Par Guillaume Roubaud-Quashie
Né le 20 janvier 1936 à Paris, mort le 1er octobre 2010 à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) ; professeur d’histoire à Paris puis Amiens (Somme), chercheur au CNRS ; secrétaire général de l’UEC (1959-1960).
Fils de Roger Robrieux, riche exportateur mendésiste et de Renée Robrieux, dont le père, ouvrier mécanicien, était communiste, Philippe Robrieux vécut une enfance bourgeoise dans le VIIe arrondissement de Paris, interrompue par la guerre qui, à Grenoble (Isère), le confronta à la brutalité du nazisme. Fasciné par les concierges communistes de son immeuble parisien, il n’en était pas moins adhérent de la Ligue maritime et coloniale. Chahuteur, il se détacha de ce premier engagement, au profit du ballon, vouant une admiration aux Brésiliens et aspirant lui-même à devenir un joueur professionnel – son oncle dirigeait le club du Racing. Par le biais du sport, il élargit son horizon social et il donna son adhésion à l’Union de la jeunesse républicaine de France (UJRF) en classe de 3e, avant de rejoindre le PCF en 1955. Tant aidé par son professeur de français (communiste), que tancé par sa section du PCF, le lycéen reprit le chemin du travail scolaire. Très investi dans l’action militante, il en vécut les dangers, attaqué au coup de poing américain par un partisan de l’Algérie française, mais aussi les apports culturels – brochures, journaux, conférences de l’Université nouvelle…
Bachelier, Philippe Robrieux rejoignit l’Union des étudiants communistes (UEC) nouvellement créée. Son engagement de plus en plus affirmé l’éloignant de sa famille, il dut se faire surveillant. Repéré par Jean Elleinstein, il fut propulsé au bureau national de l’UEC et ainsi amené à travailler étroitement avec le secrétaire administratif, Serge Depaquit, de sept ans son aîné, qui devint un proche en même temps qu’un modèle. À ses côtés, Philippe Robrieux anima l’action de l’UEC pour la paix en Algérie, ce qui lui valut d’être poursuivi pour atteinte au moral de l’armée et précipita la rupture avec sa famille. Chargé de représenter l’UEC au Comité anticolonialiste, Philippe Robrieux était par ailleurs secrétaire parisien de l’UEC, ce qui l’amena à s’opposer au remuant secteur Sorbonne-Lettres. C’est alors qu’il se lia d’amitié avec Jean Thorez et, par son intermédiaire, entra en contact direct avec Maurice Thorez, secrétaire général du PCF.
Orateur et organisateur efficace, Philippe Robrieux remplaça Claude Kastler à la direction de l’UEC à l’issue du IIIe congrès (1959) et, en conséquence, intégra en mai 1959, le comité fédéral PCF de Paris, tout en étant invité permanent, dès juin, au comité central.
À la tête de la première organisation politique étudiante du pays (5 248 adhérents revendiqués début 1959), il développa particulièrement trois thèmes : la bourgeoisie d’hier, alors classe montante, avait porté un legs humaniste, enseigné à l’université, mais désormais entré en contradiction avec la pratique réelle de la bourgeoisie contemporaine, générant politisation et quête étudiante d’alternative dans le contexte de la guerre d’Algérie ; le « barrage » opposé aux couches populaires, dans le cadre d’une université avare en soutien matériel pour les étudiants modestes, ainsi condamnés à l’échec de masse ; l’émergence, parmi les cohortes d’étudiants, d’un sentiment neuf d’inquiétude par rapport à l’avenir.
Philippe Robrieux avait une puissante admiration pour Maurice Thorez, qu’il fréquentait, mais les réserves de ce dernier à l’encontre de Khrouchtchev, exposées dans le cadre intime, ainsi qu’un train de vie jugé bourgeois par le jeune permanent aux maigres ressources, le heurtaient et contribuèrent à l’éloigner du secrétaire général, en même temps qu’ils le rapprochèrent de Laurent Casanova, responsable aux intellectuels chargé du lien avec les étudiants.
Lors du comité central de décembre 1960, Jeannette Veermersch dénonça « l’interprétation opportuniste du XXe congrès » du PCUS à l’œuvre dans l’article de Philippe Robrieux « Les communistes et les autres », ainsi que la complaisance de Clarté pour l’UNEF et ses initiatives interdites, notamment celle du 27 octobre 1960. Philippe Robrieux invoqua une faiblesse formelle masquant la justesse, sur le fond, de son propos. Toutefois, il ne tarda pas à être emporté dans « l’affaire Casanova-Servin ».
