Par Notice de Jean Maitron, revue et complétée par Jacques Grandjonc
Né le 9 août 1808 à Vaux-la-Valette (Charente) ; célibataire (il vivait en concubinage) ; communiste, membre de l’Internationale et de la Commune de Paris, mort à la Maison centrale de Melun le 13 juin 1877.
Après des études secondaires au séminaire, Pillot — qui ne fut jamais ordonné prêtre, contrairement à ce que l’on a pu écrire — quitta cette institution en 1828 pour enseigner dans un établissement public et entreprendre des études de médecine, restées inachevées. Vers 1835-1836 il fit partie quelques mois de l’Église française de l’abbé Chatel et tenta lui-même de fonder une église socialiste au Pecq (Seine-et-Oise), 23, rue Saint-Germain, ce qui lui valut, le 8 septembre 1836, six mois de prison à la cour de Versailles, pour « bris de scellés, usurpation de costume ecclésiastique et association illicite » (Arch. Nat., CC 774), confirmés par la Chambre des appels de la cour royale de Paris, le 3 décembre 1836 (il demeurait aussi 10, rue Saint-Martin, VIe arr., maintenant IVe). Il se qualifiait cependant de « ministre chrétien de l’Église française unitaire », ainsi lors de son procès de 1836 ou lors de son écrou en juin 1839 ou encore en 1848 lorsqu’il demanda un emploi comme victime de la monarchie de Juillet (Arch. PPo., Aa/336). Il effectua sa peine du 3 janvier au 1er juillet 1837 à Sainte-Pélagie.
A partir de 1838 il était devenu un propagandiste du communisme néobabouviste, comme en témoigne La Tribune du peuple, recueil philosophique et historique à caractère matérialiste, anticlérical et révolutionnaire, dont il dirigeait la rédaction. Il était en même temps membre de la Société des Saisons. C’est sans doute à ce titre qu’il fut suspecté d’avoir participé aux journées de mai 1839 et que sa qualification devint « homme de lettres ». Écroué le 14 juin à Sainte-Pélagie. Il bénéficia d’une ordonnance de non-lieu de la Cour des pairs du 23 octobre 1839 mais ne put sortir car, entre temps, il avait été condamné le 10 août par la chambre d’appels de la cour royale de Paris, à 6 mois de prison et 500 F d’amende pour " avoir publié sans cautionnement et sans autorisation préalable un écrit périodique paraissant une fois par semaine sous le titre de Tribune de Peuple et d’avoir traité politique ". Il ne fut libéré que le 5 février, peine expirée.
Dans le grand débat sur le communisme qui s’amorce en 1840, il publia en mai Ni châteaux ni chaumières, ou État de la question sociale en 1840 et en août une Histoire des Égaux. Mais son activité la plus retentissante fut la préparation avec Th. Dezamy, d’un banquet communiste s’opposant aux banquets réformistes de l’été 1840 (c’est à son domicile, 7, impasse du Paon, XIe arr., maintenant boul. Saint-Germain, VIe, qu’étaient distribués les billets d’entrée). Il présida de fait le banquet, qui se tint à Belleville, auquel participèrent 1 200 personnes dont 800 communistes, « les hommes des sociétés secrètes », « la majeure partie des sectionnaires » néobabouvistes, comme le note le préfet de police. Le compte rendu en fut publié les jours suivants sous le titre Premier Banquet communiste, le 1er juillet 1840. Publié par le comité de rédaction : J.-J Pillot, Th. Dezamy, Dutilloy, Homberg.
Dès septembre Pillot était arrêté, écroué le 8 à Sainte-Pélagie et poursuivi pour communisme et association illicite, ainsi que de détention de munitions de guerre, en compagnie de six autres inculpés. Il s’agissait d’une « secte communiste » qui rêvait « l’anéantissement du droit de propriété » et son remplacement par un « système de communauté égalitaire »... Sans doute retardé par le procès Darmès (attentat du 15 octobre 1840), dans lequel figure un dossier Pillot, qui, bien qu’en prison, fut inculpé mais sans suite, le procès de Pillot et de ses coinculpés ne vint devant le tribunal correctionnel de la Seine qu’en juin 1841 et le procureur du roi ayant interjeté appel des condamnations insuffisantes à son gré, il fallut aux prévenus attendre le 10 juillet pour être fixés sur leur sort. Pillot fut condamné à six mois de prison, compte non tenu de la détention préventive. Il publia cependant début octobre 1841 La Communauté n’est plus une utopie ! Conséquence du procès des communistes. Il fut libéré le 9 janvier 1842, peine expirée..
On le retrouve en 1848, candidat malheureux à l’Assemblée nationale. Après le coup d’État de décembre 1851, il fut condamné à la déportation.
Son séjour au Brésil se situe sans doute durant le Second Empire. Il y obtint, reconnut-il (Gazette des Tribunaux, 23 mai 1872), un brevet lui donnant « le droit d’exercer l’homéopathie » et ce fut là, semble-t-il, l’origine de son titre de docteur. De retour à Paris, il exploita un produit pour l’hygiène de la bouche et s’occupa de la fabrication de dentifrices et de dentiers.
