BONNEFILLE René [BONNEFILLE Charles, René]

Par Robert Estier

Né le 14 septembre 1892 à Betheniville (Marne), mort le 17 septembre 1972 à Roanne (Loire) ; militant syndicaliste unitaire et communiste, Bonnefille fut de la création du Parti communiste roannais en 1921 jusqu’aux années 1960, un propagandiste particulièrement actif, et joua, surtout dans les années de l’après-guerre, un rôle important dans la vie politique roannaise.

Né d’un père ouvrier boulanger et tisseur, René Bonnefille dut, après son Certificat d’études, entrer dès l’âge de treize ans dans une usine de tissage, et exercera cette profession jusqu’à son incorporation à Longwy. Prisonnier quatre ans, libéré en juillet 1919, il vint alors à Roanne, où il fut employé dans le tissage à l’usine de la Farge, d’où il sera renvoyé en 1929, puis employé à la Coopérative ouvrière « La Solidarité ». Entré à l’ARAC en 1920, puis aux Jeunesses communistes créées avant le congrès de Tours, et partisan de l’adhésion à la IIIe Internationale, il adhéra à la section SFIO de Roanne en janvier 1921, puis entra au syndicat unitaire des employés créé par François Billoux après le congrès de Saint-Étienne (24-25 mars 1922), avant de devenir en 1923 secrétaire du syndicat du Textile. Il allait donner alors une orientation nouvelle à ce syndicat, jusqu’alors aux mains des anarcho-syndicalistes dont l’influence était très forte à Roanne dans les années d’après-guerre et, en décembre 1922 par exemple, la CE avait refusé de « participer au Comité d’assistance au peuple russe » créé à Berlin. Délégué à l’ULU en 1924, il fit supprimer les articles 3 et 8 des statuts qui affirmaient « l’incompatibilité des mandats politiques et électoraux avec la CE ou le bureau ». Ayant démissionné de ses fonctions de secrétaire adjoint de l’ULU le 22 mai, il fut réinvesti le 28 mai. Après l’élimination des réformistes, il fut élu secrétaire de l’Union régionale des syndicats textiles de la région de Roanne, Thizy, Cours, en juillet 1925. Particulièrement actif, il était de tous les meetings, et anima notamment avec Chevalier, le comité de grève du 12 octobre 1925 contre la guerre du Maroc (5 267 chômeurs seront recensés sur un effectif de 10 000). Lorsque les patrons du textile dénonceront en avril 1927 le contrat collectif mis en place en avril 1924, et proposeront une baisse de salaire de 15 %, il se montrera, comme représentant des ouvriers à la commission paritaire, un habile et redoutable négociateur comme le révèlent les nombreuses lettres rédigées avec talent et une certaine facilité dans l’expression, qu’il échangea avec le président de la Fédération du Textile, Victor Déchelette : l’argumentation très solide, appuyée sur des comparaisons chiffrées et précises des salaires, des prix, des loyers, du coût de la vie, avec les autres centres textiles, notamment ceux du Nord avec lesquels il était en relation ; et aussi sa volonté sans cesse affirmée de conférer aux autorités publiques et au sous-préfet un rôle d’arbitre. Il était déjà avant tout un politique toujours soucieux de rattacher toute action syndicale locale à une perspective politique. Ne déclarait-il pas dans une lettre adressée à Victor Déchelette, le 31 décembre 1926 : « la vérité, vous la connaissez, la crise actuelle est d’ordre national et international, et bien plus politique qu’économique » et c’est sur son initiative, que la CE de l’Union syndicale du Textile adressa en juin 1928 une lettre à la Fédération patronale du Textile qui était un véritable cahier de revendications, réclamant les vacances annuelles payées, la satisfaction de droits pour la maternité, des écoles d’apprentissage, etc. Il représenta le Parti dans toutes les élections depuis 1925, conduisit avec Chevalier, pour la première fois, une liste communiste aux élections municipales de 1925, face au socialiste Sérol et à nouveau aux élections municipales de 1929.
