BORDIER Roger, Robert

Par Boris Gobille

Né le 5 mars 1923 à Blois (Loir-et-Cher), mort le 24 juin 2015 à Paris (Ve arr.) ; écrivain, journaliste, critique d’art, professeur à l’École nationale supérieure des Arts décoratifs ; résistant en Sologne (1943-1944) ; membre fondateur de l’Union des Écrivains (1968) ; membre de la CGT (1945-1972) puis du SNESup (à partir de 1972) ; membre du Parti communiste (1972-1977).

Roger Bordier était issu d’une famille ouvrière et militante. Son père, Robert Bordier, était ouvrier ajusteur en usine et militant socialiste à la SFIO, tendance « Gauche révolutionnaire » animée par Marceau Pivert, et membre de la CGT. Sa mère, Valentine Jeufraux, elle aussi adhérente de la CGT, était ouvrière manutentionnaire. Roger Bordier avait un frère aîné, disparu accidentellement en 1950. Ses deux parents étant tombés au chômage, Roger Bordier arrêta ses études secondaires au lycée Augustin Thierry de Blois en primaire supérieure au niveau de la troisième, et devint manœuvre dans une usine de tonnellerie, activité interrompue par la guerre en 1939. Il consacra son temps libéré à l’étude, en autodidacte, de la littérature et de l’art, fruit d’un intérêt ancien, réactivé alors sous l’impulsion d’un avocat de Blois rencontré par un ami.

Appelé au Service du travail obligatoire (STO), il refusa de se soumettre et rejoignit la Résistance dans un maquis en Sologne, au début de l’année 1943. Il fut encouragé en cela par une connaissance de son père, un ingénieur des eaux et forêts qui avait été membre du « Deuxième Bureau », le contre-espionnage français, et était devenu lui-même résistant. Les activités maquisardes de Roger Bordier consistaient à recevoir et cacher des évadés, prisonniers étrangers ou « Malgré nous » alsaciens.

À la Libération, à la faveur de l’explosion de la presse quotidienne régionale, il entra à La République du Centre, à Orléans, comme secrétaire de rédaction. Marié le 7 décembre 1946 à une femme d’origine parisienne, Jacqueline Bouchaud, dont il n’eut pas d’enfant, Roger Bordier s’installa à Paris en 1949. Il travailla alors comme journaliste pigiste pour différentes agences de presse, fournissant la presse régionale en articles sur le cinéma, la littérature, le théâtre, les arts. Il fut aussi correspondant de La Tribune de Genève auprès de l’UNESCO. Afin de s’assurer un revenu plus régulier, il devint ensuite secrétaire de rédaction au journal Inter-Auto.

Après sa rencontre avec le peintre René Audebès, il abandonna peu à peu ces activités au milieu des années 1950 pour se consacrer à une carrière de critique d’art à Art d’aujourd’hui, revue mensuelle d’art contemporain créée en 1949, qui s’était forgée une réputation en tant que tribune de diffusion de l’abstraction, et dont il devint rapidement membre du comité de rédaction. Il écrivit alors des préfaces pour des expositions de peinture, des articles, et prononça, dans les années 1960, des conférences sur l’esthétique contemporaine et sur les relations entre l’art et la littérature, notamment à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs, où il fut ensuite nommé professeur à la rentrée 1971. Poursuivant cette carrière d’enseignant jusqu’à sa retraite, il donna des cours sur les pratiques des espaces urbains et sur l’art moderne, et publia plusieurs essais sur l’art (L’Objet contre l’art, chez Hachette en 1972, et L’art moderne et l’objet, chez Albin Michel en 1978).

Roger Bordier commença sa carrière littéraire au début des années 1950 par la publication de plusieurs recueils de poésie chez Seghers, éditeur issu de la Résistance, tout en écrivant des nouvelles pour la presse régionale. Encouragé dans sa vocation par Gaston Bachelard et Francis Ponge qui avaient apprécié sa poésie, il se tourna vers le roman et fit paraître La Cinquième Saison chez Calmann-Lévy en 1960. Consacré dès l’année suivante par le Prix Renaudot pour Les Blés, il poursuivit alors une activité régulière de romancier, tout en travaillant comme lecteur pour son éditeur Calmann-Lévy, puis pour Buchet-Chastel. Avec la parution du Tour de ville en 1969, qui remporta un large succès critique, Roger Bordier fut publié aux éditions du Seuil, puis chez Albin Michel à partir de 1976. La condition ouvrière et la vie populaire constituèrent les sujets d’un certain nombre de ses romans. Il écrivit aussi plusieurs œuvres dramatiques pour France Culture, Les Somnambules en 1962 et Les Visiteurs à la fin des années 1970. Il collabora parallèlement à la presse littéraire, en particulier les Nouvelles Littéraires et les Lettres Françaises, ainsi qu’à la revue Europe dont il est membre du comité de rédaction depuis 1962. Roger Bordier fut fait officier des Arts et des Lettres dans les années 1980.

Proche du Parti communiste français, ami de Roland Leroy* qui l’invita à écrire des articles pour l’Humanité, il n’adhéra formellement au Parti qu’à la suite de la signature du Programme commun en 1972, et le quitta après la rupture de l’Union de la gauche en 1977, peu intéressé par « les tactiques politiques partisanes ». Durant cette période, il milita à la cellule Léon Moussinac*. Il fut aussi, dès le début de sa carrière de journaliste, membre du Syndicat des journalistes CGT, puis du SNESup après sa nomination à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs.

