TOUTAIN Roger, Jean, Marcel

Par Yvonne Delemotte

Né le 26 août 1934 à La Villette (Calvados) ; ouvrier métallurgiste ; employé textile, permanent et secrétaire général de la Fédération Hacuitex CFDT ; membre du bureau national confédéral CFDT ; inspecteur du travail ; directeur départemental du travail d’Eure-et-Loir ; responsable du service du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle des DOM-TOM.

Roger Toutain fut le septième et avant-dernier enfant d’Émile Toutain, né en 1893 à Sainte-Honorine-la-Chardonne (Orne), ouvrier agricole, mobilisé durant la guerre 1914-1918 et décédé en 1940, et de Marie Brodin, née en 1899 à Proussy (Calvados), femme au foyer décédée en 1964. Tous deux étaient croyants mais non pratiquants, leurs enfants suivirent le catéchisme, comme tous les enfants de la commune.

Lors du débarquement en Normandie en 1944, Roger Toutain fut blessé lors d’un bombardement des alliés. Il fut d’abord soigné dans un hôpital allemand, aménagé dans un château à La Villette (Calvados) puis accueilli et soigné par des habitants réfugiés dans les galeries d’une mine de fer à Saint Rémy (Calvados). Sa famille ayant été évacuée à Mesnil-Villement (Calvados). Il fut séparé de ses parents durant quinze jours.

Roger Toutain fréquenta l’école publique de La Villette de 1940 à 1948 et obtint le certificat d’études primaires. À l’âge de quatorze ans, il entra au travail dans une fabrique de chaussures à Flers (Orne). Très vite, un camarade de travail l’invita aux réunions de la JOC. Il participa aux sessions de formation et fut responsable local et départemental de la JOC et il adhéra à la CFTC en 1953.
En 1954, ayant accepté d’être candidat aux élections de délégués du personnel suppléants, Roger Toutain fut licencié pour ce motif ainsi que le candidat titulaire. Ensuite, il fut embauché dans une usine Philips à Athys (Orne) et travailla à la chaine pour la fabrication de postes radio et de tourne-disques. Il devait se souvenir de ce travail répétitif lorsqu’il s’occupa plus tard de l’amélioration des conditions de travail.

En 1955 il fut appelé au service militaire à Bordeaux (Gironde) dans l’armée de l’Air. À l’issue de la période des classes, il fut volontaire pour suivre un stage de trois mois de secrétariat et fut affecté à la base aérienne de Pau (Basses-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques). Il passa le permis de conduire auto, devint sergent et adjoint d’un adjudant, chef du service de ravitaillement en carburant pour les avions. Estimant qu’il avait du temps libre et inquiet sur son avenir professionnel, Roger Toutain suivit des cours de comptabilité par correspondance et obtint le CAP d’aide-comptable de l’éducation nationale à Pau en juillet 1957.

Au retour du service militaire en octobre 1967, Roger Toutain fut embauché dans une entreprise textile de fabrication de fils élastiques à Condé-sur-Noireau (Calvados), comme magasinier aide-comptable. Très vite, il fut chargé de tous les achats, à l’exclusion des matières premières. Adhérent du syndicat textile CFTC, il fut élu délégué du personnel dans le collège des employés et représentant syndical au comité d’entreprise. Il anima le syndicat textile CFTC de Condé-sur-Noireau et subit la répression syndicale. Il fut mis à pied pour avoir affiché une information syndicale nationale, mais à la suite d’une action collective des salariés de l’entreprise, cette sanction fut annulée. En relation avec les autres syndicats CFTC du textile de la région, il négocia la révision de la convention collective textile de Normandie datant de 1936 et participa aux négociations nationales du textile. Il siégea au conseil puis au bureau de l’Union départementale interprofessionnelle du Calvados. Sur le conseil d’un jeune cadre de l’entreprise, il adhéra au PSU.

En 1962, Roger Toutain participa au congrès CFTC de la Fédération Textile à Lyon (Rhône) et entra au conseil fédéral. Au congrès fédéral de Tourcoing (Nord) en mai 1964, il s’inscrivit positivement pour la fusion entre les Fédérations Textiles, Habillement et Cuirs et peaux qui devinrent la Fédération Hacuitex. Les 6 et 7 novembre 1964, il participa au congrès extraordinaire de la CFTC qui décida de l’évolution de la CFTC en Confédération française démocratique du travail (CFDT) avec une réforme des statuts dans le sens d’une ouverture à tous les salariés chrétiens ou non.

