ROY Claude [écrivain]

Par Grégory Cingal

Né le 28 août 1915 à Paris, mort le 13 décembre 1997 à Paris ; écrivain et journaliste ; militant communiste (1943-1957) ; résistant.

Issu de la petite-bourgeoisie charentaise, Claude Roy passa une partie de son enfance et de son adolescence entre Jarnac et Angoulême, où il côtoyait, entre autres, le jeune François Mitterrand. Étudiant en droit à Paris, il milita dans les rangs de l’Action française et publia ses premiers articles en 1935 dans L’Étudiant français, organe de la jeunesse maurrassienne, puis à l’Action française et à la Revue Universelle. Il se rapprocha bientôt de la « Jeune Droite » autour de la revue Combat, animée par Jean de Fabrègues, Jean-Pierre Maxence et Thierry Maulnier, et de la revue l’Insurgé (où collaborait notamment Maurice Blanchot), plus nettement anticapitaliste. Les papiers qu’il y publiait sous le pseudonyme de Claude Orland ne déparaient pas du ton imprécateur et de l’esprit de révolte obsédé par le déclin qui animaient ces revues. Parallèlement, il se lia d’amitié avec Robert Brasillach, rencontré chez Jules Supervielle en 1936, et intégra l’équipe de Je suis Partout, dont il était le benjamin. Il y publia une quarantaine de textes traitant presque exclusivement de sujets littéraires où ne transpirait aucun antisémitisme, malgré l’orientation de plus en plus xénophobe du journal. Mobilisé au 503ème Régiment des chars de combat, il participa à de violents affrontements dans la Meuse dans les derniers jours qui précédèrent l’armistice. Fait prisonnier près de Verdun, il s’évada en octobre et rejoignit Paris pour quelques semaines. Choqué par leur joie mauvaise devant la défaite, Claude Roy rompit définitivement toute relation avec l’équipe de Je suis Partout, puis passa en zone libre par une filière et des faux-papiers obtenus par Paulhan et Adrienne Monnier.

À Vichy (Allier) puis à Marseille (Bouches-du-Rhône), il intégra le groupe Jeune France, association créée par Pierre Schaeffer destinée à promouvoir l’expression artistique dans les milieux de la jeunesse. Aux côtés de Roger Leenhardt, Pierre Barbier et Albert Ollivier, il anima des émissions culturelles à la Radiodiffusion nationale. Dans le même temps, il écrivit dans un grand nombre de journaux et de revues, qu’ils fussent d’obédience pétainiste (Candide, Patrie, Voici la France, La Revue universelle, l’Action Française, l’Écho des Étudiants, Présent), ou plus indépendants (Le Figaro, Confluences, Fontaine, Poésie). Activité débordante qui trahissait un désarroi idéologique grandissant, ce dont témoigne Maria Van Rysselbergue dans ses Cahiers, lorsqu’elle le rencontra avec Gide à Nice en octobre 1941 : « nettement de droite avant la guerre, il ne reconnaît plus ce qui était son idéal depuis qu’on l’applique ; mal à l’aise partout, tâtant de tous les groupements, de toutes les directions sans pouvoir adhérer à aucune ». Poète et patriote fervent, Claude Roy ne resta pas longtemps insensible à l’émergence d’une nouvelle génération de poètes unis dans un même combat pour la réappropriation des thèmes et des symboles accaparés par les idéologues de la Révolution nationale. Sa rencontre avec Aragon, principal instigateur de ce renouveau poétique, marqua un tournant. Il multiplia dès lors les contacts avec les acteurs d’une résistance littéraire « semi-légale », participa au réseau « Les Étoiles », puis aux réunions constitutives du Comité national des écrivains (CNÉ) de la Zone sud (été 1943). Ce fut à peu près au même moment que, par l’intermédiaire de Georges Sadoul et Aragon, il décida d’adhérer au Parti communiste. Sous l’autorité de Pierre Villon et René Blech, il diffusa à Paris l’Humanité clandestine et assista Claude Morgan pour la conception des Lettres françaises clandestines. Auprès de ce dernier, il fit la connaissance de Paul Éluard. En juin 1944, une descente de police à l’un de ses domiciles l’obligea à se réfugier dans les environs de la capitale (Bagneux, Neauphle-le-Château). Il participa à la libération de Paris, d’où il tira un livre-reportage qui fit sensation (Les yeux ouverts dans Paris insurgé), puis il suivit l’avancée des troupes alliées jusqu’en Allemagne, en tant que correspondant de guerre pour le quotidien Front national. La libération du camp de Bergen-Belsen le marqua durablement. En janvier 1945, il signa la pétition pour la grâce de Brasillach, mais dut retirer sa signature sous la pression du parti.