Devenu après le départ de Chevalier secrétaire du rayon de Roanne, en 1927, il fut à son tour remplacé par J.-B. Nevers*, mais resta membre du bureau du comité de rayon. Il faisait le point sur la situation à Roanne dans le journal communiste Le Cri du Peuple, où il attaquait très souvent les dirigeants de la Bourse du Travail confédérée. Dans un article du 12 mai 1928, au lendemain des élections législatives, intitulé : « Après la bataille », où il appelait du reste à tort le maire socialiste Sérol, (qui n’a jamais été franc-maçon), le « Grand maître de la Loge », et rappelait que 500 communistes s’étaient abstenus, il se félicitait après le rôle joué par Lagresle dans la deuxième circonscription, que la tactique « classe contre classe ait été appliquée jusqu’au bout ». Il sera lui-même candidat du Parti aux élections législatives en 1932 dans la deuxième circonscription de Charlieu, mais enregistra un recul spectaculaire par rapport à Lagresle en 1928 : 238 voix contre 815. Au deuxième tour il se maintint, mais 39 électeurs seulement le suivront, les autres contribuant avec les voix socialistes à la victoire du radical Fouilland élu par 8 600 voix contre 8 445 à son adversaire de droite Gignoux.
Bonnefille participa activement à la grève du Textile de Roanne en novembre-décembre 1934, et inspira sans doute le rapport de discussion au congrès régional du PC (11-12 janvier 1935) qui notera qu’elle fut un exemple de la solidarité ouvrière et que, malgré les résistances de certains dirigeants confédérés, les propositions communistes pour l’élargissement du mouvement furent victorieuses ; il se félicitera que la grève ait permis le renforcement du Parti (une trentaine d’adhésions) et du syndicat du textile (plusieurs centaines d’adhésions). Bonnefille participa aux accords locaux du Front populaire et au Comité antifasciste créé en février 1934, mais refusa avec le rayon de Roanne, dont il était secrétaire, et en l’absence de Thévenoux, alors à Paris, la proposition des socialistes de faire dès le premier tour une liste commune, comme à Saint-Étienne, avec les radicaux et les pupistes. Il devait déclarer dans le Cri du Peuple : « le PUP ne représente rien ; le Parti radical est le parti de la bourgeoisie ». Après avoir attaqué durement, toujours dans le Cri du Peuple, les « membres radicaux qui font la loi au conseil municipal » (23 mars 1935), il se représentera en 1936, aux législatives dans la deuxième circonscription et, bien que progressant, il ne retrouvera pas avec 631 voix le score de 1928, le Parti communiste n’ayant pu réussir de percée dans cette circonscription agricole et d’industrie rurale diffuse. Il mena d’ailleurs une campagne plus dure que celle de Thévenoux dans la première circonscription, celui-ci reprochant du reste de se montrer trop combatif à l’égard de ses partenaires du Front populaire. Il se désista cependant pour le radical Fouilland battu cette fois de 900 voix par le candidat de droite Gignoux. Bonnefille fut encore candidat aux élections cantonales d’octobre 1937 dans le canton de Roanne contre Sérol ; il obtint 1 570 voix et se retira au deuxième tour, facilitant la victoire de Sérol qui fit, pour une fois, le plein des voix de gauche. Pendant toute cette période, Bonnefille qui fut délégué du rayon de Roanne au congrès de Villeurbanne, fit un gros effort pour implanter des cellules rurales, très peu nombreuses, et recommanda aux Jeunesses communistes « d’entrer dans les organisations de la jeunesse appartenant au Front populaire et notamment dans les Amicales laïques qui comprenant plusieurs sections sportives, tout en les contrôlant de près, et en n’acceptant pas « qu’elles puissent à l’avenir former une section spéciale ».
