ROMEU Robert, Lucien

Par Pierre Petremann

Né le 15 décembre 1910 à Réalmont (Tarn), mort le 19 octobre 2002 à Toulouse (Haute-Garonne) ; professeur agrégé d’espagnol ; militant syndicaliste du SNES, secrétaire de la section académique de Toulouse ; militant du PSU.

Robert Romeu
Robert Romeu
Congrès Snes 1969 (coll. IRHSES)

Robert Romeu était fils unique d’Edmond Romeu et de Berthe Mauries, titulaire du certificat d’études primaires. Son père, né dans une famille de paysans pauvres des Pyrénées-Orientales, avait travaillé très jeune à la mine de plomb et de zinc de Peyrebrune (Tarn) où il avait rencontré sa future épouse, chemisière. Il était ajusteur au moment de la naissance de son fils ; ses parents devinrent ensuite marchands forains de tissus et de vêtements dans le Tarn.

Il reçut une éducation très stricte, dans une famille conservatrice, sans préférence politique précise, mais aimante. Sa mère, avec qui il entretint des relations privilégiées jusqu’à sa mort, lui transmit une éducation religieuse catholique (baptême et communion), alors que son père était athée. Il se disait lui-même agnostique.

Après l’école communale de Réalmont, il fut élève boursier et pensionnaire, de la sixième à la terminale, au lycée La Pérouse d’Albi (Tarn), où il fut condisciple et ami de Georges Pompidou. L’influence d’un de ses professeurs d’espagnol le décida à s’engager, après son baccalauréat obtenu avec la mention bien, dans des études hispaniques à la Faculté des Lettres de Toulouse (Haute-Garonne). Il poursuivit ses études à Burgos (Espagne) et fut ensuite maître auxiliaire à Châteauroux (Indre), tout en terminant sa licence à la Faculté des Lettres de Poitiers (Vienne).

Robert Romeu se maria en septembre 1932 à Valderiès (Tarn) avec Jeanne Raymond, avec qui il eut deux enfants, Janine née en 1933 et Michel en 1934, et dont il divorça en 1950. Il se remaria en avril 1951 à Toulouse avec Huberte Briatte, eut avec elle trois enfants, Régine née en 1954, Renaud en 1959 et Sabine en 1964. Il divorça de sa seconde épouse en décembre 1977.

Étant père de deux enfants, il fut mobilisé en 1939 à l’hôpital militaire d’Albi. Démobilisé en 1940, il débuta sa carrière de professeur licencié au lycée d’Albi. Reçu second à l’agrégation d’espagnol en 1942, il fut nommé en 1943 au lycée Gambetta (lycée de garçons qui prendra le nom de Pierre de Fermat en 1957) à Toulouse. Il participa comme agent de liaison à un réseau de résistance organisé à partir de la préfecture d’Albi, pour fournir des faux papiers à des juifs, dont des anciens étudiants et amis, et des réfugiés qui souhaitaient partir de France. Il ne fut pas inquiété malgré la fouille de son appartement d’Albi par la police de Vichy.

Enseignant en partie en classes préparatoires après la guerre, il fut ensuite nommé au lycée Bellevue de Toulouse, où il effectua l’essentiel de sa carrière jusqu’à sa retraite professionnelle en 1975. Spécialiste reconnu de Don Quijote de la Mancha, personnage dans lequel il se reconnaissait, tiraillé entre la raison et la passion, il effectuait également des vacations à la Faculté des Lettres. Son intérêt pour la pédagogie le conduisit à être durant de nombreuses années conseiller pédagogique auprès des futurs professeurs d’espagnol. Ses anciens élèves, devenus de brillants universitaires, parlaient de son enseignement avec gratitude et admiration. Adhérent de la Société des agrégés, élu à son Comité national en 1957, il la quitta en 1970.