Pillot ne reparut sur la scène politique qu’après la proclamation de la République, le 4 septembre 1870. Il fut alors un des orateurs puis un des présidents habituels du club de l’École de Médecine. Le 31 octobre, il fut désigné par Blanqui pour prendre possession de la mairie du Ier arr. Arrêté, il obtint d’être mis en liberté provisoire, puis fut acquitté, car il prétendit que l’ordre qui lui avait été remis portait le cachet du Gouvernement de la défense nationale. Il s’occupa ensuite de fournitures d’armes pour le gouvernement moyennant une commission de 3 % sur les marchés. Le 6 janvier 1871, il signa l’Affiche rouge pour dénoncer au peuple de Paris le gouvernement du 4 septembre qui avait failli à sa mission de défense nationale et pour mettre en avant trois mots d’ordre : Réquisition générale, rationnement gratuit, attaque en masse. Voir Ansel. Enfin, il prit part au 18 mars. Il habitait alors, 108, rue Saint-Honoré, avec une femme Baron, sa concubine depuis 25 ans, et appartenait à l’Internationale, section du Panthéon et section du XIIIe arr. Si on en croit son acte de décès elle le "veuve Baron" devint sa femme officielle.
Il fut élu membre de la Commune à l’élection complémentaire du 16 avril dans le Ier arr. par 1 748 voix sur 3 271 votants (le 26 mars, il avait obtenu 3 309 voix sur 11 056 votants). Délégué à la mairie de son arrondissement — avec Joly, Napias-Piquet, Sallée, Tanguy, Toussaint, Winant — il vota pour le Comité de salut public. C’était alors « un vieillard à la tête presque chauve, au regard vague, à la voix chevrotante, que l’on n’aurait pas pris à sa mine pour un révolutionnaire bien dangereux, et qui a été cependant un des plus violents des membres de la Commune » (Clère, Les Hommes de la Commune, Paris, 1871).
Il fut accusé d’avoir pris une part active aux incendies du Louvre et des Tuileries, mais il s’en défendit, affirmant à propos des voitures contenant des matières inflammables destinées aux Tuileries et entrées au Louvre le 22 mai 1871 : « Je ne les ai même pas vues » (Gazette des Tribunaux, 23 mai 1872). Le 23 mai 1871, il quitta la mairie du Ier arr., passa quelques jours dans une maison près de la porte de Romainville, puis réussit à sortir de Paris. Il se réfugia alors à La Varenne-Saint-Hilaire, mais fut arrêté le 29 octobre. Le 5e conseil de guerre le condamna, le 22 mai 1872, aux travaux forcés à perpétuité, transformés en réclusion perpétuelle avec dégradation civique « en raison de son grand âge ». Cette peine fut réduite, le 19 juin 1875, à dix ans de réclusion. Jean-Jacques Pillot écrivit trois recours en grâce. Dans le premier, 3 décembre 1875, il allégua que son fils, encouragé par lui, avait fait « avec dévouement la campagne sous Paris » et qu’il venait de mourir, tandis que sa propre compagne était alitée depuis cinq mois. Dans le second, 24 avril 1876, il insistait sur les intérêts de ceux qui s’étaient associés à lui pour l’exploitation de ses « produits brevetés », et que lésait sa détention. Dans le troisième, 2 janvier 1877, il s’engageait à s’abstenir « de participer à l’avenir à toute agitation politique ».
Pillot mourut en prison le 13 juin 1877.
Il était père d’un enfant naturel prénommé Marcel décédé en juillet 1875.
En ce qui concerne le Premier Banquet communiste voir 1) pour les organisateurs et orateurs Th. Dezamy, Ch. Dutilloy, C. Homberg ; 2) pour les orateurs Bérichon, Comte, Courmont, Duval, Grossel, Jourdain, Kiener, Lallemand, J. Lionne, Auguste Louis, Neveu, Édouard Pandellé, le coiffeur Rozier, Selnet, l’horloger Simard, A. Vellicus, P.F. Villy ; 3) pour les participants qui se désabonnèrent du Journal du peuple, voir Couturat ; 5) ainsi que Cl. Considère, M. Darmès, L. Delahodde, V. Duclos, F. Dutertre, Lambrun et J. Robert.
Pour les inculpés du procès contre les communistes voir Audry, Blaise, H. Dourille, Lambrun, Rozier et Samesun.
Par Notice de Jean Maitron, revue et complétée par Jacques Grandjonc
ŒUVRES : Le Code religieux, ou le Culte chrétien, Paris, 1837, in-8°, 64 p. (incomplet), Bibl. Nat. D 2/10103. — La Communauté n’est plus une utopie ! Conséquence du procès des communistes, Paris, 1841, in-8°, 32 p., Bibl. Nat., 8° Lb 51/3533. — Histoire des Égaux, ou Moyens d’établir l’égalité absolue parmi les hommes, t. I, n° 1, Paris, 1840, in-12, 61 p., Bibl. Nat., 8° R/14226. — Ni châteaux ni chaumières, ou état de la question sociale en 1840, Paris, 1840, in-16, 60 p., Bibl. Nat., 8° Lb 51/3080. — La Tribune du peuple, recueil philosophique et historique, Paris, 1839, in-8°, 224 p., Bibl. Nat., R/52806.
SOURCES : Arch. Nat., BB 24/778, n° 10948. — Arch. Min. Guerre, 5e conseil. — Arch. PPo., A 103/16 (avec photographie). — Arch. Dép. Paris (Seine), registres d’écrou DY/8 10-3494, DY/8 17-9372, DY/8 19-138, DY/8 21-2889. — L’Humanitaire, n° 1, juillet 1841. — Roger Garaudy, Les Sources françaises du socialisme scientifique, Paris, 1948. — Cour des pairs. Procès politiques, 1835-1848, Inventaire dressé par J. Charon-Bordas, Paris, Archives Nationales, 1984, CC 736 N° 125, CC 774 N° 38. — La Gazette des Tribunaux, 1er et 4 décembre 1836 . — Jacques Grandjonc, Communisme/ Kommunismus/ Communisn. Origine et développement international de la terminologie communautaire prémarxiste des utopistes aux néo-babouvistes, Trier, Karl Marx Haus, 1989, p. 212, 231-232, 445-453. — Note de J. Risacher.