BONNET Marguerite, Claudine. Pseudonymes : ROUSSEL Jacqueline, Magdeleine M.-A., Jacqueline

Par Jean-Guillaume Lanuque

Née le 3 avril 1921 à Saint-Anthelme (Puy-de-Dôme), morte le 18 mars 1993 à Paris (XIIe arr.) ; professeur agrégée des lettres dans l’enseignement secondaire, puis à l’université de Tours ; trotskyste, membre du CCI, puis du PCI (SFQI) de 1942 jusqu’au début des années cinquante ; chargée des droits littéraires de Trotsky.

Marguerite Bonnet naquit dans une famille paysanne originaire d’Auvergne - de la Montagne Sainte-Victoire précisément - et aux ressources réduites ; elle était l’aînée d’une fratrie nombreuse. Après une scolarité sans histoire, elle intégra en 1942 l’École normale supérieure, dans le cadre de laquelle elle prépara l’épreuve d’agrégation de lettres classiques, qu’elle obtint brillamment l’année suivante.

Parallèlement, Marguerite Bonnet s’était engagée, à la suite de la lecture de Ma Vie, de Léon Trotsky, dans le mouvement, alors clandestin, qui se réclamait de lui. C’est au Comité communiste internationaliste (CCI) qu’elle adhéra, faisant en 1943 partie d’un groupe de jeunes stagiaires organisé par Pierre Boussel (Pierre Lambert*). Cette même année 43, elle assista aux entretiens entre Rodolphe Prager* et Georges Vereeken à Mouscron, en octobre, pour essayer de convaincre son groupe « Contre le courant « de rallier la IVe Internationale, tentative qui se solda finalement par un échec. elle fut ensuite élue au comité central du CCI en janvier 1944, juste avant l’unification, le mois suivant, qui conduisit à la création du Parti communiste internationaliste - section française de la quatrième internationale (PCI-SFQI), et au sein duquel elle fit également partie du comité central. À la fin de l’année 1944, elle eut un accident suite à une intervention de la police rue Montparnasse : la balle qu’elle reçut lui coûta un oeil et l’handicapa pour le reste de sa vie.

Après la Libération, Marguerite Bonnet fut l’une des chevilles ouvrières de la toute nouvelle commission coloniale du PCI (SFQI), qui succédait à celle du CCI, avec Claude Bernard* dit Raoul, et aux travaux de laquelle participa également Daniel Guérin*. Raoul lui abandonna d’ailleurs, à elle et Rodolphe Prager, le travail indochinois à partir de juillet 1947. C’est en tant que représentante de la dite commission coloniale qu’elle rendit visite, en 1947, et en compagnie de Rodolphe Prager, au leader algérien Messali Hadj*, alors en résidence surveillée à la Bouzareah, près d’Alger. Le but de cette délégation était de présenter au père du nationalisme algérien un message de solidarité et de soutien de la IVe Internationale, ainsi que de solliciter une aide de la part des Algériens du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) en direction des Vietnamiens prisonniers dans des camps, au sud de l’Algérie.

S’occupant particulièrement des questions coloniales, Marguerite Bonnet écrivait régulièrement sur ce sujet dans La Vérité, l’hebdomadaire du PCI (SFQI). Elle rédigea également, avec l’aide de Hoang don-Tri*, la brochure Mouvements nationaux et lutte de classes au Vietnam, qu’elle signa de son pseudonyme de Jacqueline Roussel. Solide et bien argumenté, ce document, qui sortit en mai 1947, prenait place dans l’effort de solidarité des trotskystes à l’égard de l’Indochine indépendante. Ultime avatar de cette action anticoloniale, elle collabora à Chroniques Vietnamiennes, la revue du groupe trotskyste vietnamien proche de la LCR, dans les années quatre-vingt.

En 1948, Marguerite Bonnet fut une des représentantes du PCI (SFQI) au IIe congrès mondial de la IVe Internationale, qui se tint à Paris au mois d’avril. Plus précisément, elle faisait partie de la minorité de l’organisation, avec Rodolphe Prager*, Michèle Mestre* et Cornélius Castoriadis*. Bien que ne disposant pas de mandat, elle fut l’une des quatorze membres de la commission coloniale du congrès. Marguerite Bonnet prit progressivement ses distances d’avec le PCI (SFQI) à partir de la fin des années quarante, suite aux scissions successives que cette organisation connut (« droitiers » en 1948, critiques de gauche en 1949, crise et scission majeure de 1952), s’en séparant définitivement en 1952. Néanmoins, elle conserva intactes ses convictions. En 1972, elle fut ainsi une des fondatrices du Front d’aide internationaliste à la révolution indochinoise (FIARI).

À partir de la première visite en France depuis l’entre-deux-guerres de Natalia Sedova, la veuve de Trotsky, Marguerite Bonnet noua des liens d’amitié avec « Natalia ». Elle l’hébergea lors de ce voyage, de novembre 1954 à décembre 1955, ainsi que lors de son deuxième séjour, en décembre 1960. Par la suite, elle alla séjourner au Mexique, où Natalia continuait à demeurer. Marguerite Bonnet eut la responsabilité des droits littéraires de l’œuvre de Trotsky pour l’Europe à partir de 1962, année de la disparition de Natalia Sedova, veuve de Trotsky, qui lui légua les droits, et dont elle était devenue l’exécutrice testamentaire. Elle succédait dans cette tâche à Alfred Rosmer, qui avait eu la responsabilité des publications de Trotsky en France. À cette occasion, Esteban Volkov, petit-fils de Trotsky, fit d’elle sa mandataire pour gérer les droits littéraires sur les écrits de son grand-père à l’échelle mondiale.