Il renoua alors avec ses parents qui le prirent de nouveau sous leur aile. Surveillant au lycée Buffon, il s’investit dans la FEN et devint même rapidement responsable national du secteur des maîtres d’internat et surveillants d’externat et, à ce titre, siégea au bureau national du SNES. Toujours lié au PCF dont il restait membre – il sollicita même auprès de Jeannette Vermeersch un poste de permanent –, Philippe Robrieux œuvra surtout, avec Serge Depaquit et Alain Forner, à mettre en échec la reconquête de l’UEC menée pour le PCF par Roland Leroy. Face aux insuccès et malgré un filet médiatique dans France Observateur via François Furet, il tendit à se détacher du militantisme communiste.
En 1962, il rencontra un jeune historien trotskyste, Pierre Broué (« une révélation ») : tout un nouveau continent intellectuel s’ouvrait. Il reprit ses études d’histoire, avec le concours actif d’intellectuels souvent passés par le PCF et/ou liés au PSU – notamment Jean-Pierre Vernant*, Colette Chambelland et surtout Madeleine Rebérioux. Titulaire de la seule propédeutique, il mena de front travail académique et salarié, jusqu’à obtenir brillamment l’agrégation.
Dans le même temps et malgré son estime pour Waldeck Rochet, il quitta le PCF en 1968 et joua, en Mai, un rôle second, œuvrant à unifier l’extrême gauche dans le « Mouvement révolutionnaire ». Il se rapprocha en 1969 du groupe Unir, aux côtés d’anciens communistes comme Jean Chaintron, Roger Pannequin ou Jean Pronteau auxquels il se lia intimement.
Sur les conseils d’anciens comparses de l’UEC, Claude Angeli et Paul Gillet, le professeur agrégé, vite en poste en Lettres supérieures au lycée Jules-Ferry (Paris) puis en Première supérieure (Amiens), nourrit un projet éditorial chez Fayard : une biographie de Maurice Thorez. Ce travail, initié en maîtrise sous la direction de Jacques Droz, se poursuivit sous celle d’Annie Kriegel, pour aboutir à la soutenance d’une thèse de 3e cycle face à René Rémond, Annie Kriegel et Maurice Duverger. Si quelques réserves furent émises dans le rapport – Annie Kriegel notant, par pointes, « un psychologisme et un moralisme », René Rémond se demandant si le biographe ne diminuait pas les qualités du biographié –, la tonalité était élogieuse, à l’image de l’essentiel de la réception historienne. De fait, les critiques méthodologiques relatives à l’emploi abondant des « sources privées » furent limitées à la Revue d’histoire moderne et contemporaine. Dans Les Annales, le spécialiste du marxisme Pierre Souyri loua : « Le livre de Ph. Robrieux vaut à coup sûr beaucoup mieux que le succès que lui a fait la presse à sensation alléchée par le parfum de scandale qui accompagne toujours les révélations concernant la vie et la personnalité des hommes qui ont été au centre de l’actualité politique. »
Ce succès de librairie, malgré l’Humanité, s’était nourri des conseils de Pierre Nora ou de François Furet, qui l’édita dans sa collection. Il se voulait œuvre scientifique mais eut, de fait, des effets politiques, déboulonnant la statue du « fils du peuple » : enfant illégitime d’un petit bourgeois, il n’aurait jamais été mineur, aurait mené une vie bourgeoise…
Ce premier livre installa Philippe Robrieux comme expert médiatique en communisme : interrogé par les journalistes comme par les historiens, le docteur rédigea en outre nombre de comptes rendus et d’articles dans la grande presse. Suivirent deux livres : ses mémoires puis Les grands goals de l’histoire, ce qui permit à l’attaché de recherche au CNRS de défendre sa passion sur le plateau d’Apostrophes : « Les grands joueurs de football sont presque toujours des fils du peuple. Le football est le plus grand art populaire sur la planète. »
Politiquement, les années 1970 furent marquées pour Philippe Robrieux par l’affirmation constamment réitérée de son communisme, une fréquentation du trotskisme mais, d’abord, par le rapprochement avec le Parti socialiste. Admirateur de François Mitterrand, il en devint le conseiller ès PCF, prédisant notamment la rupture du Programme commun. Cette amitié lui valut un chiot, offert par l’ancien ministre. Il prépara également le jeune Lionel Jospin pour son débat face à Georges Marchais (1980), permettant au socialiste, alors peu connu, de se faire repérer pour avoir déstabilisé le redouté dirigeant du PCF.
Sur le plan éditorial, Philippe Robrieux s’engagea dans la rédaction de L’Histoire intérieure du parti communiste. La publication du premier volume suscita à nouveau un très large intérêt. Le succès rencontré incita l’auteur et son éditeur à le prolonger par la rédaction d’un nouveau volume l’année suivante (1981) puis d’un autre dès 1982. Appuyé sur de très nombreux entretiens, le concours d’archives du renseignement américain et les archives inédites de l’ancien responsable à l’organisation du PCF, Auguste Lecœur, les premiers volumes apportaient une documentation considérable.
