Par Jacques Girault
Né le 9 décembre 1926 à Chambéry (Savoie), mort le 23 mars 2020 à Clamart (Hauts-de-Seine) ; professeur ; philosophe ; militant communiste dans les Bouches-du-Rhône puis à Paris ; membre du comité central du PCF ; directeur des Éditions sociales ; initiateur du mouvement de refondation communiste.
Son père, André Sève et sa mère Adrienne Sève géraient une petite maison d’édition d’esprit laïque, spécialisée dans l’édition d’ouvrages pour l’école primaire, dont les “Documents EDSCO“, recueils s’adressant à tous les niveaux d’enseignement. D’abord sympathisants, ils adhérent au Parti communiste français en 1954.
Lucien Sève effectua sa scolarité primaire et secondaire au lycée de Chambéry puis entra en khâgne au lycée du Parc à Lyon (Rhône). Reçu à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm en 1945, il obtint l’agrégation de Philosophie en 1949.
Nommé professeur au lycée français de Bruxelles, mis à la disposition du Ministère des Affaires étrangères, Lucien Sève, à la suite de conférences organisées par l’Ambassade de France où il prit position en faveur du marxisme, fut révoqué en mai 1950 et muté au lycée de Chaumont (Haute-Marne). Sympathisant communiste depuis l’ENS, il adhéra au PCF à Chambéry en septembre 1950.
Pendant son séjour à Chaumont, Lucien Sève, membre de la commission idéologique de la fédération communiste depuis novembre 1950, intégra le secrétariat de la fédération communiste de Haute-Marne comme responsable de la propagande du 6 mai 1951 à avril 1952. Avec l’Union de la jeunesse républicaine de France, il participa au Festival mondial de la jeunesse à Berlin-Est en 1951. Combattant de la paix et de la liberté en novembre 1950, il fut secrétaire départemental du mouvement pendant une courte durée en 1952.
Lucien Sève, membre du Syndicat national de l’enseignement secondaire d’octobre 1950 à la fin de son activité enseignante, devint le secrétaire adjoint de la section FEN-CGT de la Haute Marne en 1951-1952.
Le proviseur de son lycée l’ayant averti que de lourdes sanctions administratives contre lui étaient en préparation, Sève résilia son sursis d’incorporation et partit faire son service militaire (mai 1952- mai 1953) dans un ancien régiment disciplinaire de spahis à Batna (Algérie) comme garde-écuries puis comme infirmier de deuxième classe, subissant de nombreuses brimades (pas de peloton, menaces de tribunal militaire etc…).
Lucien Sève se maria en avril 1952 à Gap (Hautes-Alpes) avec Françoise Guille, étudiante communiste, fille de Jean Guille, inspecteur d’Académie, responsable communiste révoqué pour ce motif, rétrogradé comme proviseur du lycée de Gap. Le couple eut deux enfants. Son épouse fut associée à son travail éditorial. Russisante, elle travailla plus tard aux Editions sociales et traduisit notamment des ouvrages du psychologue soviétique Lev S. Vygotsky, Pensée et langage (1985), Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures (2014).
Revenu à la vie civile, Lucien Sève retrouva le secrétariat fédéral du PCF. Il fut élu conseiller municipal de Chaumont en avril 1953 et en démissionna en septembre 1953 en raison d’une mutation professionnelle à laquelle n’était pas étranger le maire de la préfecture de Haute-Marne.
Nommé au lycée de Talence (Gironde) à partir d’octobre 1953, militant communiste à Bordeaux, membre du comité de la section communiste de Bordeaux depuis mai 1954, proposé en 1954 pour devenir membre du comité fédéral, il fut désigné par la conférence fédérale de 1956. Il participa à la création d’une université ouvrière. En parallèle, militant de l’association France-URSS, il devint son secrétaire départemental de 1954 à 1957 et membre de son comité national en 1954 malgré l’avis défavorable du secrétariat du PCF. Pendant cette période, les échanges culturels et commerciaux franco-soviétiques, avec l’accord de la municipalité et du maire Jacques Chaban-Delmas, se développèrent.
