SADRON Charles

Par Françoise Olivier-Utard, Léon Strauss

Né le 12 mai 1902 à Cluis (Indre), mort le 5 septembre 1993 à Orléans (Loiret) universitaire et chercheur en physique ; résistant, déporté au camp de Dora ; militant du CVIA (1934-1939), président de la section de Strasbourg du Mouvement de la paix de 1948 à 1953, président du Cercle Jean Macé de Strasbourg (1945-1961), militant de l’Union progressiste, président de l’Union rationaliste (1960-1968).

Charles Sadron fit ses études à l’université de Poitiers, passa l’agrégation de physique en 1926, et, après un bref passage à Troyes, obtint de 1928 à 1931 un poste de professeur au lycée Kléber de Strasbourg. Il soutint sa thèse d’État en 1932. Chargé de cours de mécanique expérimentale des fluides à Strasbourg, par le ministère de l’Air, il bénéficia, de février 1933 à juillet 1934 d’une bourse Rockefeller et se rendit à Pasadena, au laboratoire d’hydrodynamique de von Karman. De 1934 à 1937, il fut boursier de la Caisse nationale des recherches scientifiques à Strasbourg avant de devenir, le 1er novembre 1937, maître de conférences à la faculté des Sciences de l’université de Strasbourg. Il suivit l’université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand et obtint, le 1er janvier 1943, un poste de professeur sans chaire. Il soutint par la fourniture d’explosifs le « groupe franc » de Combat étudiant dirigé par Jean-Paul Cauchy. Le 25 novembre 1943 la Gestapo, dans l’intention de décapiter une université considérée comme un nid de résistance, opéra une rafle générale à l’université de Clermont-Ferrand. Tous les présents ce jour-là furent arrêtés et une centaine d’étudiants et de professeurs furent emprisonnés et déportés dans des camps de concentration. Parmi eux, Charles Sadron, arrêté, transféré à Compiègne, déporté d’abord à Buchenwald, où il passa trois semaines, puis au sinistre camp de Dora jusqu’à fin mai 1945. Il portait le triangle rouge des politiques. Il ne parla jamais de son expérience de déporté sauf dans un long témoignage publié avec celui des rescapés (De l’université aux camps de concentration, Témoignages strasbourgeois) : « A l’usine de Dora », qui est devenu l’un des documents de référence pour l’histoire de ce camp. Il y décrit comment, pendant 13 mois à partir de février 1944, il fut mis aux travaux des armes secrètes et en particulier des torpilles aériennes connues sous le nom de V2. Dans les tunnels travaillaient 6000 détenus et presque autant de civils allemands. Ce fut un combat continuel contre la mort : pantins boitillants vêtus de débris de linge de corps et de galoches de bois, abrutis de coups, malades de faim, de fatigue et de froid, obligés d’assister à des pendaisons, enfermés dans des galeries pleines de vermine, voués à la dysenterie et la tuberculose. Il révèle le soin qu’il mettait à saboter les V2, parce qu’il le pouvait, étant en bout des chaînes de contrôle et sans surveillant compétent, en faussant les stabilisateurs des fusées. Il reçut la visite du professeur von Braun qui lui proposa de venir travailler dans son laboratoire : il refusa « brutalement ». Il raconte dans un dernier chapitre la fin du camp et « les pauvres morts vaincus ».

