LOBRY Marcel, Henri

Par Françoise Fontanelli

Né le 11 août 1910 à Montreuil-sous-Bois (Seine, Seine-Saint-Denis), mort le 16 mai 1986 à Romans-sur-Isère (Drôme) ; professeur agrégé de mathématiques ; pacifiste ; militant anarchiste puis communiste.

Marcel Lobry professeur au lycée Condorcet en 1965 et ses élèves

Marcel Lobry fut élevé à Belleville dans les milieux communards, où semble-t-il il côtoya Sébastien Faure. Son père, Nicolas, Jean-Baptiste Lobry, était employé de bureau dans une grosse usine fabriquant des cuisinières, et sa mère, Juliette Lefèvre, dite la mother, faisait des ménages chez des bourgeois parisiens. Il habitait avec ses parents et ses deux frères un minuscule deux pièces dans le XVIIIe arrondissement, qu’il quitta en 1930 pour terminer ses études à Lille.

En dépit de piètres conditions de travail, il fut admissible deux fois à Normale Sup. Il rencontra sa future première femme, Renée, Clara, Germaine Bienvenu à la faculté de Lille, où elle étudiait les mathématiques. Renée Bienvenu fut selon son fils, Claude Lobry, « le véritable moteur de leurs aventures même si Marcel Lobry a laissé plus de traces publiques » que sa femme. Marcel et Renée se marièrent à Lille le 20 juin 1934. La première partie de sa vie, en compagnie de Renée, fut marquée par l’aventure et surtout par la pratique du cyclotourisme. Ensemble, ils parcoururent des milliers de kilomètres en vélo, sillonnant la France et une partie de l’Europe.

En 1933, il créa à Lille le Front universitaire antifasciste, un regroupement de quelques étudiants de gauche s’opposant aux étudiants de droite, alors majoritaires à Lille. Avec un petit groupe d’amis et Renée Bienvenu, il distribua des tracts antifascistes et vendit des journaux pacifistes comme La Patrie Humaine. Dans ses mémoires, Renée raconte que lors des contrôles de papier, il présentait une carte d’identité sur laquelle était écrit « citoyen anarchiste, ne vote pas par principe ».
Leur premier grand voyage débuta à Lille en 1934, un périple d’un mois et demi et de plus de 3200 kilomètres en passant par la Belgique, le Luxembourg, la Suisse, les Alpes jusqu’à Marseille puis Barcelone et enfin Tarascon.

Ils décidèrent alors de terminer leurs études à Marseille et s’installèrent aux Pennes-Mirabeau, petit village de la banlieue marseillaise, dans un cabanon de trois pièces sans eau ni électricité où Marcel prépara l’agrégation de mathématiques qu’il obtint en 1936.

En septembre 1936, il fut nommé professeur au lycée de Gap (Hautes-Alpes) où leur passage fit grand bruit. Ils furent rapidement expulsés de leur premier appartement parce qu’ils hébergeaient des réfugiés politiques espagnols. Début 1938, il aurait, au cours d’une réunion publique, rendu compte de leur voyage en Espagne républicaine. Par ailleurs, il fut le promoteur d’un collège de travail où furent données des conférences destinées aux ouvriers. La même année, il fut le délégué de la Fédération générale des fonctionnaires des Hautes-Alpes au congrès national de Paris où il vota contre le rapport moral.

Selon les témoignages de Martial Desmoulins et d’Anne et Henri Dalgon, Marcel Lobry appartenait en 1936-1937 au groupe marseillais de l’Athénée Libertaire constitué d’une cinquantaine de membres dont Théodore Jean, Martial Desmoulins et Joseph Gleize. D’après les Dalgon, « seuls Théodore Jean et Lobry étaient des intellectuels. »

Durant l’été 1936, Renée prit une photographie de groupe, lors d’une sortie champêtre aux Pennes-Mirabeau, sur laquelle figurent quelques membres de l’Athénée Libertaire, dont Desmoulins, Gleize et sa compagne, le couple Dalgon et Marcel Lobry. (photographie reproduite dans un bulletin du CIRA). Il collabora au Libertaire et à Terre Libre, organe de la Fédération anarchiste française publié à Nîmes à partir de 1937. À Gap, il fut également le secrétaire du Comité d’accueil aux réfugiés espagnols.