Les documents EDSCO, à la direction desquels ses parents l’associèrent, livrèrent ses premiers travaux en 1954 sur divers sujets (la science, la morale et un peu plus tard « la guerre et la paix », avec Jean Gacon). Il présenta des textes sur la laïcité dans ces documents en 1956 sous le titre L’École et la laïcité, anthologie commentée des grands textes laïques, publication qui fut saluée par le Syndicat national des instituteurs. Un autre thème parut sur « L’Instruction civique » en 1959.
Lucien Sève obtint sa mutation pour enseigner la philosophie au lycée Saint Charles à Marseille (Bouches-du-Rhône) d’octobre 1957 à 1970. Élu au comité de la fédération communiste des Bouches-du-Rhône en 1959, responsable du travail parmi les intellectuels, il participa au bureau fédéral de 1961 à son départ pour la région parisienne. Il organisa à partir de 1967 un cycle de conférences sur le marxisme et la philosophie des sciences dans le cadre de l’Université nouvelle à Marseille. Actif dans le comité Maurice Audin, en 1959, il fit partie du bureau départemental du Comité universitaire de défense des libertés et du comité d’action. Correspondant puis membre du comité de rédaction de La Nouvelle Critique à partir de décembre 1957, il y publia des articles critiquant ce qu’il estimait être un révisionnisme marxiste, et signa dans la collection « Les essais de La Nouvelle critique », en 1960, La Différence, deux essais : Lénine, philosophe communiste ; sur “La Somme et le reste“, contestant rudement le récent livre d’Henri Lefebvre. En 1959-1960, il publia aussi dans La Pensée une série d’articles sur l’histoire de la philosophie française depuis 1789 où était notamment décrite la répression brutale du matérialisme dans l’Université sous Victor Cousin, Victor Duruy et leurs adeptes.
Le 14 mai 1961, lors du XVIe congrès du PCF, Lucien Sève entra au comité central du PCF comme suppléant et fut titularisé en 1964. Dans les réunions du comité central, il soutint les positions de la direction du PCF contre les analyses qualifiées « d’opportunistes » de dirigeants de l’Union des étudiants communistes (mai 1963). Il apparut comme un intellectuel du PCF parmi les plus productifs, multipliant les interventions et les articles dans la presse et les revues, fondés sur une sérieuse documentation traitée avec rigueur. Il fut au cœur de vives discussions sur la sortie du stalinisme. Dans une note adressée en janvier 1961 au comité de rédaction de La Nouvelle Critique, il disait ne pas voir comment, en suivant les idées empruntées à Teilhard de Chardin avancées par Roger Garaudy dans Perspectives de l’homme (1959) sur la convergence des philosophies, on pouvait éviter un « opportunisme doctrinal généralisé ». Prolongeant l’analyse qu’il présenta du dogmatisme dans La Nouvelle Critique en décembre 1963, il fallait, selon Sève, retrouver la pensée de Marx pour engager de nouvelles réflexions sur la question de la déstalinisation du PCF. La parution de son livre La philosophie contemporaine et sa genèse de 1789 à nos jours (Paris, Éditions sociales, 1962), qui appelait à dépasser le dogmatisme non par le dialogue avec les chrétiens mais par un développement créatif du marxisme, suscita un vif conflit que chercha à apaiser le livre de Waldeck Rochet Qu’est-ce que la philosophie marxiste ? (Éditions sociales, 1962).
Louis Althusser, dans Pour Marx de (Paris, Maspero, 1965), valorisait un matérialisme historique de teneur scientifique contre « l’œcuménisme philosophique » de Roger Garaudy. Désormais, deux orientations se manifestèrent chez les philosophes communistes. On le vit lors de la session du comité central à Argenteuil en mars 1966. Garaudy, appuyé notamment par Louis Aragon, exaltant l’humanisme marxiste, favorable à l’entente avec le Parti socialiste, pensait que cette voie était la seule capable d’éviter l’isolement politique pour le PCF. Althusser et ses soutiens estimaient qu’il fallait rendre au marxisme sa rigueur, indispensable au développement de la lutte des classes. Sève adopta une position distincte, très minoritaire. Critique envers la démarche de Garaudy, favorable au souci d’Althusser, il considérait que ce dernier n’était pas assez rigoureux dans sa lecture de Marx. Il contestait que le concept d’aliénation ait disparu du Capital. S’il rejetait, comme Althusser l’interprétation “humaniste-théorique“ du matérialisme historique, l’histoire n’étant pas faite par l’Homme mais par la lutte des classes, il défendait contre Althusser l’idée que le matérialisme était porteur d’une anthropologie permettant à une compréhension scientifique des individus et de leur vie réelle. Aussi appuyait-il la thèse de la direction du PCF selon laquelle le marxisme était un humanisme. Lors du décès d’Althusser, Sève lui rendit un court hommage dans l’Humanité du 24 octobre 1990 indiquant qu’il « nous a aidés à réapprendre que Marx, c’est le communisme ».
