ROGÉ François, Louis, Marie

Par Annie Kuhnmunch

Né le 11 octobre 1935 à Verdun (Meuse) ; technicien de laboratoire de recherche ; secrétaire du syndicat des travailleurs des industries chimiques de la région parisienne CFTC puis CFDT (1963-1970) ; membre du Bureau fédéral (1964-1970) puis secrétaire fédéral de la Fédération des industries chimiques (1970-1972) ; secrétaire confédéral administrateur général (1972-1975) ; adjoint au trésorier confédéral (1975-1978) puis trésorier adjoint (1978-1995) ; chargé de la gestion du patrimoine de la Confédération (1995-2001) ; président des éditions DSA (1995-1998) ; secrétaire du Conseil d’administration de Vigéo (2002-2013).

François Rogé
François Rogé

Sixième d’une famille de huit enfants, François Rogé naquit à Verdun (Meuse) où son père Edmond Rogé avait été installé comme commerçant armurier par son beau-père. Son grand-père paternel, Julien Rogé, ouvrier à l’arsenal de Verdun était marié à Marguerite Henriot, fille d’agriculteur. Sa mère, Marie-Louise Cart, était originaire de Mouthe (Doubs), ville dont son père, Joseph Cart, négociant en vin, fut maire. Cette famille, catholique pratiquante, plus le militantisme de son père, visiteur de prison, membre du conseil d’administration de la Caisse d’allocations familiales, firent que François Rogé s’impliqua dans le scoutisme et qu’arrivé dans la vie active, il s’intéressa assez rapidement à l’action syndicale.

Après des études primaires à Verdun puis secondaires dans un collège privé de Châlons-sur-Marne (aujourd’hui Châlons-en-Champagne, Marne), il commença des études de sciences à l’Université de Nancy (Meurthe-et-Moselle). Mais, par manque d’intérêt, il arrêta ces études et devint, durant une année, instituteur à l’école des Frères de Verdun. Il reprit ensuite une formation dans une école de technicien chimiste ce qui lui permit d’obtenir, au bout d’un an, un diplôme.

Une carrière dans la chimie s’ouvrit donc devant lui. Il fut embauché en août 1960 par l’entreprise L’Oréal et y resta jusqu’en novembre 1963, d’abord à La Courneuve (Seine, Seine-Saint-Denis), puis à Aulnay-sous-Bois (Seine-et-Oise, Seine-Saint-Denis) comme technicien dans le laboratoire de recherche tout en suivant, en parallèle, des cours du soir au Conservatoire des Arts et Métiers. Le syndicalisme, en particulier dans le monde des techniciens, n’était pas développé chez L’Oréal, entreprise paternaliste où les conditions de travail étaient satisfaisantes : la semaine de travail était de 40 heures, les chaînes s’arrêtaient le vendredi midi pour permettre aux femmes d’être en famille les samedis et dimanches, les augmentations étaient plus importantes pour les bas salaires. Même si la CGT y était majoritaire, la CFTC faisait preuve d’un grand dynamisme et se développa notamment chez les techniciens. C’est d’ailleurs probablement une rencontre avec le délégué CFTC puis avec Pierre Barriol*, secrétaire général du STIC (Syndicat des travailleurs des industries chimiques de la région parisienne), qui fit qu’un an après son arrivée dans l’entreprise, François Rogé se retrouva candidat, sans succès, aux élections.

Dès lors, il n’allait plus se départir de son engagement à la CFTC puis à la CFDT. Délégué syndical, au début de l’année 1961, il intégra la commission « Techniciens » du STIC, en compagnie de Claude Mennecier. Il suivit, à la fin de la même année, une session de formation au centre de formation de Bierville à Boissy-la-Rivière (Seine-et-Oise, Essonne), animée par Edmond Maire, alors secrétaire général de la Fédération CFTC de la Chimie et Aimée Jeantet, secrétaire de la même fédération, chargée de la formation syndicale avant d’en devenir la trésorière. Cette formation fut complétée, avant son départ de l’entreprise L’Oréal, par la participation à la première session organisée à l’Institut des sciences sociales du travail (ISST) de Sceaux. Cette session de dix semaines, animée par Marcel David, fondateur de cet institution, lui permit d’approfondir ses connaissances sur les travailleurs et leur histoire, mais aussi en matière de droit ou d’économie et se clôtura par la rédaction d’un mémoire sur la politique salariale aux Pays-Bas.