Le jour de la rentrée 1936, il apprit que l’aumônier avait offert un porto aux personnels de l’établissement. Il invita alors les professeurs à un « porto laïque », invitation qui ne fut pas du goût du chef d’établissement. À Pâques, il fut déplacé d’office et muté à Saintes (Charente-Inférieure). Cependant, André Lobry, son frère, avait des relations au ministère et un arrangement fut trouvé. Il lui fut conseillé de se mettre en congé maladie sans prendre le poste de Saintes et fut nommé au lycée Saint-Charles à Marseille à la rentrée 1937. Une pause qui permit à Marcel et Renée d’entreprendre un périple en Espagne en pleine guerre civile. Ils voyagèrent avec un laissez-passer, une lettre de recommandation de Sébastien Faure, qui leur ouvrit les portes et le dialogue avec la population et les syndicats de Catalogne. Ils rassemblèrent de la documentation et des périodiques afin d’informer les compagnons sur la situation espagnole, qui leur furent confisqués à leur retour à la frontière.

Depuis 1936, le couple Lobry évoluait dans les milieux ajistes et, durant leurs longs périples cyclistes, ils ont beaucoup fréquenté les auberges provençales du CLAJ (Centre laïc des auberges de jeunesse) créé en 1933. C’est dans les milieux des auberges de jeunesse que le couple rencontra Romaine Luciani qui devint la seconde femme de Marcel en 1948. Renée effectua de nombreuses suppléances en tant qu’institutrice dans le département des Alpes de Haute-Provence. En février 1938, il était l’un des trois abonnés du Libertaire du département des Hautes-Alpes et figurait sur une liste établie par les Renseignements généraux.

Afin de se rendre compte sur place, pour pouvoir témoigner de la situation italienne, le couple Lobry entreprit un périple cycliste dans l’Italie mussolinienne durant l’été 1938. En effet, le couple Lobry fit la demande de passeports pour se rendre en Allemagne et en Italie en mars 1938.

Marcel Lobry défendait également des conceptions néo-malthusiennes et prit la parole lors d’un débat public au palace Cinéma de Gap, en janvier 1939, au sujet du vote familial. Un député avait proposé que chaque chef de famille puisse disposer lors des élections de sa voix, plus d’autant de voix que d’enfants à charge ; Marcel Lobry n’hésita pas à déclarer « un poivrot père de huit enfants aurait droit à neuf voix alors que Joliot Curie, Prix Nobel, n’aurait qu’une seule voix ! ». La Fédération des familles nombreuses se porta partie civile et, sur un faux témoignage, il fut condamné en correctionnelle à trois cent francs d’amende avec sursis, lors de l’audience du 25 avril 1939. Il saisit la Ligue des Droits de l’homme qui semble-t-il intervint auprès du ministère de l’Éducation nationale eu égard à ses notes et à ses inspections jugées excellentes par l’institution. Ce fut sans doute ce qui lui évita la mutation au lycée de Rochefort-sur-Mer (Charente-Inférieure).

À la rentrée de 1939, il fut muté au lycée Thiers à Marseille. À la rentrée de 1940, après l’armistice, il entama une vive discussion politique avec le proviseur du lycée, à laquelle ce dernier mit fin par « si vous n’êtes pas d’accord avec le gouvernement de Vichy, vous n’avez qu’à donner votre démission ». Marcel Lobry le prit au mot et remit sa démission le lendemain même.

Commençait alors une longue période durant laquelle, les époux Lobry, installés au pied du Lubéron à Maubec près de Cavaillon, vécurent de petits boulots et durent fuir les gendarmes lancés à leur trousse après dénonciation – ils ne l’apprendrons que tardivement – du proviseur du lycée Thiers, qui était un collaborateur. Une période difficile durant laquelle, ils effectuèrent des travaux agricoles et furent aidés par André, le frère aîné de Marcel, et la mère de Renée qui les hébergea à Cluses où ils étaient connus comme « le gendre et la fille de Mme Fauconnier ».