Lucien Sève consacrait une grande part de son travail théorique à la psychologie. En 1964 la revue L’École et la Nation publia son étude, acceptée par une petite majorité du comité de rédaction, « Les "dons" n’existent pas ». Pour lui, les performances des élèves résultent, pour l’essentiel, non des capacités innées mais des apprentissages favorisés ou non par les conditions familiales et scolaires. A une politique éducative dite de l’égalité des chances, alors partagée par le PCF, il opposait l’objectif d’une école de la réussite pour tous. Cet article, qui suscita de vifs débats chez les enseignants, discrédita l’idéologie des dons censée justifier des politiques scolaires discriminatoires et contribua à la transformation des conceptions des communistes français sur la nature de l’institution scolaire dépendante de l’organisation socio-économique.
Ayant travaillé sur les questions de l’individu face au collectif, Sève publia en 1969 Marxisme et théorie de la personnalité dans lequel il exposait la conception de l’individu chez Marx, jusqu’alors sous-estimé par la tradition marxiste. « Dans l’esprit de Georges Politzer, était avancée une conception nouvelle de la personnalité et de la biographie ». Il s’agissait pour lui de poursuivre les réflexions sur l’individu commencées dès la rédaction de son diplôme d’études supérieures sur le « je » chez Kant et Husserl, poursuivies dans ses recherches pédagogiques, et de rester vigilant sur des questions en débat autour de la psychanalyse et du marxisme. Dans l’esprit de la VIe thèse de Marx sur Feuerbach, il défendait l’idée d’une connexion essentielle entre développement individuel et ensemble des rapports sociaux, interprétation du matérialisme historique contestée par Althusser et ses amis. Lucien Sève souhaitait sur ces questions un débat public, qui fut rendu difficile dans une période marquée à la fois par la recherche de convergences politiques avec les socialistes et par les échos des événements de mai 1968 chez de nombreux étudiants et intellectuels. Accueilli « avec perplexité par la direction du PCF, avec intérêt par le lectorat marxiste », l’ouvrage fut critiqué ou ignoré par les althussériens et par les psychologues expérimentalistes. Ses cinq éditions et ses traductions en vingt langues firent de Sève un philosophe marxiste contesté mais reconnu.
Dans cette période et sur ces thèmes, après la mise à l’écart de Roger Garaudy, Lucien Sève devint la référence alors que la création d’une commission des philosophes en 1973 pouvait symboliser la prise en compte par le PCF de la nécessité d’un renforcement de la réflexion pour mieux résister à l’influence croissante d’Althusser en réinvestissant la recherche sur Marx pour aider le travail politique. Il en résulta plusieurs interventions de Sève sur les questions philosophiques et plusieurs articles dans les revues du PCF, essentiellement les Cahiers du Communisme et La Nouvelle Critique, dont il n’était plus membre du comité de rédaction, mais seulement du conseil de rédaction à partir de 1976.
Lucien Sève était directeur des Éditions sociales depuis 1970, maison d’édition théorique et politique du PCF. Mettant à profit dans cette fonction ce qu’il appelait une « autonomie octroyée », et bénéficiant d’une conjoncture favorable à la diffusion des idées marxistes, il contribua à en faire une maison d’édition à part entière, publiant l’œuvre de Marx dans des traductions de haute qualité, ouvrant son catalogue à des auteurs et chercheurs d’orientations diverses - comme, en 1976 un recueil d’articles de Louis Althusser (Positions) ou un livre du marxiste Henri Lefebvre. Il encouragea la publication des recherches d’intellectuels se réclamant du marxisme, notamment les chercheurs en sciences humaines dont les orientations innovaient.