En mai 1968, Roger Bordier participa à la création de l’Union des Écrivains, aux côtés d’écrivains de la revue Change en voie de constitution autour de Jean-Pierre Faye, et de poètes d’Action Poétique comme Henri Deluy*. Fondée le 21 mai 1968 avec l’occupation du siège de la Société des Gens de Lettres, qu’elle considérait comme « vétuste et non représentative », l’Union des Écrivains se proclamait « ouverte à tous ceux qui considèrent la littérature comme une pratique indissociable du procès révolutionnaire actuel », et se concevait comme « un centre permanent de contestation de l’ordre littéraire établi ». Elle se proposait de repenser le statut social de l’auteur et de transformer les conditions matérielles d’exercice du métier d’écrivain. Au sein de la « Commission professionnelle » dont il fut l’un des principaux animateurs, Roger Bordier mena pendant plusieurs années un intense combat pour la reconnaissance de l’unicité du métier d’auteur. Aux côtés d’autres membres de l’Union des Écrivains, parmi lesquels Bernard Pingaud, Jean-Pierre Faye, Henri Deluy, Catherine Claude, Eugène Guillevic*, Roger Bordier multiplia les interventions dans la presse et auprès des pouvoirs publics afin d’alerter sur les incohérences d’un statut alors éclaté qui obligeait les écrivains à cotiser à plusieurs caisses d’assurance sociale en fonction des différents supports de l’œuvre (livre, écriture dramatique, radiophonique, télévisuelle), le plus souvent à fonds perdus.

S’inspirant des propositions faites par Jean Zay, ministre de l’Éducation Nationale et de la Culture sous le Front Populaire en 1936, il milita pour un statut de l’écrivain qui le définisse comme travailleur en supprimant le cloisonnement entre ses diverses activités, et ce contre la définition de l’écrivain comme propriétaire, sans rapport selon lui avec l’exploitation réelle dont il était l’objet, et contre la vision romantique de l’auteur au-dessus des contingences économiques. En 1969, il fut intégré, avec Bernard Pingaud, aux travaux de la « commission culturelle du VIe Plan », qui donna lieu à un « rapport du Groupe Lettres » reprenant nombre des propositions de l’Union des Écrivains. Ces activités syndicales en firent, à l’automne 1973, le représentant officiel de l’Union des Écrivains au sein du « Conseil supérieur des Lettres », organisme du Centre national des Lettres, dont il devint quelques mois plus tard membre du Comité de direction, et ce pendant une quinzaine d’années. Voulu et initié par l’Union des Écrivains et Roger Bordier, un Comité de Liaison des Associations d’Écrivains (CLAE) vit le jour en 1972, regroupant plusieurs sociétés et syndicats d’auteurs, de traducteurs et de critiques, dans le but de faire reconnaître le principe de l’unicité fiscale du métier d’écrivain. De fait, le Parlement vota une loi instituant, au 1er janvier 1977, un nouvel organisme, l’Association pour la Gestion de la Sécurité Sociale des Auteurs (AGESSA), reconnaissant ce principe quels que soient l’activité et le support de création. La création en 1975 du Syndicat des écrivains de langue française (SELF), qui se proposait d’organiser professionnellement les écrivains afin de rompre leur atomisation et de leur permettre de peser collectivement face aux éditeurs et aux pouvoirs publics, s’inscrivit dans la continuité de ce renouveau d’un syndicalisme d’auteur dans l’après-68, impulsé par l’Union des Écrivains et dont Roger Bordier a été l’un des militants les plus actifs.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article17284, notice BORDIER Roger, Robert par Boris Gobille, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 12 octobre 2021.

Par Boris Gobille

ŒUVRE : Les Exigences, Paris, Seghers, 1951 — Les Épicentres, Paris, Seghers, 1955 — La Cinquième Saison, Paris, Calmann-Lévy, 1960 — Les Blés, Paris, Calmann-Lévy, 1961, prix Renaudot — Le Mime, Paris, Calmann-Lévy, 1963 — L’Entracte, Paris, Calmann-Lévy, 1965 — Un âge d’or, Paris, Calmann-Lévy, 1967 — Le Tour de ville, Paris, Seuil, 1969 — Les Éventails, Paris, Seuil, 1971 — L’Objet contre l’art, Paris, Hachette, 1972 — L’Océan, Paris, Seuil, 1974 — Meeting, Paris, Albin Michel, 1976 — Demain l’été, Paris, Albin Michel, 1977 — L’Art moderne et l’objet, Paris, Albin Michel, 1978 — La Grande Vie, Paris, Albin Michel, 1981 — Les Temps heureux, Paris, Albin Michel, 1984 — La Belle de mai, Paris, Albin Michel, 1987 — Vel d’Hiv, Paris, Albin Michel, 1989 — Chroniques de la cité joyeuse, Paris, Albin Michel, 1991 — Le Zouave du Pont de l’Alma, Paris, Albin Michel, 2001.

SOURCES : Archives de l’Union des Écrivains. — Entretiens avec Roger Bordier, 3 octobre 2000 et 23 janvier 2006. — Roger Bordier, « L’écrivain au ban de la société », Le Monde, 12 février 1969. — « Entretien avec l’Union des Écrivains » (Roger Bordier, Jean-Pierre Faye, Bernard Pingaud, Philippe Boyer, Eugène Guillevic), La Nouvelle Critique, juin 1969. — Roger Bordier, « L’écrivain et la société », La Nouvelle Critique, avril 1971. — Roger Bordier, « Les écrivains et les artistes vont enfin avoir un véritable statut », entretien accordé à Claude Bonnefoy, Le Quotidien de Paris, 4 juin 1975.

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