Après le départ de la fédération Hacuitex d’André Georgeot, il fut sollicité pour devenir permanent, après beaucoup d’hésitation, il accepta et quitta la Normandie en août 1965 pour habiter Sarcelles (Seine-et-Oise, Val-d’Oise) avec son épouse et ses trois enfants. Au sein de la Fédération Hacuitex, il anima la branche Habillement. Au congrès fédéral d’Épinal (Vosges) en 1966, Roger Toutain fut élu secrétaire général adjoint.

En 1967, la longue grève des Rhodiacéta – plusieurs établissements furent concernés (Lyon et Besançon) – marqua l’équipe fédérale Hacuitex. Les salariés bloquèrent les usines, les occupèrent et installèrent des piquets de grève. Leurs revendications portaient sur l’emploi, l’indemnisation du chômage partiel, la liberté syndicale. Une commission paritaire nationale des textiles artificiels, sous la présidence du ministre du Travail, M. Jeanneney, conclut à un accord portant sur 3,8 % d’augmentation des salaires et une indemnité de chômage partiel. La CGT, défavorable à la grève des Rhodiacéta, estima cet accord positif, tandis que la fédération Hacuitex déclara que l’accord ne répondait pas aux revendications. Après vingt-six jours de grève, le travail reprit dans une certaine confusion.

La fédération popularisa les orientations du congrès fédéral d’Épinal de 1966 (Vosges) qui portèrent sur l’autogestion, les objectifs, les méthodes d’action pour une meilleure prise en charge par les travailleurs. À la suite de l’action des Rhodiacéta, la fédération négocia et signa un accord sur l’indemnisation du chômage partiel dans la convention collective nationale du textile naturel. Des négociations furent également engagées avec le CNPF et un accord interprofessionnel, excluant la confection, fut signé par la CGT. À cause de l’exclusion de la confection, la confédération CFDT ne signa pas l’accord et mena une action avec la CGT pour l’intégration de l’Habillement dans l’accord. Un accord séparé fut signé et les salariés de l’Habillement purent bénéficier de l’indemnisation du chômage partiel.

Pour le congrès de la Fédération Hacuitex prévu en mai 1968 à Saint-Étienne (Loire), Roger Toutain fut chargé de rédiger le rapport d’orientation. Alors que les derniers documents préparatoires avaient été envoyés dans les syndicats, le mouvement étudiant entra en lutte et le congrès fut reporté en octobre. Les permanents de la Fédération se déployèrent dans les régions pour soutenir la lutte des travailleurs. Après l’accord de Grenelle, Roger Toutain participa aux négociations nationales de la branche Textile naturel qui se traduisirent par des augmentations de salaires, des droits syndicaux et la création d’une convention collective nationale pour l’industrie de la chaussure. Roger Toutain soutint activement à la lutte des travailleurs en mai 1968 et mena les négociations dans les différentes branches de la Fédération (Chaussure, Maroquinerie, Textile naturel, Habillement, Cuirs et Tannerie).

Roger Toutain participa au meeting de Charléty à Paris qui rassembla 80 000 manifestants, il accompagna Frédo Krumnow qui prit la parole au nom de plusieurs fédérations CFDT. De nombreuses sections syndicales furent créées durant cette période, elles nécessitèrent un soutien et des formations syndicales pour les nouveaux militants que Roger Toutain assuma avec les autres permanents fédéraux.

La fédération Hacuitex s’impliqua fortement dans la préparation du congrès confédéral de 1970 qui fit suite aux événements de mai 1968. Dans le cadre de la préparation du congrès, Roger Toutain participa aux concertations entre fédérations et régions interprofessionnelles. Frédo Krumnov présenta un contre-texte au nom des fédérations Hacuitex-PTT-Commerce et la région Rhône-Alpes et de quelques syndicats, texte pour lequel Roger Toutain apporta sa contribution. Lors du congrès confédéral de 1970, Frédo Krumnow fut élu à la commission exécutive confédérale. Roger Toutain le remplaça comme secrétaire général de la Fédération Hacuitex et fut élu au Bureau national confédéral où il siégea jusqu’en 1976.

À partir de 1968, Roger Toutain s’investit dans l’amélioration des conditions de travail pour les salariés. Avec l’équipe fédérale, il organisa des sessions de formation aux conditions de travail pour les militants avec le docteur Alain Wisner, Antoine Lavilleet Catherine Teiger, psychologue. Les principales questions traitées étaient les répercussions sur la santé du travail de nuit et posté, du travail au rendement. Ces sessions de formation répondirent aux besoins des militants et militantes, pour leur compréhension précise des situations, les objectifs revendicatifs et les actions à mener pour la suppression du travail au rendement et l’amélioration des conditions de travail. Ces actions furent importantes pour les femmes – notamment pour Ginette Mouchard – dans les professions comme l’habillement.

