Par Johanna Siméant
Né en 1959 à Bafoulabé dans la région de Kayes (Soudan), médecin et militant malien ; membre de l’Union des élèves et étudiants du Mali (UNEEM) de 1977 à 1980, membre fondateur (1990) puis secrétaire général (1991-1992) de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) ; membre du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP) après la transition démocratique de 1991 ; fondateur du réseau de radios libres Kayira dont il est directeur général ; fondateur en 1995 de l’ONG Médecins de l’Espoir / Santé pour la Communauté (MEDES/SAPCOM) ; fondateur en 1996 du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (SADI) ; membre du COPPO, le Collectif des partis d’opposition, en 1997 ; candidat à la présidentielle en 2002, 2007 et 2013 ; député du SADI (2007-2012 et depuis 2013) ; fondateur du Mouvement populaire du 22 mars (MP22) après le putsch du 22 mars 2012.
L’histoire d’Oumar Mariko (né en 1959 à Bafoulabé bien qu’il soit originaire de la région de Sikasso, où il a grandi, et du cercle de Kolonjeba) est celle d’un fils de fonctionnaire colonial, un vétérinaire issu d’une famille à la position un temps privilégiée (fils et petit-fils de chef de canton et descendant d’une famille fondatrice de village), et qui fait l’expérience de l’humiliation coloniale, du déclassement et de mutations répétées (son père a fait de la prison pour avoir giflé un commandant). L’enfance d’Oumar Mariko, troisième garçon de la première épouse de son père, sera rythmée par les déménagements à l’occasion des affectations de son père. Si son père est bambara, Oumar Mariko est aussi élevé en milieu soninké, langue qu’il comprend, et va à l’école française.
Lors de ses années de lycée (1976-1979, à Dioila puis à Bamako), il rentre à l’UNEEM, créée en mars 1977, puis devient membre de son bureau de coordination (1979-1980). Dès 1980, il est repéré par les forces de l’ordre. Après le bac, il s’inscrit à l’Ecole nationale de médecine. Il est donc étudiant lors de ce que l’on qualifie d’« années de braise » du mouvement étudiant, ces années pendant lesquelles certaines marches défilent au slogan de « vive Modibo » et s’opposent au régime militaire de Moussa Traoré.
L’UNEEM est dissoute le 15 janvier 1980 et remplacée par des comités scolaires UNJM (l’Union nationale des jeunes du Mali, dépendant du parti unique), mais Abdoul Karim Camara, dit Cabral, est élu président de l’organisation dissoute lors d’un congrès clandestin en février. Un mot d’ordre de grève est alors lancé pour protester contre des arrestations de lycéens (le mouvement est très actif dans les lycées). Lors de ces grandes manifestations étudiantes, Cabral est arrêté, torturé et meurt. Pendant les années 80, Oumar Mariko mène de front activisme clandestin et études de médecine.
En 1984, alors que la répression du mouvement étudiant est sévère (lui-même séjourne, en 1986, plusieurs mois en prison), il se saisit de l’existence des clubs UNESCO comme outils de réunion et de mobilisation clandestins en milieu étudiant sous le couvert d’une activité de sociabilité d’apparence neutre, modérée et internationale. Son stage d’internat se déroule au Point G, à l’hôpital Gabriel Touré, à l’IOTA et au service de traumatologie de l’hôpital de Kati. C’est à cette époque qu’il entre à l’Union des Groupes Tiémoko Garan Kouyaté (peu ou prou une scission de « Sur la Voie du Bolchevisme » de Mohammed Tabouré et Yoro Diakité, scission du PMT entraînée par ce dernier), où il sera responsable de la jeunesse et l’un des membres de la direction.
Le 27 octobre 1990, il est de la petite quarantaine de membres fondateurs de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM), dont il devient secrétaire général jusqu’à la fin 1991. C’est à ce titre qu’il est une des figures actives du mouvement démocratique qui aboutit au renversement du régime de Moussa Traoré, et qu’il devient membre du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP), l’instance de 25 membres (10 militaires, 15 civils) chargée de gérer la période transitoire jusqu’à janvier 1992, et dont les civils représentent des organisations démocratiques ayant participé à l’opposition au régime de Moussa Traoré : ADEMA, CNID, UNTM, AMDH, AJDP, JLD, ADIDE, AEEM, ainsi que deux organisations touarègues, le Mouvement populaire de l’Azawad et le Front islamique populaire de l’Azawad. En 1992, il participe, après un conflit avec les adémistes d’Alpha Oumar Konaré autour de la fondation d’une des premières radios libres au Mali, à la fondation des associations de radio libre Kayira, qui crée la première radio Kayira, celle de Bamako, troisième radio libre du pays. Pour ce faire il bénéficie du soutien de la petite communauté alternative et anticapitaliste de Longo Maï en France, à laquelle il est connecté par une de ses anciennes correspondantes des clubs UNESCO, Frédérique Maillot. En juillet 1993, aux débuts de la présidence d’Alpha Oumar Konaré, il soutient sa thèse de docteur en médecine sur la santé communautaire au Mali et commence à intervenir publiquement contre l’excision au Mali, en arguant de sa pratique de médecin. Mais 1993 est aussi une année de violences étudiantes très dures, liées notamment à la remise en cause du montant des bourses – et à ce qui est vécu comme une rupture de la reconnaissance du rôle reconnu aux étudiants dans la transition. Oumar Mariko est alors mis en cause par les autorités, bien qu’il nie pour sa part toute responsabilité dans les violences et accuse la présidence de la République d’avoir manipulé des étudiants pour en faire des agents provocateurs ensuite récompensés de ces « dérapages ».