Devenu maître de recherche au CNRS, Philippe Robrieux publia un 4e volume de L’Histoire intérieure en 1984, au très large écho. L’historien y accusait l’ancien dirigeant communiste Jean Jérôme d’avoir livré le groupe Manouchian et s’en prenait à l’historienne Lilly Marcou. Dans le champ académique, les réactions furent, cette fois, extrêmement négatives. Annie Kriegel (« L’entreprise de Philippe Robrieux : un regrettable échec », Le Figaro 17-18/03/1984) puis Jean-Jacques Becker (« Questions de méthode », Le Monde 24/03/1984) ou Denis Peschanski (Vingtième siècle. Revue d’histoire, n°3) condamnèrent l’œuvre de l’historien et ses méthodes. En outre, une pétition de soutien à Lilly Marcou recueillit vite d’importantes signatures. Malgré deux tribunes favorables, le crédit de Philippe Robrieux était désormais très amoindri. De fait, le 5e volume annoncé de L’Histoire intérieure ne parut pas.
Suivirent toutefois La Secte, qui développait la caractérisation religieuse du PCF, puis L’Affaire Manouchian, qui approfondit la thèse esquissée à l’encontre de Jean Jérôme. Sollicité ponctuellement par la presse, il rédigea en 1986 pour Le Monde la nécrologie de Raymond Guyot. S’étant vu refuser un droit de réponse à la réponse de Gérard London, neveu de Guyot et fils d’Artur London et Lise London, il porta plainte contre le puissant quotidien, non sans conséquences sur la suite de cette collaboration.
Sur le plan politique, l’historien poursuivit son engagement aux côtés de François Mitterrand, désormais président de la République, avec lequel il s’entretenait à l’Élysée ou à Latche. En 1985 encore, il se définissait comme « un supporter décidé du président de la République et des socialistes. » Pour autant, les liens avec le PS se distendirent et le grand institut d’histoire du communisme un temps envisagé pour lui au CNRS fut abandonné. Philippe Robrieux fut en outre éprouvé dans sa vie personnelle. Il tâcha cependant de poursuivre ses recherches, pouvant compter sur le concours de réseaux encore larges, de Branko Lazitch à Maurice Agulhon en passant par Charles Tillon ou Pierre Broué. Il prépara ainsi une édition des archives de Boris Souvarine et apprit le russe. Pour autant, il écrivait à Annie Kriegel en 1991 : « Il est sage que je me prépare à la triste possibilité de ne plus pouvoir jamais faire un livre d’Histoire. » Footballeur passionné, il poursuivit cette activité et s’illustra même à la télévision dans un match amical pour Ex Libris (TF1).
Retiré à Souraïde, dans le pays Basque, il maintint ses orientations politiques et théoriques fondamentales : attachement à Lénine, à Marx, condamnation de Staline et de ceux qu’il considérait comme ses disciples français. C’est le message qu’il porta encore dans ses dernières apparitions médiatiques (2004).
Par Guillaume Roubaud-Quashie
ŒUVRE : Maurice Thorez. Vie secrète et vie publique, Fayard, 1975. — Notre Génération communiste, Robert Laffont, 1977. — Les Grands Goals de l’Histoire, Ramsay, 1979. — Histoire intérieure du parti communiste, Fayard (vol. 1, 1980 ; vol. 2, 1981 ; vol. 3, 1982 ; vol. 4, 1984). — La Secte, Stock, 1985. — L’Affaire Manouchian, Fayard, 1986.
SOURCES : Arch. de l’Université Paris-10. — Fonds Annie-Kriegel, Bibliothèque d’histoire sociale (Nanterre). — Arch. PCF. — Arch. MJCF. — Arch. nat., Fonds Maurice-Thorez — Fonds du PCF, Archives départementales de Seine-Saint-Denis : Comités centraux 3/11/1959 (4/AV/231), 14/10/1960 (4/AV/274), 15/12/1960 (4/AV/279-281). Comme objet de discussion : 15/01/1961 (4/AV/296) ; CCCP, « Groupe Manouchian » 261 J6/23. — Archives INA. — Pierre Broué, Trotsky, Fayard, 1988. — Gérald Bloncourt, L’œil en colère, François Bourin, 2015. — Lionel Jospin, Lionel raconte Jospin, Seuil, 2010. — Séverine Liatard, "L’Union des étudiants communistes, les intellectuels, la culture à travers le journal Clarté", mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, université Paris-I, 1993. — Serge Curinier, « Les Étudiants communistes et leur journal Clarté. Histoire d’une dissidence (1956-1965). Étude politique et intellectuelle », DEA, Université Lille-III, 1990. — Entretiens (2014-2015) avec Alain Bouvier, Stéphane Courtois, Marc Dumont, Christian Feddal, Jacques Girault, Roger Martelli, Anne Robrieux, André Sénik, Jean-Maxime Sorriaux, Gilles Vergnon. — Correspondance avec l’auteur (2006).