Les rares meubles dont ils disposaient étaient entreposés dans une grange à l’auberge de jeunesse Regain de Saint-Saturnin d’Apt où Marcel Lobry fut arrêté par les gendarmes qui le conduisirent à la prison d’Avignon sans aucune explication. Huit jours après, il fut transféré à Saint-Paul d’Eyjaux, à quinze kilomètres de Limoges, dans la Haute Vienne, alors camp d’internement des politiques. En l’absence de chef d’inculpation et de jugement, Renée se rendit à Vichy en vélo où elle entreprit de démontrer que Marcel n’était pas communiste. Elle rassembla dans un dossier tous les articles écrits par son mari, notamment dans La Patrie Humaine. Cela suffit-il à prouver son appartenance au mouvement libertaire ? Quoi qu’il en soit, Marcel fut libéré aux alentours de décembre 1941.

Marcel Debelley dont le neveu épousa Hélène, la fille de Marcel et Romaine Luciani, se souvient qu’en 1942 Marcel Lobry est revenu à Gap dans le cadre d’une tournée que certains ont qualifié de "Music Hall". En effet, privé de ressources, il avait monté un spectacle qui consistait en une démonstration de calcul mental, face à un public qui lui proposait des opérations arithmétiques avec des nombres très compliqués. « Les calculettes n’existaient pas et une sorte de jury qui faisait les mêmes calculs à la main arrivait au résultat longtemps après lui. » Selon Marcel Debelley, ce spectacle était avant tout une manifestation de soutien et de sympathie, et même, pour la plupart des spectateurs, une manifestation contre le régime de Vichy. Selon Claude Lobry, son fils, ce numéro aurait constitué la première partie d’un spectacle de Francis Blanche, alors en tournée dans le sud de la France. Marcel aurait même fait enregistrer par huissier quelques-unes de ses prouesses en calcul mental.

Le 29 août 1943, naissait Claude Lobry à Sallanches près de Cluses, unique enfant du couple, Marcel eut deux autres enfants avec Romaine Luciani, Hélène née en 1950 et une garçon né en 1952. La famille de Romaine Luciani était originaire de Carpentras et ironie du sort, son père, gendarme, avait été assassiné en 1921 par trois « anarchistes » italiens.

Après la guerre, alors en poste au lycée de Chambéry, il participa activement aux débats du premier congrès national du SNES en mars 1945, au nom d’un groupe de professeurs de Chambéry. Il préconisa « l’action directe des sections syndicales », action plus efficace que l’organisation d’un congrès, et fit voter à l’unanimité un vœu pour que les « sections locales renseignent le pays sur le grave danger qu’il court à la suite de la désaffection de l’enseignement ». Il fit voter un autre vœu en faveur de la culture populaire dont le directeur était Jean Guéhenno et qui manquait de moyens financiers.

Peu après, parce qu’il râlait de ne plus rien trouver en France, surtout des lames de rasoir, il répondit à la petite annonce suivante : « Cherche professeur de mathématiques pour fonder l’école polytechnique ». La famille Lobry embarqua pour New-York où elle passa les fêtes de Noël 1945, puis passa quinze jours à Bogota pour enfin débarquer à Quito. D’autres professeurs français et leur famille se retrouvèrent à Quito, l’expérience dura moins de deux ans. Marcel Lobry en profita pour traverser la Cordillère des Andes en vélo. Renée tenta de comprendre le fonctionnement de cette société équatorienne qui ne lui convenait pas, tandis que Marcel trouva le temps de rédiger cinq manuels de mathématiques que l’on peut encore trouver aujourd’hui au catalogue des bibliothèques universitaires d’Équateur.

De retour en France, Renée réclama son indépendance et le divorce fut prononcé le 9 juin 1948. Il se remaria le 23 septembre de la même année avec Romaine Toussainte Luciani.

