VIALLE Jane

Par Karine Ramondy

Née à Ouesso (Moyen-Congo) le 27 août 1906 ; morte le 7 février 1956 dans un accident d’avion ; Journaliste ; Association des femmes de l’Union française (Secrétaire générale) ; Association pour l’évolution de l’Afrique noire ; Espoir oubanguien ; Commission des Nations Unies sur l’esclavage ; Sénatrice.

1 – Etat-civil : date et lieu de naissance, date et lieu de décès.

Née à Ouesso dans l’ancien Congo français (Moyen-Congo), le 27 août 1906, Jane Vialle a trouvé une mort tragique dans un accident d’avion causé par le brouillard sur la ligne Abidjan-Paris (vol régulier compagnie UAT du 7 février 1953). Grièvement brûlée aux deux jambes, elle tombe dans le coma peu après son arrivée à l’Hôpital militaire Robert Picqué à Villenave d’Ornon et décède le 9 février 1953.
Personnalité aujourd’hui oubliée des Centrafricains, elle a été la seule femme sénatrice « de couleur » lors de la IVe république : son action locale, nationale et internationale a été pourtant dense et souvent déterminante.

Le 24 mai 1954, le Journal Officiel publie une citation de Jane Vialle à l’ordre de la Nation datée du 23 mai et signée René Mayer Président du Conseil des ministres.

2 – Formation / professions :

Métisse née d’une mère congolaise, Tchilambou, dont le nom paraît d’origine Bavili, population habitant la région de Louango à Pointe noire, Jane est reconnue très jeune par son père Michel Vialle, un employé de la compagnie française du Haut Congo créée en 1889 par les frères Tréchot et solidement implantée sur la Sangha. Lorsque Michel Vialle est recruté vers 1907 par la société des sultanats du Haut Oubangui (société fondée en 1899 dont le principal but était de commercialiser l’ivoire et le caoutchouc récoltés dans les domaines des sultans dont elle avait le monopole), elle suit son père et grandit à Bangassou où se localisait le quartier général de la compagnie, chef-lieu de la région et résidence du Sultan Zandé Bangassou. Michel Vialle a pris une part notable à l’extension de l’entreprise et il jouit d’une grande considération à Bangassou. Au moment de la mobilisation de 1914, il quitte la ville avec sa fille pour la France.

Jane Vialle réalise ses études secondaires à Paris au lycée Jules Ferry et obtient son baccalauréat sans doute vers 1925. Elle travaille d’abord à la société d’Entreprises africaines, puis comme secrétaire-rédactrice à l’agence d’information Opéra Mundi créée en 1928. Mariée à Paris, le 27 octobre 1927 avec Marcel Beauvais, elle divorce en mai 1940 et mène dès lors sa vie en toute liberté.

En 1940, elle travaille pour le journal Confidences qui s’établit avec l’Exode à Marseille. De juillet 1941 à février 1942, elle se retrouve sans emploi fixe et travaille à domicile en rédigeant des contes, des nouvelles pour les journaux d’Afrique du nord comme Tam Tam, l’hebdomadaire de la Dépêche d’Alger.

Après la Libération, elle redevient journaliste à l’Agence France Presse et correspondante pour les journaux de l’AOF (Afrique Occidentale française), elle rejoint aussi le comité éditorial du journal Combat.

3 – Militantisme, principales responsabilités militantes :

A cette même époque, elle fréquente le foyer des étudiants africains et asiatiques de Marseille au quartier de la Rose dirigé par Belpeer qui a adhéré fin 1940 au mouvement d’Henri Frenay qui allait devenir Combat. Elle est proche de Jean Gemähling, dont elle devient la secrétaire, chef du réseau de renseignements du mouvement Combat pour la région PACA qui en 1943 dirigera le plan national des renseignements des mouvements unis de la Résistance.

Arrêtée à son domicile en janvier 1943, elle est internée administrativement pendant 3 mois au camp de Brens dans le Tarn. En avril, elle est transférée à Marseille à la prison des Baumettes où elle restera jusqu’en décembre 1943 pour l’instruction de son affaire. Elle comparait le 10 décembre 1943 devant le tribunal spécial pour « activités nuisibles à la Défense Nationale ». Elle est défendue par Me Germaine Poinsot-Chapuis. Le jugement apparaît comme clément : « relaxe sans peine ni dépends ». Libérée, elle recontacte le réseau Combat qui la cache et redevient la secrétaire de Gemälhing à Lyon et à Paris.

Elle obtient la Médaille de la Résistance pour ses services rendus pendant l’occupation.