Son militantisme politique débuta dès 1945 comme sympathisant du Parti communiste français mais sans jamais y prendre sa carte. Il milita beaucoup auprès des réfugiés espagnols de Toulouse, les aidant dans les démarches administratives, la recherche d’un emploi ou d’un logement. Des responsables de mouvements politiques en exil, clandestins, étaient accueillis chez lui, au 32, rue des Lois. C’est auprès d’eux que naquit véritablement son engagement politique. Fidèle à l’engagement des républicains espagnols, il se rendait chaque année à Collioure à la célébration de la mort d’Antonio Machado.

Son engagement au Syndicat national de l’enseignement secondaire se manifesta également dès la Libération. Il y prit rapidement des responsabilités locales et fut candidat en 1949 à la commission administrative nationale sur la liste des « cégétistes ». Il figura ensuite sur la liste « B » à toutes les élections à la CAN, de 1950 à 1964.

En 1953, il remplaça Jean Castel, « autonome », comme secrétaire de la section académique (S3) de Toulouse, devenant ainsi un des plus jeunes secrétaires académiques et le premier du S3 se réclamant du courant cégétiste, pourtant minoritaire dans l’académie. En 1955, il fut à l’origine de la demande du S3 d’une nouvelle rédaction de l’article 27 des statuts du SNES. Au nom des syndiqués de province qu’il jugeait sous-représentés, il dénonçait un système électoral sclérosé et proposait que les S3 élisent directement leurs représentants en proportion de leur nombre d’adhérents. Il contestait également le caractère démocratique du système des tendances.

En 1956, il fut remplacé comme secrétaire général du S3 par Philippe Capelle, également militant de la liste « B ». Tout en demeurant élu du personnel à la commission paritaire académique des agrégés, il devint secrétaire adjoint, chargé du Bulletin Syndical, qui eut dès lors une importance accrue, en devenant le reflet de la vie du S3 et des sections (S1) d’établissements ; il y intégra des rubriques nouvelles, telle qu’une adresse régulière aux jeunes collègues. Son intense activité transparaissait au travers de ses articles fréquents et dans tous les domaines, surtout sur les questions de politique nationale, comme en témoigna en 1962 son appel « Pour un front uni syndical », afin de lutter contre le pouvoir gaulliste.

Opposé à la guerre d’Algérie, il avait rejoint l’Union de la Gauche Socialiste en 1957 dont il devint membre du comité fédéral en 1959 et de la rédaction de L’Action UGS, organe de la fédération. Il adhéra au Parti Socialiste Unifié en 1960. Il fut secrétaire de la section du PSU de Ramonville, membre de la commission exécutive fédérale et candidat aux élections cantonales dans le canton de Saint-Gaudens en 1961.

En 1964, Robert Romeu fut le maître d’œuvre de la position du S3 de Toulouse sur la réforme Fouchet, très critique face à l’inaction de la direction nationale. Au congrès du SNES de 1965, avec Philippe Capelle, il défendit fermement la poursuite de la grève administrative, s’opposant non seulement à la direction « autonome » du syndicat mais aussi de nombreux camarades « Unité et Action », dont Gérard Alaphilippe. Il publia dans le BS les réactions hostiles à l’arrêt de plusieurs S1 de l’académie, en concluant par un appel à renverser la majorité et à l’élaboration d’un véritable plan d’action national.

Après le congrès de fusion du SNES et du Syndicat national de l’enseignement technique de mars 1966, il mena une lutte déterminée pour parvenir au changement de majorité au plan national dans le nouveau Syndicat national des enseignements de second degré. Mais il fut signataire avec Philippe Capelle de l’appel à l’unité des tendances dans le S3 de Toulouse, pour refuser le mode d’élection à la CAN sur des listes de tendances et, fidèle à ce qu’il avait défendu dix ans plus tôt, pour que ses membres soient élus dans chaque S3. Mais cette proposition fut écartée. En vertu des statuts du nouveau syndicat stipulant la coresponsabilité des militants des anciens SNES et SNET, Philippe Capelle et Jean Barrau (« autonome ») devinrent les secrétaires du S3 et Jean-Charles Perdriel lui fut préféré pour représenter le S3 comme suppléant à la CAN élue en 1967, permettant à UA de devenir majoritaire et de diriger le syndicat.