En 1950, Marcel Lobry était en poste à Douai où naquit sa fille Hélène. Selon Hélène et Claude, ses enfants, Marcel aurait pris après-guerre la carte du Parti communiste français. En effet, surpris mais soulagé que sa non appartenance au PCF lui ait valu d’être libéré de Saint-Paul d’Eyjaux, il en conclut que l’on craignait plus les communistes que les anarchistes. Il adhéra au PCF à Douai en 1950 avec sa femme Romaine. Il était catalogué « intellectuel », ce qui n’était pas vu d’un très bon œil au sein du PC de l’époque, et Romaine, employée de bureau, lui servait en quelque sorte de caution. Selon Claude qui vécut avec son père à Paris de 1957 à 1961, Marcel appartenait à la cellule du lycée Condorcet. « Assez curieusement, il n’était pas critique, même de 1956, et m’élevait dans la bonne orthodoxie du PCF. C’est en 1968, qu’il est retourné à ses amours anarchistes de jeunesse ». Toujours selon son fils Claude, il ne fut pas un militant communiste particulièrement actif mais il avait une véritable passion pour son métier d’enseignant où il réussissait fort bien. Plusieurs de ses élèves eurent des prix au concours général.

De 1966 à 1969, il exerça à Londres, puis fut nommé au lycée Chaptal à Paris. Trouvant la ville trop stressante, il demanda une mutation dans le sud, et s’établit à Romans (Drôme) en 1971, ville dans laquelle il termina sa carrière. Il fut abonné au périodique pacifiste et antimilitariste Le Réfractaire « l’organe libertaire pour la défense de la paix et des libertés individuelles » qui parut du 1er avril 1974 à décembre 1983. Ayant connu avant-guerre le couple Humbert, en mai 1981, il écrivit à Jeanne Humbert, originaire de Romans, pour lui proposer de venir présenter le film « Écoutez Jeanne Humbert » que Bernard Baissat venait de réaliser sur elle. Selon sa fille, toutes les semaines, il écrivait un article dans le canard local dans la rubrique « le point de vue du vieil anar ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article172653, notice LOBRY Marcel, Henri par Françoise Fontanelli, version mise en ligne le 3 juin 2015, dernière modification le 21 août 2022.

Par Françoise Fontanelli

Marcel Lobry professeur au lycée Condorcet en 1965 et ses élèves

SOURCES : AN (site de Pierrefitte-sur-Seine) Fonds Moscou 19940459/316 dossier Marcel Lobry— BDIC Nanterre, Index nominatif des requêtes individuelles, dossier n°444/4917 Catégorie défense des Libertés publiques Marcel Lobry — Amsterdam Fonds Jeanne Humbert Rigaudin, Correspondance alphabétique 1913-1983 n°682 Marcel Lobry 1980-1981.—Arch. Dép. (13) 122 W1 PV d’installation Lycée Thiers (1937-1950)— État civil—Entretien avec Hélène Lobry des 4 et 5 mars 2015. — Entretien avec Marcel Debelley de novembre 2015.— Entretien avec Claude Lobry, 2015-2017, iconographie et documentation familiale.— Bulletin du CIRA Marseille, Martial Desmoulins « Souvenirs ou la fin d’une vie ", n°19-20 du 20 mai 1983. — Dalgon Anne et Henri, Le Mazet du Raïol ou une symphonie dans la tourmente, Nîmes, Éditions Lacour, 1988. — dans René Bianco : presse anarchiste et ibid. Terre Libre — Chervel André, "Brève histoire de l’Agrégation de Mathématiques", Gazette des Mathématiciens n°59, janvier 1994. — Renée Bienvenu, Mémoires, Renée Bienvenu 1913-2012, (non publiée) manuscrit mis à disposition par Claude Lobry.— Catalogue de la Biblioteca Universidad Internacional del Ecuador — Marcel, "Chez nous et partout", Terre Libre du 8 avril 1938. Boletin bibliografico Universidad de Cuenca (Ecuador) n°8 du 24/06/1947. — Arch. IRHSES (congrès 1945).— Note d’Alain Dalançon.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable