STIL André

Par Reynald Lahanque

Né le 1er avril 1921 à Hergnies (Nord), mort le 3 septembre 2004 à Camélas (Pyrénées-Orientales) ; journaliste, critique littéraire et écrivain ; résistant dans les rangs du Front national (1942), puis des FTP et des FFI ; membre du Parti communiste français (1944-2004), membre du Comité central (1950-1970) ; rédacteur en chef du quotidien Ce Soir (1949-1950), puis de l’Humanité (1950-1959) ; Prix Staline de littérature (1952), Prix populiste (1967) ; membre de l’Académie Goncourt (1977-2004).

André Stil vécut son enfance au pays des mines, deux de ses oncles, Antoine et Adolphe, étaient des mineurs ; ses parents étaient d’origine ouvrière, son père était tailleur, tout en tenant un estaminet pour faire vivre la famille, sa mère était femme au foyer. Après l’école primaire, il effectua ses études secondaires (comme interne) au lycée Henri-Wallon de Valenciennes, il obtint le baccalauréat (« série Philosophie ») au lycée de Valenciennes, une licence de philosophie à la Faculté des Lettres de Lille entre 1941 et 1944 et un diplôme d’études supérieures de philosophie en 1945. Il fut instituteur en 1940-1941 puis professeur au collège du Quesnoy entre 1941 – 1944.

André Stil fonda en 1943 les "Feuillets des quatre-vingt-un" qui auront deux séries, la seconde sous le titre "L’avenir du surréalisme", consacré au groupe des poète de la Main à la plume. Il collabora à "Surréalisme encore et toujours" en 1943 et "L’Objet" en 1944, signa des tracts et déclarations collectives. Il fut l’auteur avec Noël Arnaud d’un Dictionnaire analytique de la langue française, sorte de jeu surréaliste, resté inédit. Des divergences apparurent dans la Main à la plume à la veille du débarquement où André Stil (avec J.-F. Chabrun, Ch. Bocquet...) étaient favorables au ralliement à l’action du Parti communiste.

Il rejoignit le Front national en mars 1942 et le mouvement de Résistance « Voix du Nord ». À la Libération, il était le chef des gardes civiques au Quesnoy. Militant du SNES, il était depuis la Libération le secrétaire de la section (S1) de son collège. Il habitait Marcq en Baroeul et travaillait depuis novembre 1944 au quotidien communiste Liberté et à l’hebdomadaire fédéral Notre Nord dont il était le rédacteur en chef. Ceci marqua le début d’une carrière qui fut consacrée, non à l’enseignement, ainsi qu’il l’envisageait, mais au journalisme et à la littérature. Il était marié avec une militante communiste, sans profession, fille de boulangers. Le couple avait deux enfants en 1947. Membre du PCF depuis septembre 1944, il était le secrétaire de la section communiste du Quesnoy. Il fut candidat au conseil général dans le canton du Quesnoy en 1949.

Ce fut grâce à son activité de journaliste, aux enquêtes et aux reportages qu’il fut amené à réaliser, qu’il dit avoir vraiment découvert le monde des usines et de la classe ouvrière, un monde qu’il eut à cœur de représenter dans ses œuvres de fiction (plus que ne le firent les écrivains militants de sa génération).

Alors qu’il s’était d’abord essayé à la poésie, et qu’Eluard avait publié de lui un récit de rêve (dans sa revue La Main à plume), il adressa son tout premier texte de prose à Louis Aragon (fin 1945), qui décela chez lui « beaucoup de talent », en même temps qu’il vit en lui un responsable local de l’UNI (Union nationale des intellectuels) sur lequel il put compter. Les conseils que lui prodigua son prestigieux aîné, ses encouragements et son influence jouèrent un rôle décisif dans son apprentissage du métier d’écrire et dans le lancement de sa carrière d’écrivain. Ce fut Aragon, en effet, qui fit publier dans la revue Europe (février 1946) le récit qu’il lui avait adressé, et qu’il dut réécrire, puis les deux recueils de textes courts (reportages et nouvelles) qui constituèrent ses véritables débuts littéraires, Le Mot Mineur, camarades…, et La Seine a pris la mer, le premier publié à La Bibliothèque française (1949) et le second aux EFR (Éditeurs français réunis, 1950), deux maisons d’édition du PC.