Oumar Mariko investit dès lors son rôle de « tombeur de Moussa ». Ainsi, quand il est expulsé de Côte d’Ivoire en mai 1994 après être venu rencontrer des leaders étudiants de la Fesci pour évoquer la création d’une Association africaine de mouvements étudiants de gauche, il déclare dans le quotidien malien Nouvel Horizon « Dans l’esprit des autorités ivoiriennes, j’étais venu montrer aux jeunes Ivoiriens comment nous nous y sommes pris au Mali pour renverser Moussa Traore » .
C’est en 1995 qu’il fonde un cabinet médical, aidé par l’ambassade du Canada, ainsi que l’ONG permettant de la soutenir, Medes Sapcom (Médecins de l’espoir, santé populaire et communautaire), qui collecte des fonds en Europe, puis en 1996 le SADI (Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance), « Parti politique démocratique, populaire, patriotique et panafricaniste ».
Son opposition au régime d’Alpha Oumar Konaré se durcit au moment de la campagne pour la réélection de ce dernier et lors des législatives qui suivent en août 1997. Oumar Mariko appartient alors au COPPO, le Collectif des partis d’opposition. Lors de cette période de violents affrontements politiques, un policier décède le 10 août, lynché, alors qu’il se trouve en civil dans un meeting de l’opposition. Plusieurs leaders de l’opposition sont arrêtés ou mis en accusation, un mandat d’arrêt international est lancé contre Oumar Mariko qui se cache puis fuit le pays pendant 11 mois.
Candidat à la présidentielle en 2002, il n’obtient alors que 0.88% des voix. L’arrivée au pouvoir d’Amadou Toumani Touré en 2002 contribue à apaiser le rapport agonistique du SADI à un pouvoir assimilé jusqu’alors à Alpha Oumar Konaré et l’ADEMA. Le SADI participe alors au gouvernement en la personne de Cheick Oumar Cissoko, ministre de la culture. Oumar Mariko affirme s’être opposé au sein du parti à cette participation au gouvernement, et avoir été mis en minorité sur ce choix.
Malgré le départ du Sadi du gouvernement à partir de la réélection d’ATT en 2007 (Oumar Mariko obtient alors 2,72% des voix), il est élu député en 2007 dans la circonscription de Kolonjeba, fonde un groupe en mettant en commun ses députés avec ceux du PARENA de Tiebilé Dramé, actif comme lui dans l’opposition à Moussa Traoré et avec qui il garde de solides liens, et arrive même à obtenir la 10e vice-présidence de l’Assemblée nationale et préside la commission des Affaires étrangères. Sa radio est financée par la publicité (guérisseurs, prêcheurs, sponsors)… et par son lien à l’ONG Medes Sapcom. Elle s’appuie également sur un réseau de radios (Kayira compte 9 radios sur le territoire), et un réseau de clubs d’amis de la radio.
En 2012, et alors qu’approche la présidentielle qui voit la fin du deuxième mandat d’ATT, il accueille avec enthousiasme le putsch du 22 mars du capitaine Amadou Haya Sanogo et fonde à cette occasion le Mouvement populaire du 22 mars (MP22). Au retour à la normale, il est à nouveau candidat à la présidentielle en 2013, où il obtient 2,57% des voix. Après le premier tour, il appelle à voter pour Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), qui sera élu, et se ralliera ensuite à la majorité présidentielle. Si ce ralliement peut sembler surprenant compte tenu du rôle d’IBK, alors Premier ministre, lors de la répression des mouvements étudiants des années 90, cela doit aussi être compris à partir de la figure repoussoir qu’a constituée l’autre candidat du second tour, Soumaïla Cissé, assimilé à un libéralisme économique honni.
Il n’a jamais cessé de tenir des positions anti-impérialistes et panafricanistes (c’est au nom de ces dernières qu’il a protesté contre la guerre en Lybie, quand bien même il était particulièrement critique sur le sort fait aux immigrés maliens sous Muammar Khaddafi), manifestant la nostalgie des années Modibo Keïta au Mali ou de la personne de Sékou Touré. En tant que figure de la gauche malienne, il est un interlocuteur privilégié d’une partie des gauches et extrêmes-gauches européennes, et parfois assimilé à l’altermondialisme bien qu’il ne revendique pas cette étiquette.
Marié à Korotoumou Théra, une leader de l’AEEM en 1990-91, diplômée de l’Ecole nationale d’administration du Mali, il a quatre enfants.
Par Johanna Siméant
Entretien, 26 décembre 2008.
Ophélie Rillon et Alexis Roy (terrains respectifs)
Siméant Johanna, Contester au Mali : formes de la mobilisation et de la critique à Bamako, Paris, Karthala, 2014.
Sissoko Aboubacar Eros, Docteur Oumar Mariko : une légende vivante, Paris, L’Harmattan, 2011.