Nul n’a mieux saisi la trame générale de sa conversion politique que son ami Edgar Morin, dans Autocritique : « Claude Roy, comme tant d’autres, moi y compris, est venu au communisme parce qu’il y a vu l’antidote du fascisme. Il fut délivré du maurrassisme quand il vit l’antisémitisme à l’œuvre. Mais comment ne comprit-il pas que le parti l’enfermait dans le même corset orthopédique que le maurrassisme ? C’est que le parti lui semblait être devenu la protection miraculeuse contre la déviation passée et contre les déviations possibles. Claude Roy, comme tout naïf stalinien, avait peur de lui-même, non plus de la rechute fasciste, mais de toutes les tentations bourgeoises. D’autant plus peur qu’il n’avait jamais cessé de vivre dans le monde. Le parti est notre garde-fou, me disait-il comme si nous étions des déments. Et sans doute son esprit un peu tout-fou, toujours prêt à adhérer à tout et à rien, trop léger de sa gentillesse universelle, avait besoin d’un centre de gravité, d’un tissu conjonctif, d’un squelette. »

Communiste mondain et affectif de l’après-guerre, Claude Roy fréquentait avec une égale aisance la plupart des cercles intellectuels du Parti : ami de Pierre Courtade, Emmanuel d’Astier, Roger Vailland*, proche des grandes figures du parti qu’étaient Éluard, Picasso ou Aragon, il côtoyait également le groupe de la « rue St Benoît » (Robert Antelme, Dionys Mascolo, Edgar Morin, Marguerite Duras) dont il prit en vain la défense au moment de leur exclusion (1950-1951). Grand reporter, critique d’art et de littérature, poète et romancier, il s’imposa peu à peu comme l’un des écrivains les plus prometteurs de sa génération. Vivant de sa plume, il multiplia les reportages à l’étranger (Londres, Vienne, Italie, Suisse, États-Unis, Chine, Corée) – dont il tira quelques livres très remarqués (Clefs pour l’Amérique, Clefs pour la Chine) – et les chroniques littéraires dans les revues et journaux peu ou prou affiliés au parti (Europe,Action, Libération, les Lettres françaises). Il n’en participa pas moins aux grandes batailles idéologiques du PCF durant la guerre froide, jouant par exemple un rôle majeur dans le rapprochement de Sartre* avec le Parti communiste au moment de l’affaire Henri Martin (1952). De 1952 à 1956, il fut également membre du Comité directeur du CNÉ.

En octobre 1956, Claude Roy signa une pétition contre l’écrasement de l’insurrection hongroise aux côtés de Sartre, Vailland, Vercors* et Prévert, ainsi qu’une tribune dans Le Monde du 1er novembre 1956 (« Il faut que les bouches s’ouvrent et les cœurs aussi »), ce qui lui valut une exclusion temporaire pour un an, laquelle fut prononcée, le 10 février 1957, par Georges Marchais, dépêché spécialement dans sa cellule pour y délivrer la sentence. En mai 1958 cependant, face « au danger fasciste » que représentait à ses yeux le retour au pouvoir de de Gaulle, il demanda par voie de presse sa réintégration… L’exécution, le mois suivant, d’Imre Nagy l’en dissuada définitivement. Il donna alors à France observateur, le 26 juin 1958, ce qu’il considéra comme sa « vraie lettre de démission » (« Effets calmants sur le peuple »). Obnubilé par les remous de la déstalinisation à l’Est, il s’engagea assez tardivement contre la guerre d’Algérie – malgré sa participation éphémère, en octobre 1955, au « Comité des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Algérie », créé à l’initiative de Dionys Mascolo. Signataire du Manifeste des 121 en 1960, il déposa également au procès de Francis Jeanson.

Partisan d’un « socialisme à visage humain » avant la lettre, Claude Roy n’était pas à Paris en mai 1968, mais à Prague. Découvreur de Kundera, il prit une part active à l’émergence de la figure du « dissident » ainsi qu’à la déconstruction du mythe de la Révolution culturelle en Chine. Le sinologue Simon Leys, pionnier de la lutte contre la « maolâtrie » parisienne, salua « le rare courage de Claude Roy, d’autant plus admirable que son activité journalistique s’est principalement exercée dans des endroits où la terreur de ne pas paraître suffisamment à gauche atteignit parfois des proportions paniques ». Au seuil des années 1980, les longues suites de sa maladie (cancer du poumon) l’obligèrent à se désengager progressivement de la vie publique pour un repli désenchanté vers la sphère poétique et l’exploration des cultures.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article172057, notice ROY Claude [écrivain] par Grégory Cingal, version mise en ligne le 2 avril 2015, dernière modification le 4 juillet 2022.

Par Grégory Cingal

ŒUVRE CHOISIE : Suite française, Julliard, 1943 ; Saison violente, Julliard, 1945 ; Clefs pour la Chine, Gallimard, 1953 ; Moi Je, Gallimard, 1969 ; Nous, Gallimard, 1972 ; Somme toute, Gallimard, 1976 ; Les Chercheurs de Dieu, Gallimard, 1982.

SOURCES : Fonds Claude Roy (Bibliothèque littéraire Jacques Doucet)

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