Après 1973, de nombreuses entreprises Hacuitex réorganisèrent leur production et commencèrent les délocalisations vers les pays à bas salaires entraînant des licenciements et des fermetures d’entreprise. De nombreuses luttes s’ensuivirent avec des occupations d’usine parfois accompagnées de productions et des ventes sauvages à l’image de la lutte des LIP à Besançon (Doubs). De 1973 à 1978 plusieurs entreprises furent concernées : Cousseau (habillement dans les Deux-Sèvres) qui prirent dans leur lutte le nom de PIL, les Tanneries d’Annonay (Ardèche), la CIP (Haisnes-la-Bassée, Pas-de-Calais), Desombre (Lille, Nord), Deffrennes (Roubaix, Nord), les entreprises Schlumpf en Alsace, les couvre-lits Ewaerwaer Saint-Quentin (Aisne). La fédération soutint toujours ces luttes pour l’emploi par diverses initiatives comme le rassemblement des conflits longs à Besançon, ce qui entraîna quelques incompréhensions avec la Confédération qui considérait ces positions trop basistes.

Roger Toutain contribua à réalisation de documents pratiques à la disposition des sections syndicales et des militants concernant les conditions de travail, l’emploi, l’information, la formation. Il effectua deux voyages d’études en Yougoslavie pour y observer le fonctionnement autogestionnaire, notamment dans les entreprises. En 1974, au nom de l’indépendance syndicale, Roger Toutain s’opposa à la participation et à l’engagement de responsables confédéraux aux Assises pour le socialisme avec le Parti socialiste. En réponse, la fédération publia et adressa aux militants Hacuitex un petit document intitulé Les relations syndicats-partis.

Après douze ans comme permanent à la Fédération, Roger Toutain décida de quitter ses responsabilités syndicales. Il ne se représenta pas au congrès de 1977 à Roubaix (Nord). Léon Dion* le remplaça comme secrétaire général de la Fédération. Pour sa reconversion, Roger Toutain effectua des études supérieures pendant deux ans au CNAM (Conservatoire des arts et métiers) et obtint le diplôme d’Études supérieures techniques d’ergonomie en 1979. Il fut admis à l’École des inspecteurs du travail à Lyon (Rhône) et il fut affecté dans les Hauts-de-Seine de 1981 à 1986. Son expérience syndicale et ses connaissances de l’entreprise, des salariés et de la pratique de la négociation lui permirent d’être reconnu et apprécié tant par les délégués syndicaux des entreprises qu’il suivit que des employeurs.

En 1985, Roger Toutain fut nommé chevalier de l’Ordre national du mérite. En 1986, il fut nommé directeur adjoint du travail et affecté à la Direction régionale du travail et de l’emploi d’Ile-de-France, puis à la Direction départementale de Paris comme directeur de secteur. En 1989, il fut nommé directeur départemental du travail et de l’emploi à Chartres (Eure-et-Loir). Souhaitant revenir sur Paris, en 1993, il fut détaché au ministère des DOM-TOM comme responsable du service du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle. Il participa à la préparation de la loi en faveur de l’emploi dans les départements d’outre-mer. En 1995, il réintégra le ministère du Travail à la délégation à l’emploi jusqu’à la retraite en 1996.

À la retraite, Roger Toutain resta un militant actif, il rejoignit le syndicat des retraités CFDT de Paris, il en prit la présidence entre 1997 et 2010. Il assura des permanences pour renseigner les futurs retraités sur leurs droits à la retraite. Il fut élu à la Mutuelle générale des affaires sociales et fut membre du conseil syndical de la copropriété et président de l’Association des résidents du Pressoir (XXe arr.), affiliée à la CNL (confédération nationale du logement).
Roger Toutain avait épousé en 1959 Geneviève Gallier. Le couple eut quatre enfants et douze petits enfants qui se retrouvent régulièrement dans leur maison en Normandie.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article171631, notice TOUTAIN Roger, Jean, Marcel par Yvonne Delemotte, version mise en ligne le 21 mars 2015, dernière modification le 12 avril 2021.

Par Yvonne Delemotte

SOURCES : Archives de la Fédération Hacuitex CFDT. ─ Archives confédérales CFDT. – Entretiens avec Roger Toutain.

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