Le premier texte de prose d’André Stil est significativement intitulé « Le soleil, l’air, l’eau, les rêves et les dimanches entrent dans la bataille du charbon », ce qui faisait référence au fameux discours de Waziers (21 juillet 1945) dans lequel Maurice Thorez avait exhorté les mineurs à coopérer sans réserves à la politique de reconstruction nationale. « Waziers, la chance de ma vie », écrivit Stil cinq ans plus tard, dans un hommage vibrant au secrétaire général, tant il lui semblait qu’il avait assisté là, en même temps qu’à une grande leçon de lucidité et de courage politique, à un tournant historique qui préfigurait le temps où les hommes produiraient enfin pour eux-mêmes. Il ne s’en est jamais dédit, l’enthousiasme, « l’optimisme librement consenti », la fidélité, ont continué de caractériser son attitude. Sur le moment, alliée à ses qualités reconnues de rédacteur et d’écrivain, cette attitude lui valut une rapide promotion au sein du PCF. Aragon fit de lui le rédacteur en chef adjoint du quotidien Ce Soir (27 mai 1949), et dès l’année suivante Thorez lui confia les rênes de l’Humanité, une lourde tâche qu’il assuma pendant dix ans et qu’il s’efforça de rendre compatible avec son travail d’écrivain. La même année (en 1950), il devint également membre du Comité central, tout comme Aragon, et il le demeura jusqu’à la conférence fédérale de 1962. La section de montée des cadres, le 20 juin 1962, proposa de ne pas le réélire en raison de ses absences aux réunions.

Dans le contexte euphorique de la Libération, puis dans celui, très partisan, des débuts de la guerre froide, André Stil ne pouvait qu’être confronté à la difficulté de concilier son engagement politique et son ambition littéraire : il revendiqua hautement son double statut, se disant à la fois « militant et écrivain », mais il voulut croire que cela ne le condamnait pas à verser dans la littérature à thèse. Il se rallia à la politique culturelle alors encouragée, sous la houlette d’Antoine Casanova, le responsable aux intellectuels, avec qui il se lia d’amitié : il reprit à son compte l’idée d’une voie française « vers le réalisme socialiste » (voie qu’Aragon avait prônée dès les années trente, mais sans être alors entendu), tout en estimant possible de ne pas céder à la propagande et au schématisme. Son argument majeur était que la tâche de l’écrivain était non de reproduire « les idées justes », élaborées par les dirigeants, mais de montrer la façon dont celles-ci se frayaient un chemin chez les gens, à travers erreurs et hésitations ; elle était de saisir « la politique à l’état brut », et donc de « rendre intime le social », de « pénétrer le social jusqu’à l’intime », ou encore, de « mettre les grands mots dans les petits ». De ce point de vue, l’avantage de la nouvelle sur le roman est qu’elle favorisait l’allusion et le sous-entendu plutôt que l’explication redondante et la fresque démonstrative, sans que son efficacité politique y perdît, tout au contraire. Ainsi, Aragon loua une nouvelle comme « La Fleur d’acier » pour « son espèce de perfection » et Thorez en recommanda la publication dans L’Humanité-Dimanche, ce qui accréditait l’idée d’une réussite à la fois littéraire et politique.

