SANTROT Jacques, Bernard

Par Alain Dalançon

Né le 8 juillet 1938 à Limoges (Haute-Vienne) ; professeur, maître-assistant de mécanique à l’ENSMA de Poitiers ; militant syndicaliste étudiant de l’UNEF et de la MNEF, puis du SNESup ; militant socialiste, premier secrétaire de la Fédération de la Vienne, conseiller général (1973-1988), conseiller régional (1978-1988, 2004-2010), député de la Vienne (1978-1993), maire de Poitiers (1977-2008).

Jacques Santrot en 1977
Jacques Santrot en 1977

Ses parents étaient instituteurs dans le Limousin, à Javerdat, au pied des monts de Blond. Son père, pupille de la Nation en raison de la disparition de son grand-père au cours des combats meurtriers de la fin août 1914 dans le Pas-de-Calais, militait au Syndicat national des instituteurs dont il devint membre du conseil syndical aux côtés d’Henri Aigueperse, Charles Martial, Michel Bouchareissas ; il fut même sollicité pour prendre le secrétariat général de la section. Lecteur du Populaire du Centre, il avait des opinions socialistes affirmées mais ne voulut jamais adhérer au parti socialiste SFIO. Du côté de sa mère, son grand-père avait participé à la création de la SFIO en Haute-Vienne ; il était revenu de la Guerre 1914-1918, mais « gazé » et en mourut en 1928. Le souvenir du Premier conflit mondial affecta donc particulièrement sa famille, comme l’Occupation de 1940 à 1944.

À six ans, Jacques Santrot fut marqué par le massacre en juin 1944 d’Oradour-sur-Glane qui jouxtait son village. Son père fut l’un des premiers à entrer à Oradour le lendemain ; son oncle et un cousin germain étaient parmi les victimes. C’est dans le souvenir de cette tragédie et celui de la Résistance en terre limousine qu’il grandit, avec sa sœur, suivant une éducation laïque. Mais ses parents les firent baptiser et les envoyèrent au catéchisme.

Son père lisait en classe Jacquou le croquant, un héros qu’il n’oublia jamais. Après l’école communale à Javerdat, Jacques Santrot fit ses études secondaires au collège de Saint-Junien, de la 6e à la 1ère, puis effectua sa terminale au lycée Gay-Lussac à Limoges, où il obtint le baccalauréat (mathématiques élémentaires) en 1957. Après quelques mois en classe de mathématiques supérieures au lycée Gay-Lussac, il obtint le certificat de propédeutique MPC au collège scientifique d’Arsonval qui venait d’être créé à Limoges, puis passa sa licence de Physique à la Faculté des Sciences de Poitiers.

Il militait à l’Assemblée générale des étudiants de Poitiers affiliée à l’UNEF, sans s’impliquer dans les débats de tendances qui affectaient l’organisation étudiante, et préféra s’investir dans un militantisme concret en devenant président de la section de la MNEF (Mutuelle nationale des étudiants de France). Il fut aussi grand maître de l’ « Ordre du vénéré Bitard », cherchant à faire cohabiter une saine conception d’une tradition frondeuse du folklore estudiantin poitevin avec le « syndicalisme étudiant ». Très sportif, il joua dans l’équipe première de volley-ball du PEC (Poitiers étudiants club) de 1960 à 1963 et obtint le diplôme d’entraîneur de 2e degré.

Après sa licence, il commença à travailler en 1963 comme assistant de mécanique à l’ENSMA (École nationale supérieure de mécanique et d’aérotechnique) de Poitiers auprès de Raymond Jacquesson, et obtint un doctorat de 3e cycle en 1965, préparé avec le professeur de Fouquet. Il venait d’épouser Claude Rabier, étudiante en histoire-géographie, fille d’instituteurs, le 9 juillet 1964 à Poitiers (à l’église) avec laquelle il eut une fille, Géraldine, devenue professeur agrégée de Philosophie.

Il effectua son service militaire du 2 septembre 1965 au 19 décembre 1966 (au 57e Régiment d’infanterie au camp de Souge (Gironde) puis au bureau de recrutement de Poitiers), qu’il termina comme soldat de 1ère classe. À son retour, il occupa un poste de maître-assistant jusqu’en 1978, participa au mouvement de mai 1968 et milita au Syndicat national de l’enseignement supérieur, se reconnaissant dans la nouvelle majorité « Action syndicale ». Il fut membre de la commission administrative nationale de 1971 à 1973, et siégea au CNESR (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche), avec Daniel Monteux, secrétaire général du SNESup.