En 1976 le Centre de diffusion du livre et de la presse, diffuseur communiste des éditions du Parti, fit faillite. La section d’administration du PCF imposa une unification des éditions communistes où disparaissait « désastreusement l’autonomie des politiques éditoriales ». Sève décida de quitter les Éditions sociales en avril 1982, convaincu « qu’au sommet du parti persistait un stalinisme organisationnel ».
Poursuivant ses recherches, notamment sur la dialectique, après la parution de son Une introduction à la philosophie marxiste (Éditions sociales, 1980), il apparaissait comme un porte-drapeau des philosophes communistes, non point pour autant « le philosophe officiel » du parti, fonction révolue après Garaudy, et « contraire à [mes] convictions, qui [me] faisaient privilégier le travail collectif ». Une telle élaboration ne s’exprimait plus prioritairement, selon lui, dans La Nouvelle Critique. Il émit des réserves sur le tournant pris par la revue, qui privilégiait désormais le champ littéraire, les études linguistiques et sur certaines de ses orientations philosophiques et politiques. Accaparé par la vie difficile des éditions du parti, s’éloignant de celle de La Nouvelle Critique, il ne se manifesta pas publiquement quand le PCF décida la suppression de la revue en 1978.
Le bureau politique du PCF, le 28 septembre 1979, réorganisant les secteurs “intellectuels, culture, enseignement“ le désigna comme directeur-adjoint de l’Institut des recherches marxistes qui prenait la succession du Centre d’études de recherches marxistes qui se donnait comme but de fédérer l’ensemble des recherches s’inspirant du marxisme, sans exclusive politique. Il organisa des séminaires de recherche sur la dialectique dans les sciences de la nature, qui déboucha sur le livre collectif piloté par lui Sciences et dialectiques de la nature (Paris, La Dispute, 1998), et sur les sciences humaines et l’individualité qui fut l’objet d’un autre ouvrage collectif, Je – Sur l’individualité (Éditions sociales, 1987).
Dans les années 1970, « des expériences majeures changèrent son regard sur la direction du parti ». Au XXIIe Congrès, en 1976, Georges Marchais annonça que le parti abandonnait la dictature du prolétariat. Approuvant cette décision, Lucien Sève partagea l’insatisfaction d’Althusser devant l’insuffisance de souci théorique quant à ses justifications et implications. Lors des premières contestations des analyses politiques de la direction du PCF à la fin des années 1970, Lucien Sève, dans un premier temps, réserva son point de vue pour les débats internes. Jugeant que la direction faisait preuve de carence, il s’engagea dans une réflexion stratégique personnelle qui allait transparaître dans un livre écrit avec François Hincker et Jean Fabre, Les Communistes et l’État (Éditions sociales, 1977) puis dans un article de La Pensée (n° 232, mars 1983), « Où en sommes-nous avec le socialisme scientifique ? ». Il en venait à l’idée que « le socialisme n’était pas une transition vraie vers le communisme qu’on devait commencer à viser dès aujourd’hui dans un pays aussi avancé que la France ». Sa conviction sur le mauvais fonctionnement du Parti se renforça avec une autre expérience : chargé en 1982 de rédiger le projet de résolution du XXIVe Congrès, il jugeait que « le choix fait d’une stratégie autogestionnaire rendait indispensable une profonde mutation démocratique du parti », mais toutes ses propositions allant dans ce sens furent rejetées. Il fut signataire de l’appel des Cent pour la Paix en 1982.
Aux élections européennes de juin 1984, le PCF recueillit 11,2 % des voix. Sève, comme de nombreux communistes, vécut l’événement comme « une descente du PCF en deuxième division de la politique ». Se refusant à toute autocritique de la direction, Georges Marchais réorienta en conséquence le rapport présenté par Claude Poperen au comité central des 26 et 27 juin. Inscrit en premier pour la discussion, Sève intervint en sens contraire. Le parti étant à ses yeux confronté à trois problèmes fondamentaux, « quelle stratégie révolutionnaire, pour quelle sorte de société, et avec quelle sorte de parti », il se prononça pour une « refondation communiste » à partir d’une assimilation du marxisme pris dans sa totalité. Pour cela, un mode original de préparation du XXVe Congrès était nécessaire. Venant de Sève peu coutumier de la contestation, cette intervention libéra la parole de plusieurs membres du comité central. La direction du PCF, un temps en difficulté, se ressaisit. Persuadée qu’elle était en présence d’un « complot liquidateur de l’Élysée pour faire renoncer le PCF à sa ligne de classe », elle engagea une lutte interne contre les courants contestataires de visées différentes et de chronologies successives, dont les « refondateurs » parmi lesquels Sève était dès le début une des chevilles ouvrières.