Toujours dans cette optique, cette situation permit à Marguerite Bonnet de faciliter et de participer à la création, fin 1977, de l’Institut Léon Trotsky, dont elle fut la première présidente, qui devait surmonter un certain nombre de difficultés, avec la participation de diverses organisations trotskystes, des chercheurs comme Pierre Broué*, Michel Dreyfus, Jean-François Godchau*, Anna Libera, la maison d’édition EDI (Études et Documentation internationales), animée par Jean Risacher*. Le but de l’ILT, qui reçut l’appui d’un comité de parrainage important et très diversifié, était de promouvoir l’œuvre et le personnage de Léon Trotsky. L’ILT et EDI publièrent ainsi les douze premiers volumes des Œuvres de Trotsky (1933-1937). Marguerite Bonnet participa également à la première équipe rédactionnelle des Cahiers Léon Trotsky dont le n° 1 parut en février 1979 (Cf. « Avertissement », Léon Trotsky, Œuvres 1, mars 1933-juillet 1933, Paris EDI, 2e trimestre 1978). Elle assuma ses fonctions jusqu’en 1982, ce qui ne l’empêcha pas par la suite de continuer à s’intéresser au personnage de Trotsky : pour preuve, sa participation à l’inauguration, le 20 août 1990, de la maison-musée de Léon Trotsky (fondée en 1975 et rouverte) et de l’institut du droit d’asile et des libertés publiques, à Mexico, ou sa communication sur « Trotsky, la littérature et les écrivains » au colloque international sur Trotsky, tenu à Mexico du 20 au 24 août 1990. Ce dernier ne fut d’ailleurs que l’un de ceux auxquels elle prit part.

Marguerite Bonnet réalisa sa thèse de doctorat sur Les chants de Maldoror, de Lautréamont. De 1970 à 1981, elle fut professeur à l’université de Tours. Les vingt-cinq dernières années de sa vie furent essentiellement consacrées à l’étude du surréalisme, sur lequel ses écrits devinrent incontournables. Du milieu des années cinquante jusqu’en 1966, date de sa mort, elle avait d’ailleurs entretenu des relations privilégiées avec André Breton. En particulier, elle prépara, avec plusieurs collaborateurs (dont Étienne-Alain Hubert), les éditions complètes des œuvres d’André Breton pour les éditions de la Pléiade. Sur les quatre tomes initialement prévus, deux sortirent de son vivant, le troisième restant en chantier. Les annotations nombreuses et la présence de textes inédits témoignaient de son effort d’érudition.

En 1989, Marguerite Bonnet épousa son collaborateur et ami de longue date, Philippe Bernier. Passionnée d’œuvres d’art (Beaudin, Masson, Karskaïa ou Toyen), dotée d’une vaste culture, Marguerite Bonnet possédait un réel rayonnement intellectuel et humain, lié entre autre à sa rigueur d’analyse et à son importante énergie de l’esprit.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article17223, notice BONNET Marguerite, Claudine. Pseudonymes : ROUSSEL Jacqueline, Magdeleine M.-A., Jacqueline par Jean-Guillaume Lanuque, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 22 août 2021.

Par Jean-Guillaume Lanuque

ŒUVRE : Brochure Mouvements nationaux et lutte de classes au Vietnam (sous le pseudonyme de Jacqueline Roussel, avec Anh-Van) — Direction de Les critiques de notre temps et André Breton, Garnier, 1974. — André Breton, Naissance de l’aventure surréaliste, José Corti, 1975. — Autour d’André Breton, 1948-1972, Kraus International Publications, New York/Londres, 1982 (avec Jacqueline Chenieux-Gendron). — Préface au Lénine, de Léon Trotsky. — Notes et introduction de Vers l’action politique. Juillet 1925-avril 1926, Gallimard, « Archives du surréalisme », tome II, 1988. — André Breton, Œuvres complètes, t. I, La Pleïade, 1988 ; t. II, La Pleïade, 1992. — Adhérer au Parti communiste ? Septembre-décembre 1926, Gallimard, « Archives du surréalisme », tome IV, 1992.

SOURCES : Jean-Pierre Cassard, Les trotskystes en France pendant la deuxième guerre mondiale (1939-1944), mémoire de maîtrise, Selio, Paris, 1982. — Rodolphe Prager, Les congrès de la IVe Internationale - tomes II et III, Montreuil, La Brèche, 1981 et 1988. — Chroniques Vietnamiennes, printemps-été 1991. — Le Monde, 26 mars 1993. — Rouge, 1er avril 1993 - Cahiers Léon Trotsky, numéros 50 et 51, mai et octobre 1993. — Jean-Guillaume Lanuque, Le mouvement trotskyste et la question coloniale : le cas de la guerre d’Indochine, 1945-1954, mémoire de maîtrise, Université de Nancy II, 1995. — Cahiers Léon Trotsky, numéro 56, juillet 1995.

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