Quand il rentra de déportation à Strasbourg, en mai 1945, toutes les perspectives de promotion étaient bouchées ; il retrouva son ancien poste de professeur de physique. Il dirigea la thèse de Paul Horn*. En 1947 le CNRS naissant lui attribua le laboratoire n° 1, qui fut dénommé Centre de recherches macromoléculaires. La spécialité qui était la sienne le portait à réfléchir aux applications pratiques des recherches scientifiques et à la liaison entre universités et entreprises. Il aurait voulu redéfinir les missions du CNRS et des universités pour faire une place à la recherche appliquée en France ; la piste qu’il ouvrait ne trouva cependant d’écho ni auprès des institutions académiques ni auprès du patronat français de sorte que son idée « d’usines de recherches » sombra dans l’indifférence. En 1954 les USA lui refusèrent un visa d’entrée pour appartenance au Mouvement de la paix. Il ne put assister à un colloque qui traitait du sujet qu’il affectionnait : les relations université/recherche. Ses collègues strasbourgeois partirent sans lui.
Le 1er décembre 1961, il fut muté au Muséum d’histoire naturelle de Paris sur une chaire de biophysique et en 1967 il demanda à être nommé à Orléans, pour y créer le Centre de biophysique moléculaire. Il prit sa retraite le 1er octobre 1975. Un important institut de l’université de Strasbourg porte son nom, ainsi qu’une rue à Châteauroux.
Son activité militante avait commencé à Strasbourg comme membre du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, dès son retour de Pasadena en 1934. Il signa la pétition universitaire de 1939 adressée au président de la République Albert Lebrun, dans laquelle les universitaires strasbourgeois avertissaient le gouvernement du danger hitlérien. De 1945 à 1948, Prosper Alfaric* s’étant installé à Paris, Charles Sadron devient président du Cercle Jean Macé de Strasbourg. Son activité se concentra sur la défense de la laïcité. Il participa à ce titre à la cérémonie du retour des cendres de Jean Macé à Beblenheim (Haut-Rhin). Le 17 février 1947 le Cercle se prononça contre la réintroduction de l’allemand à l’école primaire et d’une façon générale contre l’usage systématique de l’allemand dans la radio locale. Le 27 février 1948 l’assemblée générale des membres du Cercle regretta dans une lettre transmise par Sadron le 6 avril au comité central de la Ligue, « que pas une voix à l’Assemblée ne se soit élevée pour défendre l’introduction immédiate des lois laïques françaises en Alsace ». Elle estimait que les membres de l’amicale des parlementaires laïques n’avaient pas, en cette occurrence, accompli leur devoir. Le 27 avril 1948, il informa le secrétaire général de la Ligue de l’enseignement que l’évêché de Strasbourg avait publié dans le Journal d’Alsace et de Lorraine un communiqué recommandant aux instituteurs croyants de s’abstenir de confier aux élèves la vente des vignettes de la Ligue. Le Cercle Jean Macé (la Fédération des Œuvres laïques n’existait pas encore du fait du statut scolaire local religieux et ne fut constituée que le 23 juin 1949) se chargea d’organiser la diffusion des vignettes.

Ses options pacifistes s’étaient renforcées en camp de concentration, et il devint en 1946 membre des Combattants pour la Liberté qui devint le Mouvement de la Paix, dont il fonda la section du Bas-Rhin. Il en fut le premier président de 1948 à 1953. Le 22 février 1949 il signa avec Rémy Rontchevski* un appel des intellectuels en faveur de la paix. Il fut très actif et présent lors des meetings à Strasbourg. Par exemple, le 17 janvier 1952, une réunion du comité universitaire d’action pour la paix se tint au restaurant universitaire Gallia. Elle fut suivie le 24 janvier 1952 par la création d’un comité de patronage strasbourgeois contre le réarmement de l’Allemagne avec Rémy Rontchevski, Paul Ricœur, Jean-Pierre Cerf, Jean Mohn*, Louis Marin*, l’Abbé Pierre et Maurice Barrès fils. Compagnon de route du parti communiste, il adhéra à l’Union progressiste en 1955, en même temps que Rémy Rontchevski. En janvier 1955, les dirigeants strasbourgeois de la nouvelle UGS tentèrent en vain d’obtenir son adhésion. Cependant, en juillet 1958, il représenta l’Union progressiste (qui avait alors huit membres dans le Bas-Rhin selon les RG) lors de la constitution du comité du Bas-Rhin de l’Union des Forces démocratiques qui groupait en janvier 1959 aussi l’UGS, la PSA, le Parti radical , la Ligue des Droits de l’Homme.

Après sa nomination à Paris, il devint président de l’Union rationaliste de 1960 à 1968.

Il avait épousé Germaine Eck (née le 14 mai 1909 à Belfort, morte en 1957 à Strasbourg), militante de l’UFF, dont il eut 1 enfant. Il s’était remarié à Geneviève Aubel, chercheur en biologie.

Il obtint la Croix de guerre avec palme, la médaille de la Résistance (1946), officier d’Académie (1946), chevalier (1947), officier (1957) de la Légion d’honneur, chevalier du Mérite agricole (1959).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article172656, notice SADRON Charles par Françoise Olivier-Utard, Léon Strauss, version mise en ligne le 29 avril 2015, dernière modification le 18 novembre 2022.

Par Françoise Olivier-Utard, Léon Strauss

SOURCES : Charles Sadron : « A l’usine de Dora », in De l’université aux camps de concentration. Témoignages strasbourgeois Publications de la faculté des Lettres de Strasbourg, 1947, p. 177-231. — Archives de l’Union rationaliste. — Arch. Dép. Bas-Rhin 544 D 41a, 544 D 22, 1743 W 5, 1007 W 1539. — Léon Strauss, L’Université française de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand , in : Christian Baechler, François Igersheim, Pierre Racine (dir.), Les Reichsuniversitäten de Strasbourg et Poznan et les résistances universitaires, Strasbourg, 2005. – Nouveau dictionnaire de Biographie alsacienne, fascicule n° 32, Strasbourg, 1998, p. 3338-3339 (ne concerne que son œuvre scientifique).

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