Jacques Santrot adhéra en 1967, avec ses amis Raoul Cartraud et Sarrazin, à la Convention des institutions républicaines (CIR), dont Jean Sarvonat, ancien président de l’UNEF, ami de Charles Hernu, était le responsable départemental. Il adhéra au nouveau Parti socialiste au congrès d’Epinay en 1971, partisan de la motion de François Mitterrand. Il devint immédiatement responsable du secrétariat collégial de la section de Poitiers (1971-1973), bousculant les anciens de la SFIO, en étant un ferme partisan de l’union de la gauche et du Programme commun de gouvernement. Jean Sarvonat n’ayant pas souhaité se représenter aux élections législatives en mars 1973 dans la 1re circonscription de la Vienne à Poitiers, il fut choisi pour être candidat du PS, réussissant à mettre le député-maire UDR Pierre Vertadier en ballotage. Il fut élu conseiller général du 2e canton de Poitiers en septembre de la même année dans une triangulaire au second tour, ce qui lui permit de s’affirmer dans le PS comme premier secrétaire fédéral. Il fut reconduit dans cette fonction après le congrès de Pau (1975) et en 1977.

Aux élections municipales de 1977 à Poitiers, il se présenta comme tête de la liste d’union de la gauche (PS-PCF-MRG-PSU), contre la liste RPR-RI-CDS conduite par Jacques Grandon secondé par Jean-Yves Chamard, maire-adjoint sortant, qui s’efforçaient de prendre la succession du gaulliste Pierre Vertadier. La liste d’union l’emporta de justesse au second tour ; Jacques Santrot fut donc élu à 39 ans maire de Poitiers, appartenant à la génération de jeunes maires socialistes du grand Ouest remportant des mairies longtemps démocrates-chrétiennes ou du centre-droit (Nantes, Rennes, La Roche-sur-Yon, Angoulême...). Il devait rester sans interruption, durant plus de 30 ans, maire de la cité pictave, toujours élu à la tête de listes d’union de la gauche suivant de nouveaux équilibres, comportant toujours des communistes et intégrant ensuite des écologistes. Il était en même temps président du district puis de la Communauté d’agglomération de Poitiers (CAP) à partir de 1999.

Dans la foulée, Jacques Santrot fut élu député de la 1re circonscription de la Vienne en 1978 contre un candidat RPR parachuté de Paris, André Fanton, éliminé au 1er tour, puis face à Jean-Pierre Raffarin au second tour. Il siégea à l’Assemblé nationale dans la Commission des affaires culturelles familiales et sociales durant tous ses mandats, correspondant à ses principaux sujets de préoccupation. Il fut en effet réélu en 1981 après l’élection de François Mitterrand à la présidence de le République, qui resta pour lui l’événement politique et le souvenir le plus important. En 1988, malgré le redécoupage des circonscriptions opéré par Charles Pasqua, scindant la circonscription de Poitiers en deux, il fut à nouveau réélu, tandis que Jean-Yves Chamard était élu dans la seconde face à Alain Claeys, son directeur de cabinet à la mairie et conseiller général. Il ne résista cependant pas à la vague UDF-RPR qui submergea le département et la France en 1993 et fut battu par Éric Duboc. Il ne brigua plus ensuite un nouveau mandat de député, soutenant Alain Claeys, Philippe Decaudin puis Catherine Coutelle qui reprirent les deux sièges perdus des 1re et 2e circonscriptions de Poitiers.

Il fut aussi conseiller régional du Poitou-Charentes de 1978 à 1988, assura l’intérim à la présidence du docteur Michel Boucher après son décès en 1982, avant que Raoul Cartraud ne devienne président de 1982 à 1988. Il ajouta à cette responsabilité celle de premier président de l’Association des maires de capitales régionales de la région et de vice-président de l’Association des maires et adjoints de la Vienne. En 2004, il fut élu conseiller régional sur la liste de Ségolène Royal et le demeura jusqu’en 2010, chargé de l’importante commission des infrastructures. Il siégea aussi au Conseil général de la Vienne de 1973 à 1988, mais toujours dans l’opposition à la majorité du président René Monory.

Une telle longévité en politique interpellait les commentateurs dont certains évoquèrent un « système Santrot ». Il conduisit sa municipalité avec une équipe de militants fidèles, en particulier Maurice Monange, son premier adjoint chargé des finances, et Alain Claeys son directeur de cabinet, devenu député, qui lui succéda comme maire en 2008. L’entente résista, non sans débats entre les différentes composantes politiques de la gauche des équipes qu’il dirigea, notamment les écologistes qui sortirent de la majorité en 1989 durant plusieurs années, après avoir obtenu 13% des suffrages. Il bénéficia aussi d’un tissu associatif dense. Il mit en œuvre une politique cherchant à venir en aide aux catégories sociales défavorisées, tout en assurant le développement de la ville, afin de lui maintenir son statut de capitale régionale et de ville universitaire avec ses quelques 30 000 étudiants. Il estimait avoir contribué à empêcher le Front national de s’implanter à Poitiers. Sous ses mandats, la cité se transforma, aussi bien dans le centre-ville que dans ses quartiers périphériques nouveaux. L’espace Mendès France (centre de culture scientifique et technique), la médiathèque François Mitterrand, le nouveau théâtre comptaient parmi les réalisations dont il était fier. Il se préoccupa également de relations internationales à travers des jumelages avec des villes européennes (en particulier Marburg [Allemagne], Coïmbra [Portugal], Northampton [Angleterre]), mais aussi avec une ville du Tchad, Mondou, afin de la doter d’un réseau d’eau. Dans les années 1970, sa municipalité apporta un soutien très concret aux réfugiés chiliens victimes du régime de Pinochet. Tout en étant fermement attaché à la laïcité, il accorda en 2003 le permis de construire d’une nouvelle mosquée.