Dès 1945, elle fonde l’Association des Femmes de l’Union Française et rédige en tant que Secrétaire générale l’éditorial du n°1 du Bulletin de l’Association dans lequel elle rappelle l’importance du rôle des femmes dans les mouvements de résistance pendant la seconde guerre mondiale et l’obtention du droit de vote récent des citoyennes françaises. Cet éditorial est suivi d’autres éditoriaux ou d’articles, chaque numéro contient une contribution de sa part. Pour elle, cette association est un mouvement social créé dans le but de faire mieux connaître en métropole les territoires d’Outre-mer par une série de conférences, échanges culturels au sein de l’Union française dans un esprit de fraternité. L’objectif est aussi de promouvoir l’éducation des femmes par le biais des comités existants dans les territoires et les métropoles. L’action de l’association est restée bénévole et s’est aussi centrée sur l’accueil en métropole des étudiantes d’Outre-Mer. Elle fait réquisitionner puis achète deux hôtels notamment un de 40 chambres avec l’aide de l’AOF et les fonds du FIDES pour loger les étudiantes d’Outre-mer. Ce dispositif est renforcé par l’octroi de bourses à une trentaine de jeunes filles africaines ou asiatiques pour venir en France et l’offre de famille d’accueil pour des étudiantes en vacances. En métropole, les jeunes filles sont accueillies, entretenues et logées par l’association. Pour cette tâche, elle est aidée par la vice-présidente Thérèse El-Hadi Monnerville, épouse du président du Sénat et Bernard Cornut-Gentille alors Haut-Commissaire en Afrique Equatoriale Française (AEF). Elle réussit à fonder un centre culturel à Brazzaville.

Jane Vialle fonde son propre parti politique en Oubangui-Chari, l’Association Pour l’Evolution de l’Afrique Noire, le 27 juillet 1946 : les cadres de son parti sont le président Pierre Indo, le vice-président Jean-Baptiste Songomali, le trésorier Antoine Darlan, le secrétaire Gouandjia et les conseillers : Auguste Gandji-Hangoma-Kobokassi, Sodji, Edouard Cormon et Riberot. Madame Franck sert de membre-correspondante à Paris mais l’APEAN, initiative audacieuse, ne dure pas longtemps.

Elue sénatrice, originellement candidate indépendante, elle rejoint le groupe socialiste (SFIO) et dépose le 22 mai 1947 une motion (N°254) avec 21 autres conseillers dont Bechir Sow et El-Hadi Mostefai invitant le Conseil de la République à ne pas se prononcer sur la demande de la levée d’immunité parlementaire des élus malgaches avant de les avoir auditionné au nom de l’égalité de traitement entre les conseillers de la République de la métropole et ceux d’Outre-mer.

Le 18 juillet 1947, elle dépose une proposition de résolution (N°44) avec 13 autres conseillers pour que soit appliqué dans les territoires d’outre-Mer l’article 340 du Code civil relatif à la recherche de la paternité naturelle en faveur des enfants métis pour éviter « leur abandon, leur déclassement ». « Je suis moi-même la fille d’un de ces pères consciencieux et d’une mère noire - mais lorsque les pères ne veulent pas s’embarrasser d’une responsabilité prolongée, ils les abandonnent… ». Cette proposition fut adoptée quatre ans plus tard en 1951.

Elle intervient à propos du budget de l’économie sur l’équipement de la France d’Outre-Mer (FOM) qu’elle estime insuffisant le 11 août 1947 et sur un projet de loi ratifiant un accord entre la France et la Nouvelle-Zélande.

Dans le cadre de l’Assemblée Territoriale de l’Oubangui-Chari, l’idée d’une association de coopératives devient populaire parmi les leaders politiques locaux comme moyens de promotion du développement économique du pays. Sous l’impulsion du leader de l’Union Oubanguienne Barthélémy Boganda, Georges Darlan fonde la COTONCOOP le 22 février 1948 et la société coopérative de consommation, Boganda lui-même crée la SOCOULOLE (société coopérative de l’Oubangui-Lobaye-Lessé) le 22 mai 1948 et Jane Vialle met en place l’Espoir Oubanguien, une coopérative destinée à construire à Bangui les logements du nouveau quartier de « la Kouanga » sur un terrain marécageux assaini. Sa coopérative se regroupera avec la SACMA, coopérative familiale d’approvisionnement, filiale de la COTONCOOP, dirigée par Georges Darlan. Le conseil représentatif de l’Oubangui-Chari accepte de subventionner les coopératives de Jane Vialle et de Georges Darlan au détriment de celle de Barthélémy Boganda. Habile manœuvre politique ? Ce camouflet pour Boganda fait voler en éclat l’union des leaders oubanguiens. Barthélémy Boganda s’écarte résolument de Georges Darlan et cesse de soutenir Jane Vialle notamment aux élections de 1948.

Réélue sénatrice en 1948, elle devient membre de la commission des TOM, de la commission du Travail et de la Sécurité Sociale. En 1949, elle est nommée vice-présidente de la commission des finances puis siège aux commissions de l’Education nationale en 1950. Elle s’occupe des problèmes de l’enseignement dans les TOM, demandant une amélioration de l’harmonisation des programmes des classes primaires avec ceux de la métropole pour remédier aux difficultés d’adaptation des enfants notamment africains venus suivre en France le cycle secondaire. Elle demande la modification des programmes locaux d’Histoire-Géographie. Elle insiste surtout sur le développement nécessaire de l’enseignement professionnel pour pourvoir l’Afrique d’ouvriers et de cadres techniques bien formés, indispensables au démarrage économique. Le 27 novembre 1951, elle propose un amendement pour favoriser la fin des deux collèges représentatifs dans l’Union française.