En 1938, il constata dans un article du Cri du Peuple du 28 juillet : « Pour l’Unité », « un certain relâchement des liens unissant communistes et socialistes » et fit état d’une lettre adressée par la section communiste de Roanne en date du 22 juillet, à la section socialiste, à qui il demandait une entrevue pour mettre au point « les modalités d’une campagne, en vue d’une manifestation commune pour le Front populaire ». Mais les relations se dégradèrent alors très vite entre les deux sections. Bonnefille dénonça encore les accords de Munich, comme une capitulation devant Hitler, et le 1er décembre 1938, dans une réunion à la Bourse du Travail, à la suite de la grève générale, il s’éleva contre les décrets-lois, et attaqua violemment Daladier ; « Monsieur Daladier, vous étiez un homme du Front populaire que vous violez ; vous êtes maintenant dans les bras d’Hitler. » Il fut arrêté en mars 1940, emprisonné à Riom-ès-Montagne (Cantal) et condamné à trois ans de prison, sans doute avec sursis puisqu’il fut envoyé, via le camp de Carpiagne (Marseille, Bouches-du-Rhône), au centre de séjour surveillé de Chibron (commune de Signes, Var) à l’été 1940. À la dissolution du camp, il fut transféré dans celui de Fort-Barraux (Isère), le 14 février 1941, puis un peu après dans celui de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn). Libéré le 1er mai 1943, il milita alors dans la Résistance, et continua à diriger pour le Roannais le Parti dissous.
Les communistes sortirent grandis à Roanne de la guerre et de la Résistance, face aux socialistes dont plusieurs s’étaient compromis avec Vichy, et affaiblis en outre par le retrait de Sérol. Bonnefille qui jouissait d’une grande sympathie, même parmi ses adversaires politiques, conduira fermement son parti, avec beaucoup d’habileté politique, dans les succès de l’après-guerre. Il fit lui-même partie de la délégation municipale, désignée le 22 août 1944, puis du conseil municipal le 16 octobre 1944. Élu ensuite conseiller municipal de Roanne sur une liste d’union, il recueillit 10 480 voix, devint premier adjoint du maire socialiste Dourdein qu’il devança largement au premier tour des cantonales du 23 septembre 1945, par 8 414 voix contre 6 685, mais dont il ne put empêcher la victoire au second tour, par 13 769 voix contre 10 809, le tripartisme de l’avant-guerre, ayant fait place à un duel communistes-socialistes, où ces derniers bénéficiaient cette fois des voix de la droite. Réélu en 1947, sur la liste communiste qui obtint onze sièges, contre six seulement à la liste socialiste, il laissa la mairie au socialiste Dourdein, se contentant du poste de premier adjoint, l’alliance socialo-communiste ne devançant que d’une voix la liste de droite de Pillet. À la mort de Dourdein, le 25 juillet 1952, il appela à voter pour le socialiste Gougenot, élu maire par 17 voix contre 15 à Pillet (UDSR) et resta premier adjoint. Mais, aux élections du 25 avril 1953, Gougenot ayant fait liste commune au second tour avec Pillet, Bonnefille présenta sa candidature à la mairie ; il obtint les 10 voix communistes, les 23 autres laissant la mairie à Gougenot et donnant à Pillet le poste de premier adjoint. L’alliance était terminée et l’ascension de Pillet allait éliminer les communistes de l’administration municipale. Bonnefille se retira de la vie politique, tout en demeurant président de nombreuses associations, et notamment de l’Amicale laïque de Roanne. Il devait mourir quelques jours avant la fête prévue pour ses 80 ans par le Parti communiste, les syndicats, les associations laïques et d’anciens combattants.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article17192, notice BONNEFILLE René [BONNEFILLE Charles, René] par Robert Estier, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 19 septembre 2021.

Par Robert Estier

SOURCES : Arch. Dép. Loire, 3 M 71 ; 3 M 75 ; 3 M 77 ; 5 M 446/2 ; 5 M 446/3 ; 6 M 446/3 ; 7 M 446/3. — Arch. Dép. Var, 4 M 291. — site Mémoire des hommes SHD Vincennes GR 16 P 71278 (nc). — Arch. Mun. Roanne 1 K 3/16 ; 1 K 4 ; 1 K 5. — Le Cri du Peuple, 15 février 1936. — Interview. ⎯ notes Jean-Marie Guillon.

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