Dans les débats internes au PS, il resta toujours attaché avant tout à l’unité du parti et soutint toujours les motions de la majorité mitterrandienne, notamment au congrès de Metz en 1979. Il ne partageait pas les analyses de Michel Rocard, trop marqué à son goût par une certaine forme d’anticommunisme et ses tentations centristes. S’il apprécia certaines positions du CERES de Jean-Pierre Chevènement et Pierre Guidoni dans le domaine économique, et surtout dans le domaine de la Défense, il rencontra quelques difficultés dans sa fédération avec des militants du CERES. En 1990, il vota pour la motion 5 présentée par Laurent Fabius, au congrès de Rennes qui fut un « drame » pour lui comme pour beaucoup de ses camarades. Il n’en conserva pas moins de bonnes relations avec Lionel Jospin.

Jacques Santrot était connu pour son franc-parler. Sa franchise lui ferma sans doute des portes à Paris – et peut-être un poste ministériel – après la réélection de François Mitterrand en 1988, car selon son propre témoignage, il avait dit à Mitterrand et Pierre Bérégovoy « qu’ils avaient tort de trop écouter Yvon Gattaz (président du CNPF) sur la réforme de la fiscalité locale ». Il lui arriva aussi d’avoir des échanges « musclés » avec Ségolène Royal. Dans la course des présidentiables au sein du PS, en 2006, il ne cacha pas sa préférence pour Laurent Fabius et s’était prononcé comme lui contre le traité européen au référendum de 2005. Sa ville soutint financièrement la tenue de l’université d’ATTAC cette année-là.

Ses adversaires politiques le respectaient, Monory, Raffarin, Chamard, ces deux derniers l’accusant cependant d’être resté un « socialiste marxiste ». Il se définissait avant tout comme un républicain fidèle aux valeurs de la Révolution française : « Une France qui applique les principes de liberté, d’égalité et de fraternité » ; ses modèles étaient Blum, Mendès France et Jaurès, dont il avait retenu la philosophie politique : « Aller à l’idéal et comprendre le réel ».

Veuf en 1982, il s’était remarié en 1983 avec Marie-Pierre Fouliard, avec laquelle il eut trois autres enfants, et dont il divorça en 2002 ; depuis, il vivait avec Isabelle Aubugeau.

Jacques Santrot se retira complètement de la vie politique en 2010. Ce qui ne l’empêchait pas de donner son point de vue sur divers sujets ; il fut partisan de limiter les primaires pour la candidature à l’élection présidentielle de 2012 aux seuls adhérents du PS, estimant qu’il fallait d’abord faire l’unité à l’intérieur du parti ; il défendit en 2014 le regroupement des régions Poitou-Charentes, Centre et Limousin.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article172869, notice SANTROT Jacques, Bernard par Alain Dalançon, version mise en ligne le 8 mai 2015, dernière modification le 7 avril 2022.

Par Alain Dalançon

Jacques Santrot en 1977
Jacques Santrot en 1977
Avec Edmond Hervé en 1977
Avec Edmond Hervé en 1977
Jacques Santrot années 2000
Jacques Santrot années 2000

SOURCES : Arch. Fondation Jean Jaurès. — Arch. Fédération de la Vienne du PS. — Arch. IRHSES (Bulletins du SNESup). — Articles de La Nouvelle République du centre-ouest ; « Jacques au scanner », L’Express, 21/06/2004 ; Les Echos, 11/10/2006. — Interviews filmées : Post archives du 2/04/2010 ; FR3 du 15/02/2015. — Frédéric Fogacci, « Entretien avec Jacques Santrot », Histoire@Politique, n°25, janvier-avril 2015, www.histoire-politique.fr. — Manuel Segura « Le folklore estudiantin poitevin : l’exemple de l’Ordre du Bitard (loué soit-t’il !) du début des années 1920 à la fin des années 1980 », mémoire de DEA, Poitiers, 1998. — Renseignements et témoignage écrits fournis par l’intéressé à l’auteur. — Notes de Gilles Morin.

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