En mai-juin 1968, Robert Romeu, qui continuait de jouer un rôle éminent dans la direction du S3, défendit sa conception « socialiste et démocratique » d’une collaboration, sur un pied d’égalité, entre syndicats et partis politiques, et insista sur la nécessaire unité syndicale pour y parvenir. Partisan du développement de la lutte à la base, il multiplia les contacts avec les S1. Il reprocha par téléphone, le 23 mai, sa « mollesse » à la direction nationale, et demanda la mise en place d’un comité de gestion des établissements au plan national comme cela existait déjà dans plusieurs lycées de son académie. Il obtint des articles et des droits de réponse dans La Dépêche du Midi et dans Le Midi Libre. Lors de la seconde consultation sur la poursuite du mouvement, le 10 juin 1968, le S3 de Toulouse fut le seul, avec celui de Nice, qui vota, à une courte majorité, contre l’arrêt de la grève.

Toutefois, ce qui l’occupa beaucoup pendant et après les événements, fut la mise en place de la réforme du fonctionnement des établissements. Il était très attaché au développement de nouvelles relations entre enseignants et élèves qui contribueraient selon lui à la formation de l’esprit critique chez les jeunes. Il créa à cet effet une nouvelle commission dans le S3, « Gestion et vie scolaire » qui devint la commission « Vie des établissements » qu’il dirigea. Cette commission fit un travail important pour lutter contre les blocages administratifs. Il fut à l’initiative d’une motion au congrès national de 1969 qui posait la question de la participation du SNES aux nouvelles instances et demandait une campagne nationale auprès des parents et des élèves.

En octobre 1971, il remplaça Philippe Capelle, qui envisageait d’entrer dans l’enseignement supérieur, comme secrétaire général du S3 avec Rodolphe Enoff, membre de l’ancien SNET, comme adjoint, mais il ne fut pas élu à CA nationale, le S3 étant représenté par Perdriel, Maurice Bès et Enoff. Il fut un secrétaire général très actif, attentif à la vie du syndicat sur le terrain, écrivant et intervenant sur tous les dossiers, et un éditorialiste très politique. Il fut également un secrétaire de S3 très indépendant vis-à-vis de la direction nationale. Ainsi, en novembre 1972, il lança une pétition à l’adresse des adhérents de la Fédération de l’Éducation nationale de l’académie, suite à l’absence de la fédération lors de l’action CGT-CFDT sur les salaires. Cette initiative fit grand bruit, embarrassant même la direction du SNES, ce qui ne l’empêcha pas d’envoyer un courrier, publié dans le Bulletin Syndical, à James Marangé, secrétaire général de la FEN.

À la rentrée 1973, sans doute parce que son autorité dans le S3 commençait à être mal supportée par certains militants U-A, mais aussi pour préparer son remplacement, le secrétariat général unique fut remplacé par un collectif de direction avec deux secrétaires généraux, lui-même et Rodolphe Enoff, et trois adjoints, Capelle, Massé et Perdriel.

Il joua un rôle essentiel à Toulouse dans la crise qui secoua la FEN en novembre 1973 (levée du mot de grève du 11 octobre sur la politique salariale, menaces d’exclusion du SNES et du Syndicat national de l’éducation physique au congrès fédéral). Il n’hésita pas à s’adresser directement à nouveau au secrétaire général de la FEN, pour condamner son attitude et défendre l’unité du syndicat et de la fédération. Il fustigeait aussi les attitudes, qualifiées d’antisyndicales, des militants minoritaires de l’alliance Ecole Emancipée-Rénovation Syndicale.