Sa présence régulière dans les locaux du syndicat fit que, lors du départ en Algérie de Pierre Barriol, Edmond Maire lui demanda de devenir secrétaire général du STIC, ce qu’il devint en 1963. Le STIC, syndicat dont les statuts avaient été déposés en 1913, était, avant la fusion effectuée par Edmond Maire, une composante de l’Union parisienne des industries chimiques (UPIC) ; il comptabilisait alors 20 000 timbres, chiffre qui passa à 45 000 en 1970, progression un peu plus forte que la progression nationale. François Rogé, à son arrivée opéra une restructuration avec l’instauration d’un congrès de syndicats, formé des sections votant par mandats, qui procédait à l’élection du conseil et d’une commission exécutive. 1964, avec l’évolution de la CFTC en CFDT, fut pratiquement un non-évènement dans la chimie parisienne CFTC qui, après des débats, l’avait entérinée dès 1963 ; elle était en effet plus préoccupée par la stratégie à adopter et notamment par l’idée naissante d’autogestion. François Rogé fut rejoint en 1964 par un second permanent, Émile Levère. Dans le domaine de l’action intersyndicale, le STIC adopta alors une position assez critique vis-à-vis de l’unité d’action avec la CGT prônée par la confédération et n’eut pas de relations avec FO. En interne, non seulement le STIC mit l’accent sur la connaissance de chaque adhérent, mais il instaura aussi une assistance technique aux nouvelles sections et aux sections en difficulté. Quant aux relations entre le STIC et les autres instances de la CFDT, elles différaient selon les instances : elles ne furent pas très bonnes avec l’Union régionale parisienne (URP) ; le désaccord porta notamment sur la mise en place par l’URP des unions départementales à laquelle la chimie parisienne était opposée, compte tenu de la différence géographique entre le lieu de travail et le lieu d’habitation en région parisienne ; ceci n’empêchait cependant pas les réunions de travail avec quelques-uns des membres de l’équipe dirigeante de l’URP-CFDT tels Guy Gouyet ou Roland Schleicher. Par contre, les bonnes relations entretenues avec Edmond Maire, secrétaire général de la Fédération des industries chimiques (FIC) firent que le STIC partagea en général les idées portées par la Fédération. Ainsi, dans le cadre de la préparation du conseil extraordinaire consacré à la stratégie de la fédération, ce fut au STIC que fut confiée la rédaction du chapitre du rapport sur l’autogestion. C’est en étroite collaboration avec Edmond Maire et Marcel Gonin que François Rogé rédigea ce texte. Il participa, en 1964, à un voyage dans la Yougoslavie autogestionnaire, coorganisé par le STIC et l’Union parisienne des syndicats de la métallurgie (UPSM). Ce sont aussi ces bonnes relations qui firent qu’Edmond Maire lui demanda dès 1965 d’intégrer l’équipe dirigeante de la Fédération mais, compte tenu de la réorganisation en cours du syndicat, cette proposition ne fut pas suivie d’effet. Par contre, François Rogé, également membre du Bureau national de la Fédération, s’impliqua davantage dans la politique de formation syndicale assurée par la Fédération et initiée par Jean-Marie Kieken et Aimée Jeantet, notamment par le suivi de sessions de formation de formateurs, utilisant la méthode de dynamique de groupe.

C’est durant cette période qu’il épousa, le 21 mai 1966, Gabrielle, Charlotte Gathier, née le 3 janvier 1934, qui, au chômage à la suite du déménagement de son entreprise de peinture, milita à l’Union locale CFDT des Lilas. Guy Gouyet lui proposa de venir assurer le secrétariat du syndicat du bâtiment. C’est en venant payer ses cotisations au STIC qu’elle fit la connaissance de François Rogé. Par la suite, devenue secrétaire à l’Union départementale, elle participa à la création du Syndicat des mouvements et associations (SMA) dont elle fut la trésorière. De ce mariage, naquit, le 21 mai 1967, une fille, Valérie.

Quand vint Mai 68, François Rogé sortant d’une session de formation de dix jours, fut plus un observateur qu’un acteur du mouvement, ne croyant pas à sa portée politique, contrairement à Émile Levère, plus enthousiaste. Étant de permanence la nuit où les CRS ont pris les dépôts de pétrole, il calma le jeu, évitant que l’on y mette le feu. Par contre, le STIC apporta son appui au rassemblement de Charlety (27 mai).

