SICARD Alain

Par Alain Dalançon

Né le 6 janvier 1935 à Bizerte (Tunisie) ; professeur d’Espagnol à l’Université de Poitiers (Vienne) ; militant syndicaliste du SNESup ; doyen de la Faculté des Lettres et Langues, vice-président de l’Université ; militant communiste.

Alain Sicard
Alain Sicard

Alain Sicard était le fils d’un sous-officier au 10e Régiment de tirailleurs sénégalais, engagé dans l’infanterie coloniale à 18 ans ; sa mère était institutrice, issue d’une famille de paysans. Ayant participé à la Résistance, son père devint officier à la Libération, chargé de recherches sur les crimes de guerre ; il adhéra alors au Parti communiste français mais s’en détacha pour devenir « mendésiste », puis adhérer à la franc-maçonnerie (Grand Orient de France). Après avoir quitté l’Armée, il devint agent d’assurances, et, en dépit de l’absence de tout bagage universitaire, termina sa carrière comme inspecteur.

Comme sa sœur et ses deux frères, Alain Sicard bénéficia d’une éducation familiale ouverte et laïque. Après ses études secondaires classiques effectuées au collège René Descartes à Châtellerault (Vienne), il obtint le baccalauréat (série philosophie) et entreprit des études d’Espagnol à la Faculté des Lettres de Poitiers. Tout en étant surveillant, il obtint la licence et fut reçu second à l’agrégation en 1960, à sa première tentative.

Il s’intéressa à la politique assez tôt. Initié à la franc-maçonnerie grâce à la présentation de son père, il la quitta vite à cause de la « pacification » menée en Algérie par des ministres francs-maçons pour la plupart. Ses lectures de Jean-Paul Sartre* le conduisirent à rechercher un engagement plus large et plus conséquent. Il découvrit le marxisme et, après un bref passage à l’Union de la gauche socialiste, il adhéra en 1958 au PCF.

Appelé sous les drapeaux, il créa à la caserne de Baraguey-Hilliers à Tours un comité antifasciste au moment de la création de l’OAS et du putsch des généraux d’avril 1961, ce qui précipita sans doute son départ pour l’Algérie, où il resta mobilisé jusqu’à l’indépendance en 1962. Par la suite, il exerça durant deux années la présidence du comité départemental de la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie.

De retour en France, Alain Sicard fut nommé en 1962 assistant d’Espagnol à la Faculté des Lettres de Poitiers où il allait accomplir toute sa carrière jusqu’à sa prise de retraite en 1997. Chargé d’enseignement en 1966, maître de conférences en 1977, il soutint sa thèse sur La pensée poétique de Pablo Neruda en 1977 (préparée grâce à un détachement de deux ans au CNRS, sous la direction de Noël Salomon, directeur du centre d’études hispaniques de Bordeaux et militant communiste, qui décéda en 1977). Il devint professeur des universités en 1980 et siégea longtemps comme expert au ministère de l’Éducation nationale en tant que spécialiste des littératures latino-américaines. Après sa retraite, professeur émérite, il continua à donner en Europe et sur le continent américain de nombreuses conférences, fut invité sur la chaire Julio Cortazar au Mexique et séjourna à Chicago comme visiting professor.

Tout en militant au Syndicat national de l’enseignement supérieur, Alain Sicard fonda en 1962 la cellule communiste Henri Wallon de la Faculté des Lettres, dont il assuma le secrétariat durant une longue période. Avec Jean-Louis Houdebine, il créa en 1963 l’Université nouvelle de Poitiers qui, malgré un succès encourageant, ferma ses portes en 1966. Il faisait partie de l’équipe de la revue poétique Promesse où Houdebine écrivait, et collaborait à La Nouvelle Critique, à l’initiative de Claude Prévost, responsable aux intellectuels de la fédération, en écrivant un article sur Roger Vailland et en traduisant des poètes espagnols. Dans une fédération où se posait la question d’une meilleure représentation des intellectuels enseignants, sa cellule s’efforça de faire bouger les lignes du parti notamment en ce qui concernait la démocratie de son fonctionnement. Lors de la conférence fédérale de décembre 1966, préparatoire au congrès, qui amena Paul Fromonteil à faire partie du secrétariat de la fédération, la cellule Henri Wallon présenta, non sans difficultés, un amendement sur le contrôle des naissances qui allait dans le sens des analyses de Tony Lainé* dont Alain Sicard fut toujours un ami proche. Dans un rapport envoyé en 1967 à la direction du Parti, Paul Fromonteil estimait qu’Houdebine et lui n’étaient pas des adversaires du Parti mais considérait que la responsabilité des difficultés existant dans la fédération provenait du secrétaire fédéral, Maxime Dumas, qui fut d’ailleurs remplacé l’année suivante en mai 1968 par Fromonteil, tandis que Tony Lainé le remplaça comme candidat aux élections législatives à Poitiers.

Alain Sicard s’était marié en 1956 avec Viviane Monthubert, institutrice, militante du Mouvement de la Paix, élue au comité fédéral du PCF de 1964 à 1968, avec laquelle il eut deux enfants. Divorcé en 1972, il se remaria en mars 1973 à Poitiers avec Claudette Grégoire, professeur documentaliste dans un collège, avec laquelle il eut deux autres enfants.

En mai-juin 1968, il s’impliqua dans le dialogue professeurs-étudiants – non sans rompre, à cette occasion, quelques lances avec les étudiants « gauchistes » – et participa à la constitution d’une direction collective de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines présidée par Carol Heitz, qui fut à la base de la nouvelle université.

