication de revues comparable à Preuves, Cuadernos pour l’Amérique latine, Forum pour l’Autriche, Der Monat pour l’Allemagne, Encounter pour les Anglo-saxons (Silone lançant un équivalent Tempo presente en Italie) et animait une maison d’édition transnationale. Un ostracisme véritable se développa dans les milieux de la gauche intellectuelle. Esprit écrivait après le numéro 4 : « Les Cahiers mensuels Preuves font consciencieusement leur besogne de propagande anticommuniste, et de défense de l’Amérique. On sait au moins à qui on a affaire ». Les nationalistes n’étaient guère moins hostiles à une revue résolument européaniste et favorable à la décolonisation ; les locaux furent plastiqués par l’OAS en 1962.

Nommé secrétaire adjoint du Mouvement international pour la liberté de la culture, avec Denis de Rougemont et René Lalive d’Épinay, François Bondy fut aussi l’un des organisateurs de sa branche française, qui prit le nom des « Amis de la Liberté », association déclarée en janvier 1951, dont le conseil d’administration était dirigé par Mme Malaterre-Sellier, assistée de Louise Weiss, Georges Altman et Henri Frenay*. Elle associait des milieux politico-intellectuels de l’ancien RDR, qui rejetaient le progressisme et le neutralisme (Altman et David Rousset* par exemple) et ceux qui étaient proches du RPF, autour de Liberté de l’Esprit de Claude Mauriac. Jean-François Sirinelli et Pascal Ory ajoutent, un troisième groupe, celui des extrêmistes de droite comme Thierry Maulnier et Jules Monnerot. En France, il s’appuyait, outre les personnes déjà citées, sur Raymond Aron, André Philip*, Germaine Tillion, Jacques Carat*, Michel Collinet*, Jean Bloch-Michel, Paul Parisot*, Boris Souvarine*, et au plan international sur Orwell, jusqu’à sa disparition Manès Sperber, Czeslaw Milosz, etc.

François Bondy jouait encore un rôle important de critique littéraire, en lien étroit avec la revue Kultura. Avec François Fetjö, il servait de lien entre la Mitteleuropa et les intellectuels français. Il fit connaître dans les milieux parisiens de nombreux auteurs européens, notamment germaniques et polonais (comme Miloz et Gombrowitcz), défendait la culture russe contre le stalinisme, ainsi que des intellectuels américains, notamment de gauche. En 1956, après un voyage en Hongrie, il présenta publiquement son témoignage le 6 novembre sur la révolution écrasée par les troupes russes lors d’un des « mardi de Preuves  » et l’année suivante, il publia avec Melvin J. Lasky chez Plon, La Révolution hongroise, histoire du soulèvement d’octobre.

En 1960, François Bondy cessa de faire fonction de directeur des publications du Congrès, ne conservant que la direction de Preuves et des éditions proches de la revue. Il intégra alors une nouvelle génération en rupture avec le communisme, François Furet*, Jean Duvignaud*, Edgar Morin*, Annie Kriegel*. En 1966, en pleine guerre du Vietnam, le New York Times mit en cause le financement par la CIA du Congrès pour la liberté de la culture entraînant sa disparition. Cette même année, Bondy participa à la création de la Fondation pour une entraide intellectuelle européenne, sous l’égide de la Fondation Ford. Il en devint président, mais les subventions aux revues furent coupées et Preuves disparut comme mensuel.

Dans le dernier numéro du mensuel Preuves, daté de juillet-septembre 1969, Bondy fit le bilan de dix-huit années d’activités, pour combattre « le fanatisme, l’ignorance et la peur ». L’année suivante, il participa au lancement d’un nouveau Preuves, trimestriel paraissant sous l’égide de Réalités, qui perdura jusqu’en 1975. Écarté de sa revue, - certainement pour les articles critiques sur la guerre du Vietnam - il perdit l’appartement parisien que le congrès avait mis à sa disposition et vécut après 1969 à Zurich. On le trouva par la suite dans diverses initiatives en faveur des dissidents, se détachant du Parti socialiste de François Mitterrand qui signait le programme commun avec le Parti communiste. Faisant la transition entre des générations intellectuelles qui acceptaient le libéralisme politique et rejetaient le totalitarisme, comme Jean-Claude Casanova et Pierre Hassner, il appartint au comité de direction de la revue Commentaire.

Durant toute l’après-guerre, F. Bondy eut par ailleurs une activité de traducteur, de réalisateur d’émissions radiophoniques et de journaliste en plusieurs langues. Il est l’auteur d’une dizaine d’essais, d’entretiens avec son ami d’enfance Romain Gary (La nuit sera Calme, Paris, Folio, 1974), avec Cioran (Entretiens, Paris, Gallimard, 1995) et traducteur en allemand des œuvres complètes d’Eugène Ionesco.
François Bondy décéda à Zurich en mai 2003. Intellectuel cosmopolite engagé, antifasciste dans sa jeunesse, antitotalitaire à l’âge adulte, il était de ces hommes de gauche, socialistes convaincus qui croyaient à la nécessité de construire une Europe libérale sur le plan politique. Pour cela, il acceptait l’alliance américaine, principalement avec la gauche du parti démocrate, mais même avec les agences américaines qui combattaient le communisme. Dans sa conclusion à la postface qu’il donna à l’ouvrage sur Preuves, il rappelait qu’un « anticommuniste n’était pas inévitablement un "chien" comme l’avait décrété Sartre mais souvent un homme de gauche qui avait observé et réfléchi ». Il n’occupa jamais une position publique politique, contrairement à ses compagnons André Philip ou Jacques Carat, mais, avec le plein appui de la direction de la SFIO, il mena le combat militant socialiste sans jamais se renier, jouant par ailleurs un rôle de passeur et de vulgarisateur essentiel entre intellectuels européens et d’outre-atlantique, même s’il est en partie oublié.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article17141, notice BONDY François [BONDY Frantz dit] par Gilles Morin, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 16 juillet 2013.

Par Gilles Morin

SOURCES : Arch. PPo, GA/B12/43985. — Preuves, une revue européenne à Paris, introduction de Pierre Grémion, postface de François Bondy, Julliard, 1989. — Pierre Grémion, Intelligence de l’anticommunisme, le Congrès pour la liberté de la culture à Paris, 1950-1975, Fayard, 1995. — P. Grémion, « François Bondy, 1915-2003. Hommage à l’ancien directeur de Preuves », Commentaire, décembre 2003.

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