Ce fut cette réussite qui poussa son auteur à se lancer dans l’aventure du roman, où il était a priori plus difficile de concilier la saisie de l’intime, la peinture sociale et l’affirmation partisane : la trilogie intitulée Le Premier Choc puisait dans l’actualité des luttes, celle des dockers du port de La Rochelle (contre « l’occupation américaine » et pour la défense de la paix), elle mettait sur le devant de la scène un militant exemplaire et ses camarades, non sans souligner à satiété la justesse de vue des communistes. Même si l’œuvre n’est nullement réductible à un écrit de propagande, elle n’évite pas les écueils de la littérature à thèse. C’est le tome I, publié d’abord sous le titre Le Premier Choc (1951) et rebaptisé ensuite Au château d’eau, le titre initial devenant après coup celui du cycle dans son entier, qui fut couronné l’année suivante par le prix Staline, quelques jours avant la sortie du tome II, Le Coup du canon (1952), le tome III, Paris avec nous (1953), complétant l’ensemble (publié aux EFR). L’obtention de ce qu’on appelait alors « le Nobel de l’Est » valut à Stil une immense notoriété, il était le premier auteur non russe à se voir ainsi distingué, son livre fut traduit dans le monde entier, l’Humanité célébra l’événement sur huit colonnes. Un tel succès ne pouvait que devenir très encombrant dès les années suivantes, et Stil ne cacha pas que ce fut là l’une des « casseroles » qu’il lui fallut à jamais supporter, la substitution du nom de Lénine à celui de Staline dans la désignation du prix ne changeant rien à l’affaire. Mais les années du Premier Choc furent aussi marquées par les séjours en prison que lui valurent ses éditoriaux de l’Humanité, un séjour de deux mois en mai-juin 1952 (en compagnie de Jacques Duclos) et un autre de six mois l’année suivante, si bien que c’est à Fresnes qu’il termina la rédaction de son cycle romanesque. Aragon prit sa défense dans un texte au titre retentissant, « Les Egmont d’aujourd’hui s’appellent André Stil », texte repris et complété dans Le Neveu de M. Duval (EFR, 1953).

Après cette période tumultueuse, Stil tarda à se remettre à écrire, avant de songer à un vaste ensemble de nouvelles et de romans sous le titre-programme « La question du bonheur est posée », titre ensuite abandonné, les volumes se succédant de façon autonome, mais dont il demeure une trace dans le recueil publié en 1955, Levers de rideau sur la question du bonheur (édition de luxe, illustrée par le peintre Fernand Léger à la demande d’Aragon). Stil tint tout de même à reprendre plus tard le titre abandonné lors de la publication d’un nouveau livre de nouvelles (1977), marquant par là son attachement à une littérature optimiste, qui faisait la part belle aux valeurs de bonté et de justice. En 1957, il composa un roman, Nous nous aimerons demain, consacré aux problèmes de conscience posés aux militants qui se voyaient mobilisés dans ce qu’on ne nommait pas encore « la guerre d’Algérie » ; roman prolongé par deux autres, Le Foudroyage (1960) et Le Dernier Quart d’heure (1962), l’ensemble étant réuni plus tard sous le titre Trois Pas dans une guerre (1978). Toutes ces œuvres témoignaient encore des solides convictions de l’écrivain, mais elles approfondissaient ce qu’il appelait « la saisie de l’intime » et se dégageaient des pièges de la littérature à thèse.