En 1949, le Comité de liaison des organisations internationales des femmes la nomme membre des Nations Unies sur les questions de l’esclavage et du commerce des esclaves, et ce, bien qu’elle ne parle pas l’anglais. A la première rencontre du comité à Lake Success en 1950, Jane Vialle demande un rapport sur l’état de l’esclavage en Afrique et à Madagascar et soumet un mémorandum sur l’esclavage dans les territoires africains le 13 juin 1951.

Lors de la 27ème session qui se tient à Florence du 4 au 8 juin 1952, elle est élue membre de l’Institut international des différentes civilisations.

4 – Principaux mandats électifs :

Après la Libération, de juin 1945 à juin 1946, elle suit de très près les débats sur la place des colonies dans les Constitutions de la IVème République et de l’Union française. Au lieu de couvrir les élections comme journaliste, elle s’engage dans la compétition, sans doute par opportunisme politique, pour devenir représentante au Conseil de la République de l’Oubangui-Chari/Tchad, territoire considéré comme la « cendrillon de l’Empire ».

Ainsi, elle s’envole pour Bangui où elle persuade Pierre Indo, candidat au même poste, de se retirer en sa faveur. Comme l’Oubangui-Chari et le Tchad forment une circonscription unique, elle est obligée de se retirer en faveur d’Aristide Issembe qui se présente pour le Tchad, bientôt lui-même écarté au profit du candidat du RDA Gabriel Lisette.

En Oubangui-Chari, Jane Vialle développe des relations cordiales et fructueuses avec Barthélémy Boganda qui soutient sa candidature au Conseil de la République en tant que sénatrice. Le 10 janvier 1947, elle est élue contre les trois autres candidats, Joachim Vermaud-Hetman, Madame Darré et Bernard Condomat par 7 voix sur 13 suffrages exprimés.

Malgré l’absence de soutien de Barthélémy Boganda, mais avec l’aide de G. Darlan, Jane Vialle est réélue sous l’étiquette Indépendante d’outre-mer en tant que sénatrice le 14 novembre 1948. Elle bat les deux autres candidats Pierre Indo et Jean-Baptiste Songomali avec 11 voix sur 16 votes. Elle rejoint d’abord le groupe des républicains indépendants, au sein duquel elle siège à l’intergroupe gaulliste, dont elle démissionne en décembre 1948 pour se rattacher au groupe du RGR.

La campagne a été rude : ses tournées électorales furent houleuses sans l’appui de Barthélémy Boganda. Il l’accuse d’être une candidate officielle soutenue par l’administration qui lui aurait donné de l’argent pour acheter ses électeurs. Les autres candidats soutiennent qu’il n’est pas possible de voter pour elle car elle n’est pas à 100 % oubanguienne.

En 1952, elle candidate à sa succession au Sénat mais Barthélémy Boganda devenu très populaire, présente contre elle son propre candidat Hector Rivierez. Il est élu (9 voix pour Jane Vialle sur 22).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article172132, notice VIALLE Jane par Karine Ramondy, version mise en ligne le 6 avril 2015, dernière modification le 1er novembre 2016.

Par Karine Ramondy

SOURCES :
http://www.senat.fr/senateur-4eme-republique/vialle_jane0151r4.html
consulté le 4 avril 2015.
Dictionary of african biography, édité par Emmanuel K. Akyeampong et Henry Louis Gates, 2011, Tome 6, notice sur Jane Vialle réalisée par Richard A. Bradshaw et Juan Fandos Rius, p. 125-126.
BALLARD J.A. The development of political parties in french equatorial Africa, PhD thesis, Fletcher School of Law and Diplomacy,1963.
COQUERY-VIDROTVICH Catherine, Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires 1890-1930, Mouton, Paris, 1972.
DAMPIERRE Eric de , Un ancien royaume Bandia du Haut Oubangui, Paris, Plon,1967.
NOTIN Jean-Christophe, 1061 compagnons : histoire des compagnons de la libération, Perrin, Paris, 2000.
PENEL J.D, Ecrits et discours de Barthélémy Boganda 1946-1951, la lutte décisive, Tome 1, Paris, L’Harmattan, 1995.
SERRE Jacques, Hommes et destins, tome XI, Paris, L’Harmattan, p. 759 à 769.
Archives :
. Archives privées de Jean-Dominique Pénel :
Fascicule « B. Boganda, A. Darlan, J. Vialle : trois représentants oubanguiens du deuxième collège 1946-1952 », 1985
Fascicule « les représentants oubanguiens à la Ligue contre le Racisme », recueil de textes, 1987.
. Archives de l’ordre de la Libération – dossier de la médaille de la résistance de Jane Vialle.
. Archives ANOM cote 8W3 et 8W 53 : registre des audiences du tribunal spécial du 9 et 10 décembre 1943 et dossier d’audience du 9 décembre 1943.
. Archives Nationales cote 15499 n°4196 : dossiers de renseignements généraux 1947-1952.
. Archives du Sénat : dossier Jane Vialle.
. Journal officiel du 23 mai 1953 : citation de Jane Vialle à l’Ordre de la Nation.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable