AUGERAY André, Louis

Par Jean-Paul Nicolas

Né le 5 juillet 1906 à Paris (XIVe arr.), mort à Narbonne (Aude) vers 1990 ; avant guerre, monteur-électricien, syndicaliste du raffinage à Notre-Dame-de-Gravenchon (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), animateur des grèves de juin 1936 et novembre 1938 ; communiste section de Lillebonne (Seine-Inférieure) ; arrêté le 21 octobre 1941, déporté à Sachsenhausen, matricule M58118 ; échappé de « la marche de la mort » dans la zone d’avancée soviétique, rentré en France en 1945.

André Augeray en avril 1945. Enfin libre.
André Augeray en avril 1945. Enfin libre.
Tout juste échappé de la marche forcée imposée par les SS.
Habillé en civil, il se photographie avec ses camarades devant la cabane qui leur avait servi de refuge.

André Augeray, fils d’Adrien et d’Olive Marliet s’intitulait lui-même « fils de tué » : son père, coiffeur tenant un café-épicerie à Vitry-sur-Seine (Seine), était mort au feu le 13 décembre 1914, à l’âge de trente ans. André Augeray, pupille de la Nation, travailla tout enfant aux champs dés la mort de son père et eut une enfance difficile à partir de ses huit ans avec une scolarité maltraitée dans des pensionnats. Devenu apprenti en 1920, il occupa plusieurs emplois comme aide de cuisine chez un traiteur à Paris, puis il vécut dans le Nord de la France qui se reconstruisait et dans des ports de l’ouest où il travailla comme docker. En 1925, il s’engagea dans la Marine nationale pour trois ans : embarqué à bord des sous-marins, il acquit la spécialité d’électricien. En 1928, il retourna à la vie civile, d’abord à Vitry, puis en Seine-Inférieure de 1929 à 1932 dans les villes voisines de Sotteville-lès-Rouen et Saint-Etienne-du-Rouvray, auprès de Rouen. Il se maria le 23 novembre 1931 à Saint-Étienne (Seine-Inférieure, Seine-Maritime) avec Raymonde Portail, dont il divorça en novembre 1948. En 1933, il trouva un emploi stable dans la raffinerie de Basse-Seine Vacuum-Oil (Mobil) à Notre-Dame-de-Gravenchon (Seine-Inférieure). En juin 1936, André Augeray (accompagné d’Emile Robinet) se révéla leader de la CGT de la raffinerie Vacuum. A leurs côtés dans la lutte la raffinerie SFAR (Esso Standard), voisine immédiate, possédait également un fort syndicat dirigé par Henri Messager, leader lui-même du syndicat des produits chimiques qui regroupait l’ensemble CGT de l’activité pétrolière de Notre-Dame-de-Gravenchon. Dans cette période d’avant-guerre, André Augeray était un actif militant communiste, secrétaire, selon les Renseignements généraux, d’une cellule Maxime Gorki à Lillebonne.

Lorsque se profila le mot d’ordre de grève générale du 30 novembre 1938, qui vit le licenciement de milliers de militants dans tout le pays (dont 1300 en Seine-Inférieure), André Augeray négocia, fait unique, avec la direction de Vacuum-Oil, une entente garantissant aux salariés le non-licenciement pour fait de grève le 30 novembre en l’échange d’une non-occupation de l’usine par la CGT, comme en juin 1936. La Vacuum ne licencia personne à la différence de sa voisine la SFAR (Esso Standard) qui, elle, licencia six syndicalistes dont le leader Henri Messager.