Il s’engagea ensuite résolument dans la promotion du Programme commun de gouvernement de la gauche, en organisant des débats publics très larges à l’université et fut candidat du PCF aux élections cantonales de 1973 dans le canton de Poitiers-Est. Il était en même temps secrétaire de la section Lettres du SNESup, au moment et après le basculement de la majorité en faveur du courant « Action syndicale ». Avec le concours de Marcelle Kawa, Jean-Marc Pelorson et d’autres militants syndicaux, la section du SNESup joua un rôle déterminant dans la vie et l’orientation de la faculté.

Les années de son militantisme syndical le plus intense furent celles qui suivirent 1968, quand furent élaborés les nouveaux statuts de l’Université de Poitiers, puis celles qui suivirent l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Alain Sicard fut élu doyen de la Faculté des Lettres et Langues sur la base d’un programme syndical, de 1982 à 1989. Il conçut un projet de sa transformation en Faculté des Langues et des Langages. Faute de crédits et de véritable volonté de changement de la part du ministère, ce projet ne connut pas de suite, si ce n’est la création au Futuroscope de la filière Langues, images, communication. Il fut dans le même temps un vice-président de l’Université très actif durant la présidence de Jacques Borzeix, lui-même se réclamant du SNESup. En charge de la culture, il créa alors l’Orchestre de l’université.

Il était aussi et surtout engagé dans la solidarité avec les militants progressistes d’Amérique latine, ce qui correspondait à ses travaux sur la littérature hispano-américaine. Il fut un des fondateurs et dirigea durant plusieurs années le Centre de recherches latino-américaines (CRLA) de l’Université de Poitiers (qui fusionna en 1995 avec le GDR 1190 "Archives de la Littérature Latino-Américaine et des Caraïbes du XXe siècle" [CNRS-Université de Paris X-Nanterre]). Il y organisa une trentaine de colloques internationaux et y accueillit de nombreuses personnalités des Lettres hispano-américaines dont Miguel Angel Asturias, Pablo Neruda, Augusto Roa Bastos, Nicolás Guillén et Carlos Droguett. Reconnu mondialement comme un des meilleurs spécialistes de Neruda dont il fut un ami personnel, il reçut, en 2004, une des cent médailles décernées par le Président de la République du Chili à l’occasion de la célébration du centenaire de la naissance du poète.

La solidarité avec les peuples d’Amérique Latine occupa une place importante dans la vie d’Alain Sicard. Lors du coup d’état fasciste d’Augusto Pinochet, fut mis en place en 1973, sous son impulsion et celles d’autres universitaires hispanisants, un « Comité solidarité Chili » destiné à accueillir des réfugiés dans l’urgence mais aussi dans la durée. Du travail fut trouvé pour des universitaires à l’université, pour des musiciens au conservatoire, pour des infirmières à l’hôpital ; des étudiants purent terminer leurs études. En tant que Président d’honneur du Comité France-Amérique latine de la Vienne, il prit une part importante dans l’organisation des cérémonies et des manifestations qui accompagnèrent, en présence de l’ancien maire socialiste Jacques Santrot* et de son successeur Alain Claeys, l’anniversaire de l’assassinat du Président Allende.

Alain Sicard entretenait aussi des relations avec Cuba : il organisa, entre le Département d’Espagnol de la faculté et les éditions José Marti de La Havane, un programme de traductions et mit sur pied un voyage de quatre jeunes poètes cubains à travers les universités françaises. Il se vit décerner la Médaille de la Culture Cubaine et, quelques années après, fut nommé membre correspondant de l’Académie cubaine de la Langue.

Alain Sicard quitta le PCF sur la pointe des pieds en 1989, déçu par sa lenteur à se réformer. Dès 1980, il avait, dans le journal de sa cellule, salué, à contre-courant, en Solidarnosc la naissance d’un syndicalisme libre dans un pays socialiste. Il garda cependant, après son départ, de bons rapports avec un parti dont il épousait toujours les engagements fondamentaux, et continua notamment d’entretenir une très forte amitié avec Jean-Pierre Jallais, secrétaire régionale de la CGT ; il organisa l’hommage qui lui fut rendu à la faculté de Droit après son décès en 2010.

Il demeurait le partisan convaincu d’un marxisme non dogmatique, ouvert à l’évolution des connaissances humaines. Méfiant à l’égard de toute intrusion délibérée de l’idéologique dans la création artistique, il ne l’était pas moins vis à vis de toute entreprise intellectuelle entreprenant de l’évacuer, car il n’était pas, selon lui, de parole humaine qui ne s’inscrive dans l’histoire.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article172652, notice SICARD Alain par Alain Dalançon, version mise en ligne le 29 avril 2015, dernière modification le 18 août 2021.

Par Alain Dalançon

Alain Sicard
Alain Sicard

ŒUVRE : Outre une centaine d’articles, cinq ouvrages : El pensamiento poético de Pablo Neruda, Madrid, 1980. — Alain Sicard commente Résidence su la terre de Pablo Neruda, Gallimard, 2000. — En collaboration avec Fernando Moreno, Diccionario del Canto general de Pablo Neruda, 2000. — El mar y la ceniza, LOM, Santiago de Chile, 2011. — Cesar Vallejo, poeta de la carencia, Lima, 2015.

SOURCES : Arch. du Comité national et de la Fédération de la Vienne du PCF (Maxime Vallée, La Fédération de la Vienne du PCF, de la mort de Maurice Thorez à la signature du Programme commun (1964-1972) : essai d’histoire du communisme local au prisme des archives de la Fédération de la vienne du PCF, 2012, http://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00830164). — Arch. de la section départementale de la FEN 86. — Biographie par Joël Dalançon in Dictionnaire de l’université de Poitiers, Geste éditions, 2012, p. 406-407. — Divers sites internet. — Témoignage et renseignements fournis par l’intéressé. — Notes de Jacques Girault.

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