Dans les années soixante, il demeura un militant, il siégea régulièrement au Comité central, mais il put désormais consacrer davantage de temps à son travail d’écrivain, tout en s’occupant de la critique des livres dans l’Humanité. Comme auteur, il était en quête d’une reconnaissance élargie, qui lui fut toutefois longtemps refusée par le milieu littéraire, tant l’étiquette politique lui collait à la peau. Entre autres choses, l’une des « casseroles » qu’il continua de traîner réside dans la manière dont il avait couvert pour son journal les événements de Hongrie en 1956, et qui s’était traduite par le choix d’un titre malheureux (effectué par ses collaborateurs, selon son témoignage), « Budapest a recommencé à sourire ». Un pas fut franchi quand il sortit du giron des éditeurs communistes, Gallimard publiant les nouvelles de Pignon sur ciel (1967) puis le roman Beau comme un homme (1968). Cette forme d’intronisation lui fut beaucoup plus chère que l’obtention à la même date du Prix populiste, car il estimait que le terme de « populiste » était très réducteur pour qualifier son œuvre. Un peu plus tard, il fut accueilli par d’autres éditeurs en vue, Julliard en 1973 (pour les nouvelles de Fleurs par erreur), puis Grasset en 1978 pour la réédition de la trilogie algérienne, prélude à la publication d’une douzaine d’autres œuvres. Mais un autre pas au moins aussi important a contribué à faire évoluer l’image de l’écrivain, à savoir son entrée à l’Académie Goncourt en 1977. Il était enfin adoubé par beaucoup de ses pairs, le verrou d’une partie de la critique sautait, ses livres se vendaient mieux. Certains d’entre eux furent repris en collection de poche. Il écrivit à destination de la jeunesse, mais aussi pour la télévision : cinq dramatiques furent réalisées (1973-1979), dont les scénarios furent plus tard publiés sous le terme de « téléroman », auxquels s’ajouta une adaptation pour TF1 (en 1980) de son roman L’Ami dans le miroir.
Parallèlement à sa très abondante production du côté de la fiction, mais après un blanc de trois années contemporain du deuil qui l’avait frappé (il perdit son épouse, Moun, en 1980), il travailla d’arrache-pied pendant deux ans à un projet de nature historique qui lui tenait à cœur : mais son ouvrage, Quand Robespierre et Danton inventaient la France (Grasset, 1988), fut très mal accueilli par la critique, il ne se vendit pas, et cet échec coïncida avec le reflux de la sympathie dont il avait bénéficié de la part des instances de la vie littéraire. Il continua toutefois à publier régulièrement, et c’est une bonne cinquantaine d’ouvrages qu’il a au total composés, en séparant de plus en plus nettement ses deux passions, la politique et la littérature, mais en demeurant jusqu’au bout fidèle à son idéal, à sa croyance en « un monde merveilleusement moral ». Il est aussi resté attaché à son Nord natal, même s’il a voulu vivre sous d’autres cieux et au contact de la nature, d’abord en Champagne, puis en pays catalan.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article172107, notice STIL André par Reynald Lahanque, version mise en ligne le 7 avril 2015, dernière modification le 13 février 2022.

Par Reynald Lahanque

ŒUVRE CHOISIE : Le Mot Mineur, camarades…, La Bibliothèque française, 1949. — La Seine a pris la mer, EFR, 1950. — Le Premier Choc, trois volumes, EFR, 1951-1953. — André, EFR, 1965. — Qui ?, Gallimard, 1969 (Folio, 1980). — L’Ami dans le miroir, Julliard, 1977 (Livre de poche, 1981). — Trois Pas dans une guerre, Grasset, 1978. — 16 Nouvelles, Mazarine, 1979. — Le Médecin de charme, Grasset, 1980 (Livre de poche, 1983). — Les Quartiers d’été, Grasset, 1984 (Livre de poche, 1986). — Maxime et Anne, Grasset, 1989 (Livre de poche, 1991).

SOURCES : André Stil, Les Berlines fleuries. Essai, Hachette-Littérature, 1981. — André Stil, L’Optimisme librement consenti. Conversations avec Pierre-Luc Séguillon, Stock, 1979. — André Stil, Une vie à écrire. Entretiens avec Jean-Claude Lebrun, Grasset, 1993. — André Stil, revue nord’, n°51, Société de Littérature du Nord, mai 2008. — Archives du Comité national du PCF. - Notes de J. Girault. - Reynald Lahanque, « Retour sur le réalisme socialiste : André Stil », in Le Roman social, Éditions de l’Atelier, 2002. — Reynald Lahanque, Le Réalisme socialiste en France, 1934-1954, thèse de doctorat d’État, Nancy, 2002 - document accessible en ligne à l’adresse suivante : http://www.louisaragon-elsatriolet.org/spip.php?article337 . — Dictionnaire général du Surréalisme et de ses environs, Presses universitaires de France, 1982 (notes de Noël Arnaud, p. 2356 et 396).

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