André Augeray fut mobilisé en Janvier 1940, la débâcle de juin 40 le mena à Béziers où il ne fut démobilisé qu’en septembre 1940. A son retour à son domicile de Notre-Dame-de-Gravenchon dans la cité Vacuum, André Augeray retrouva Henri Messager démobilisé lui aussi le mois précédent : Henri Messager lui expliqua l’importance d’une reprise de l’action à la base pour lutter contre l’occupant et ses serviteurs de Vichy. Pour ce faire, la priorité était de retrouver un emploi. Les deux raffineries de Gravenchon avaient été incendiées par les autorités françaises face à l’avance de l’armée allemande en juin 1940, aussi les démobilisés qui travaillaient au raffinage furent réduits au chômage à leur retour. C’était le cas d’André Augeray qui entreprit, en pleine occupation, des démarches auprès des autorités préfectorales pour obtenir des aides aux employés sinistrés du pétrole. Après avoir travaillé dans divers chantiers de la région, André Augeray fut employé comme chef d’équipe électricien à l’entreprise Chéron de Beaumont-le-Roger (Eure) qui effectuait des travaux électriques dans les nombreuses installations aériennes de l’armée allemande.

Puis vint l’attaque d’Hitler contre l’Union soviétique le 22 juin 1941, l’entrée du Parti communiste clandestin dans la lutte armée en août 1941 et les arrestations massives de communistes identifiés comme tels grâce aux fichiers d’avant 1939 constitués par la Police française et ses Renseignements généraux. Les 21 et 22 octobre 1941 une rafle s’abattit sur la Seine-Inférieure, elle touchait les communistes ou supposés tels fichés depuis l’avant-guerre. Plus de deux cents hommes furent arrêtés à Rouen, Dieppe, Le Havre et dans tous les centres ouvriers. André Augeray fut arrêté sur son lieu de travail à l’Aérodrome allemand d’Octeville-Le Havre. Son logement du 1 rue des Peupliers, à la cité Vacuum de ND-de-Gravenchon, avait été perquisitionné quinze jours auparavant et des tracts avaient été trouvés dans son grenier.
Incarcéré à la maison d’arrêt de Rouen Bonne-Nouvelle, surchargée de prisonniers politiques, André Augeray fut condamné à un an de prison par un tribunal français. Il connut la promiscuité de l’enfermement à dix dans les cellules : il écrira en 1978 avoir assisté aux départs successifs de 17 camarades pour le peloton d’exécution du Madrillet Grand-Quevilly.
Le 17 novembre 1942, une année s’était écoulée depuis la rafle des 21 et 22 octobre 1941, ce fut donc la levée d’écrou pour André et ses camarades : à la sortie de la prison ils étaient attendus par la police allemande qui les transporta à la gare de Rouen : destination le Front Stalag 122 de Compiègne Royallieu, antichambre de la déportation vers les camps nazis. Puis le 23 janvier 1943 ce fut le départ de Compiègne pour l’Allemagne destination Sachsenhausen, dans la grande banlieue de Berlin. A « Sachso », il fut affecté au camp et à l’usine d’aviation Heinkel comprenant 7000 travailleurs de force de toutes nationalités. Il câblait l’intérieur des cockpits des avions Heinkel.
En avril 1945, l’avancée des troupes soviétiques était-telle que les déportés du camp furent engagés dans une marche meurtrière vers l’ouest, encadrée par les SS. Avec une poignée de camarades, André Augeray, parvint à quitter la route de la mort et trouva refuge dans une grange située au milieu d’un champ. Le groupe de déportés, affamés et épuisés, rencontra le premier soldat sans uniforme allemand : c’était un cavalier de l’armée rouge. Le cavalier soviétique, pour leur sécurité, leur conseilla d’échanger leur tenue rayée contre une tenue civile. Ce qu’ils firent en dérobant des vêtements à des civils allemands qui fuyaient vers l’ouest en charrettes. A cette occasion, ils mirent la main sur un appareil photo des Allemands et se prirent en photo devant la grange, symbole de leur retour à une vie libre. Photo jointe.
A son retour à Paris, André Augeray passa par l’hôtel Lutetia, où il semble qu’il aurait rencontré Simone Lejeune qui venait en quête de son compagnon déporté qui ne revint pas.
De retour à Notre-Dame-de Gravenchon, le Directeur de la Vacuum-Oil (Mobil) refusa plusieurs fois de le recevoir, il n’était donc pas question de le réembaucher. Pendant les premières années de l’après-guerre, André Augeray fut un permanent de l’association de déportés FNDIRP. Là, il s’occupa de retrouver les veuves et ayant-droits des déportés, les aidant à faire toutes formalités pour homologuer les situations d’internés-résistants (IR) ou internés-politiques (IP). Puis André Augeray partit pour l’Algérie quelques mois comme contremaître dans une usine électrique près d’Oran. C’est près d’Oran, à Ain-Temouchent, qu’il épousa en second mariage Simone [Marcelle, Georgette] Lejeune le 9 février 1950. L’expérience algérienne sembla peu probante : son retour en métropole s’effectuant dés 1950, il devint artisan électricien dans plusieurs départements du centre de la France, puis se stabilisa dans le Midi dans les années soixante-dix à Narbonne dans l’Aude où sa vie s’acheva vers 1990, veuf de Simone Lejeune depuis 1983 et tout seul dans une maison de retraite.
Ses obsèques furent quasiment anonymes : son nom n’a pas été gravé sur sa tombe à Narbonne aux côtés de son épouse Simone, son décès n’a pas été mentionné sur son acte de naissance de l’état-civil de Paris XIV e arrondissement. On ignore donc la date de son décès.