En 1975, tête de liste aux élections à la CA académique, il annonça qu’il prenait sa retraite et céda sa place à Jean-Charles Perdriel. Il devint alors secrétaire académique des retraités, responsabilité qu’il occupa jusqu’en 1985 et qui apparaissait pour la première fois dans l’organigramme du S3.

Très actif dans sa nouvelle fonction, il impulsa l’activité des retraités dans le S3 et organisa des campagnes de syndicalisation des retraités au SNES, afin que ce dernier pesât davantage dans la Fédération générale des retraités de la Fonction publique. De temps à autre, il rédigeait dans le bulletin académique un article, très personnel, comme celui de novembre 1979 intitulé « La décadence », dans lequel il posait la question de la revalorisation et s’insurgeait contre la « résignation coupable » de la profession, allant jusqu’à comparer la situation des enseignants du second degré à celle des « esclaves affranchis de la Rome antique ».

À partir du printemps 1982, ses interventions portèrent essentiellement sur la politique gouvernementale et sur l’attitude qu’il jugeait « attentiste » des directions académique et nationale du SNES. Il demanda à plusieurs reprises dans des tribunes libres, « Agir maintenant » en avril 1982 ou « Pour que les yeux s’ouvrent » en octobre, une action d’ampleur et il en vint à critiquer ouvertement « certains camarades » qui, selon lui, acceptaient la politique gouvernementale, pour des raisons politiques et perdaient ainsi leur indépendance syndicale. Il fut relayé par des militant(e)s UA du S3, dont Andrée Pradelles mais aussi de l’École émancipée. Cette situation entraîna une crise dans le S3 au sein d’Unité Action lorsque fut proposée la candidature d’Andrée Pradelles au poste de secrétaire générale à la place de Rodolphe Enoff : plusieurs membres du secrétariat menacèrent de démissionner et la crise se dénoua par le départ d’Andrée Pradelles de la direction académique. Robert Romeu termina son mandat et quitta toute responsabilité en 1985.

Il n’était plus encarté politiquement. Il avait quitté le PSU en 1969, refusant, comme d’autres militants UA, de rejoindre le courant « Rénovation syndicale » comme leur avait demandé Robert Chapuis, membre du bureau national du parti chargé de l’éducation. Il fut également membre du Mouvement de la Paix et soutenait la Croix rouge et le Secours Populaire.

Robert Romeu marqua incontestablement de son empreinte le S3 du SNES de Toulouse. De petite taille, il était un militant très actif, cultivé, à la plume facile, dont même ses ami(e)s reconnaissaient « le caractère entier, l’autoritarisme, l’individualisme forcené et son goût du pouvoir » mais toujours soucieux de justice et d’humanisme.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article172207, notice ROMEU Robert, Lucien par Pierre Petremann, version mise en ligne le 9 avril 2015, dernière modification le 15 juillet 2018.

Par Pierre Petremann

Robert Romeu
Robert Romeu
Congrès Snes 1969 (coll. IRHSES)
Congrès SNES 1972

ŒUVRE : Don Quijote de la Mancha de Miguel de Cervantes. Introduction et notes. Editions Privat, 1965. — Recueil de textes pour l’agrégation d’espagnol.

SOURCES : Arch. Nat., 581 AP/104. — Arch. IRHSES (dont fonds sur mai-juin 1968, L’Université Syndicaliste). — Le Bulletin Syndical du SNES de Toulouse. — Tribune Socialiste du 4 mars 1961. — Paul Arrighi, Le Parti socialiste unifié dans la Haute-Garonne : des origines à 1968. Toulouse Presses Universitaires du Mirail 1976. — État civil de Réalmont. — Renseignements fournis par sa fille ainée, Janine Brousse, par Mme Régine Romeu sa fille et par Mme Vida Zabraniecki. — Notes d’Alain Dalançon, de Jacques Girault et de Gilles Morin.

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