François Rogé arriva à la FIC en 1970 à l’issue du congrès fédéral de Saint-Auban en même temps que Jacques Moreau successeur d’Edmond Maire comme secrétaire général. Les autres membres du secrétariat fédéral étaient Charles Tissier, président, Claude Mennecier, trésorier, Georges Curie et Noël Mandray. Il eut la responsabilité du suivi de la branche pétrole, de l’organisation et surtout de la formation à laquelle il consacra l’essentiel de son temps. Il mit alors en place de nouvelles sessions associant méthodologie, telle la conduite de réunion, histoire du mouvement ouvrier et élaboration d’axes revendicatifs comme temps de travail, salaires, etc. Concernant l’organisation, il s’agissait de faire vivre les structures issues du changement de statuts adoptés au congrès de 1970 mais aussi d’assister aux tentatives de rapprochement entre la Fédération Chimie de FO emmenée par Maurice Labi qui allait aboutir à la création de la Fédération unifiée de la Chimie (FUC) fin 1972. Toutefois, ce passage par la fédération ne fut que de courte durée puisque dès février 1972, Edmond Maire lui demanda s’il voulait le rejoindre à la confédération.

Edmond Maire lui confia, à la suite du conflit social qui avait opposé le personnel administratif confédéral à la commission exécutive, le nouveau poste d’administrateur général. Il l’occupa d’abord à mi-temps de mai à septembre 1972, l’autre mi-temps étant consacré à la Fédération. En effet, ce conflit, manifestation de l’absence de politique du personnel, fit qu’Edmond Maire ressentit la nécessité de créer une fonction pour la gestion du personnel. Il demanda à François Rogé de préciser le contenu de cette fonction. Ce dernier proposa que, rattachée à la commission exécutive, cette fonction englobe la gestion du personnel mais aussi l’atelier de tirage, la documentation et l’informatique. Il fallut s’atteler au statut du personnel par l’établissement de textes normalisant les relations avec le personnel confédéral, ce qui donna lieu à la rédaction et à la signature, à l’issue de négociations, de plusieurs conventions : convention générale, convention 1 % logement, convention relative aux retraites et à la prévoyance, aux classifications, à la formation. Il fallut également définir la place des permanents. C’est alors que la notion d’employeurs collectifs vit le jour, la gestion étant assurée par un collectif politique, représenté par un organe dénommé GG 26 (la confédération était alors 26 rue de Montholon) composé de membres de la commission exécutive et de permanents, à raison d’un représentant par service confédéral, associé au travail de l’administration générale. Ce GG 26 participa ainsi aux négociations qui précédèrent la signature des conventions mais aussi à la préparation du déménagement de la confédération de Montholon à Cadet.

Lorsqu’en 1975, un renforcement du secteur financier s’avéra nécessaire, Edmond Maire demanda à François Rogé si le poste d’adjoint au trésorier, poste occupé depuis 1972 par Pierre Hureau, l’intéressait. François accepta cette proposition, laissant le poste d’administrateur général à Victor Camier. En 1978, il devint trésorier adjoint, Pierre Hureau, demeurant trésorier et responsable de l’information. Il resta à ce poste jusqu’en 1995. Ces deux décennies lui permirent de mener à bien de nombreux chantiers tant dans le domaine des finances que dans celui de l’immobilier confédéral.

Un premier chantier consista à moderniser la gestion financière des syndicats. Le service central de perception et de ventilation des cotisations existant depuis 1949, ce fut tout d’abord la mise en place du prélèvement automatique des cotisations (PAC) créé en 1981, puis la diminution de la durée de l’exercice qui passa progressivement de trente à quinze mois, enfin la mise en place du logiciel GESSY permettant la gestion informatisée des cotisations.

Une fois que le PAC fut adopté par 80 % des cotisants et que Gessy fit preuve de son bon fonctionnement, le second chantier put se mettre en route : l’élaboration d’une nouvelle charte financière, complétée par la mise en place d’un organisme de contrôle, la commission de suivi et de contrôle, élue par le congrès et doublée par une charte informatique, garante de déontologie sur le plan informatique. Cette charte sera adoptée par le congrès confédéral de 1995 et mise en application en 1998.

Le troisième chantier de François Rogé consista à rénover le système administratif comptable en séparant les activités selon leur statut fiscal en trois GIE (groupements d’intérêt économique) et en dotant la confédération d’un logiciel de comptabilité, ce qui supposa un plan de formation du personnel du service comptabilité.