Malgré ses démarches, notamment en justice, André Augeray obtint la mention interné politique mais la mention interné résistant lui fut refusée par un tribunal.
Après la guerre, André Augeray avait pris ses distances et arrêté tout militantisme. Il reste qu’il avait une conscience aigüe des dangers d’un retour du fascisme dont il avait été victime. Aussi, en 1978, entreprit-il, assisté de Simone Lejeune sa compagne, la rédaction d’un livre, Les tribulations d’un fils de tués, Matricule 58118, racontant sa vie avant-guerre et son internement à Sachsenhausen. C’était un livre à « compte d’auteur » qui lui donna l’occasion de retrouver les militants du syndicat CGT de la Vacuum devenue Mobil-Oil. Il prit la route en 1978 pour la Normandie et son livre fut vendu au personnel de la Raffinerie Mobil par les militants de la CGT. Les Tribulations connurent, comme on peut s’en douter, une diffusion restreinte. Mais André Augeray, cas rare de militant s’exprimant par l’écrit, avait fait œuvre utile en évoquant notamment 1936 et 1938 dans le raffinage, la vie avant la guerre dans la « Cité du Pétrole » de Notre-Dame-de-Gravenchon, les conditions de détention exécrables à la prison Bonne-Nouvelle de Rouen sous l’occupation et l’horreur du camp de concentration nazi d’Oranienburg-Sachsenhausen.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article172347, notice AUGERAY André, Louis par Jean-Paul Nicolas, version mise en ligne le 28 avril 2015, dernière modification le 23 novembre 2020.

Par Jean-Paul Nicolas

André Augeray en avril 1945. Enfin libre.
André Augeray en avril 1945. Enfin libre.
Tout juste échappé de la marche forcée imposée par les SS.
Habillé en civil, il se photographie avec ses camarades devant la cabane qui leur avait servi de refuge.

SOURCES : Arch. Dép. Seine-Maritime, 51W410 (arrêtés de 40-44). — DAVCC Caen : dossier IP-IR, attestations. —Arch. Dép. Seine : fiche matricule. — état-civil Paris. — État-civil et cimetières Narbonne. — Augeray André, Lejeune Simone, Les tribulations d’un fils de tué M58118, 1978, chez l’auteur, imprimerie nouvelle, 11500 Quillan. — Témoignage de Lucienne Messager, fille de fusillé. — Témoignages de Michel Van Muylder et de Milo François syndicalistes de la Mobil. — État civil.

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