Enfin, le quatrième chantier fut celui de l’immobilier. En effet, cette période vit la réalisation de plusieurs opérations immobilières : le déménagement des services confédéraux dans un immeuble situé rue Cadet, siège de la confédération de 1977 à 1984, construit par l’architecte Bernard Casnin, puis à Belleville (4, boulevard de la Villette). Pour cet immeuble, inauguré en 1984, le projet, en écho au travail mené sur les fonctions de l’immeuble qui mit l’accent sur les moyens de favoriser les contacts entre les services, se traduisant par l’existence d’escaliers et le maintien d’une distinction entre circulation publique et privée, fut confié à l’architecte Denis Sloan. Il avait été convenu que, dès que l’immeuble de Belleville serait terminé, le rapprochement des fédérations serait envisagé. Le choix se porta sur un immeuble situé 47-49 avenue Simon Bolivar, mais il fallut négocier avec la Ville de Paris pour obtenir d’y faire davantage de bureaux. Une fois cette autorisation obtenue, François Rogé mit en place une commission composée de représentants des différentes fédérations qui élabora le cahier des charges envoyé à différents cabinets d’architectes. Parmi les six cabinets ayant répondu à l’appel d’offre, le cabinet Valode et Pistre fut retenu avec l’apport du bureau Ecart créé par Andrée Putman pour la décoration intérieure du bâtiment achevé en 1991. Entre-temps, il mena une autre opération immobilière, celle de la rénovation du centre de formation de Bierville, acquis par la CFTC à la succession de Marc Sangnier. Il s’agissait de réaliser des « maisons » comprenant à la fois logement et espaces de travail, les parties « restauration » et « Détente » étant concentrées à un seul endroit ; mais ce programme dut être revu à la baisse du fait d’une mauvaise conduite du projet et de l’opposition des habitants du village craignant de voir la vallée défigurée. François Rogé fut l’âme de cet ensemble de constructions entreprises en l’espace d’une quinzaine d’années. 

En 1984, François Rogé, participa avec Jean-Claude Hug et Christophe Panis, à la création de l’Association « Espace Belleville » dont l’objectif était de rapprocher culture et monde du travail et donner à voir l’art d’aujourd’hui. La création de cette association avait été précédée dès 1976, avec le soutien d’Edmond Maire, par la tenue régulière d’expositions dans les locaux de la CFDT et par des initiatives culturelles prises lors des congrès confédéraux dont l’organisation incomba du trente-sixième au trente-huitième (1973-1979) à François Rogé. C’est à l’occasion de ces expositions ou de ces évènements culturels que de nombreuses œuvres d’art furent acquises par la CFDT, telles celles d’Étienne-Martin, de Soto, de Balmes, d’Hug, pour ne citer que quelques artistes. Cette association publia également plusieurs catalogues accompagnant les expositions et des ouvrages tels Ils ont semé nos libertés, en 1984, sur le centenaire du syndicalisme en France ou Libertés liberté à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française, en 1989 ou La CFDT à la rencontre des arts pour l’inauguration du siège abritant les fédérations à Bolivar en 1990, ouvrage dont François Rogé assura la coordination.

En 1995, arrivé à l’âge de la retraite, ce fut Yves Legrain qui assura à sa suite les fonctions de trésorier adjoint. On lui confia cependant, pour une durée de trois ans, la mission de gérer le patrimoine tant immobilier que financier, il fut en effet à l’origine de la politique de constitution de réserves permettant d’assurer à la confédération une autonomie financière. À cette mission, s’ajouta la présidence des éditions DSA (La Découverte, Syros et L’Atelier qui avaient fusionné) d’abord puis La Découverte et Syros. Il fut reconduit, en 1998, pour trois ans dans sa mission de « gestion du patrimoine ».

Lorsque Nicole Notat quitta ses fonctions de secrétaire générale de la CFDT en 2002 et créa la société Vigéo, agence de notation sociale et environnementale des entreprises, elle fit appel à François Rogé pour l’assister dans cette période de lancement et assurer la mise en place de la logistique de cette nouvelle société. Il allait rester membre du comité financier, responsable des relations avec l’actionnariat et secrétaire du conseil d’administration jusqu’en 2013.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article173182, notice ROGÉ François, Louis, Marie par Annie Kuhnmunch, version mise en ligne le 23 mai 2015, dernière modification le 25 avril 2016.

Par Annie Kuhnmunch

François Rogé
François Rogé

SOURCES :Archives confédérales : dossier personnel et notes au Bureau National. — Guy Brucy, Histoire de la Fédération de la chimie CFDT de 1938 à nos jours, Paris, La découverte et Syros, 1997. — Espace Belleville, La CFDT à la rencontre des arts, 1991. — Entretien réalisé par Louisette Battais et Guy Brucy les 29 mai et 3 juin 1996. — Renseignements communiqués par François Rogé en mai 2015.

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