Depuis 1984, Lucien Sève fit de nombreuses propositions, mais obtint « bien moins d’invites à l’élaboration commune que de fins de non-recevoir. » Jusqu’à fin 1988, la lutte demeura principalement interne, son but étant de convaincre les communistes de l’urgence de changements. Après avoir été écarté en 1985 de l’école centrale du parti, mis en accusation devant le comité central en mai 1987 pour une phrase de sa contribution au livre Je, il fut désigné comme un « ennemi de l’intérieur » dans le rapport de Jean-Claude Gayssot à la conférence nationale des 12 et 13 novembre 1988. De 1989 à 1994, les actions refondatrices entrèrent dans une nouvelle phase. Lucien Sève, totalement impliqué, rédigea de nombreux textes du mouvement, y compris quelques uns signés Charles Fiterman et Guy Hermier.Il publia lui-même le premier livre refondateur, Communisme, quel second souffle ? (Messidor-Éditions sociales, 1990). Il écrivit le manifeste du mouvement pluraliste Refondations pour le lancement public du 8 juin 1991 à La Villette mais resta « de façon délibérée un peu en retrait derrière les vedettes médiatiques ». Il était souvent préoccupé par l’orientation que Fiterman tendait à imprimer au combat refondateur, « tourné vers la simple “alternative progressiste“ plus que la mise en œuvre concrète de la visée communiste ». En phase avec Guy Hermier et Roger Martelli, il participa en novembre 1992 au lancement de Futurs et rédigea une partie de son manifeste Urgence de futur. Il continua de mener la lutte politique au sein du comité central du PCF qu’il quitta en janvier 1994 lors du XXVIIIe congrès en raison de son âge.
Nommé en 1983 par le Président de la République membre du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, souvent abrégé en Comité consultatif national d’éthique, très actif jusqu’en 2000, Lucien Sève anima un groupe de réflexion sur la personne et rédigea un rapport-pilote du CCNE, Recherche biomédicale et respect de la personne humaine (Paris, La Documentation française, 1987) qui ouvrit la voie à l’élaboration des lois bioéthiques de 1994. Poursuivant sa réflexion sur ces questions, il publia Pour une critique de la raison bioéthique (Paris, Odile Jacob, 1994).
D’abord intéressé par la mutation que le nouveau dirigeant du PCF Robert Hue dit vouloir opérer, Lucien Sève constata son abandon, puis combattit la « régression organisée à ses yeux » par Marie-George Buffet. Membre de la cellule Van Troï de Bagneux où il habitait, il participa à la tribune de discussion avant le congrès. Le 8 novembre 1998, l’Humanité publiait sa contribution sous le titre « Travaillons ensemble ». Sève, moins engagé dans l’action quotidienne, poursuivait la bataille théorique et politique pour une réappropriation inventive de la visée communiste que beaucoup jugeaient irrécupérable. Il écrivit des articles et en 1999 un livre, Commencer par les fins – La nouvelle question communiste publié par La Dispute, maison d’édition qu’il créa avec d’autres anciens des Éditions sociales. Estimant avoir avancé depuis les années 1980 dans sa compréhension de la pensée marxienne, il s’engagea au début des années 2000 dans la rédaction d’une tétralogie au titre général Penser avec Marx aujourd’hui, dont parurent à La Dispute en 2004 le premier tome Marx et nous, en 2008 le deuxième « L’homme ? », en 2014 le troisième « La philosophie ? », le dernier devant porter sur « Le communisme ? ». Avec le même souci, il publia en 2011 chez Flammarion une anthologie des Écrits philosophiques de Marx, et en 2013 à La Dispute Aliénation et émancipation, précédé de Urgence de communisme. « Dans mes ouvrages, mon souci n’est pas de me répéter mais, bien qu’octogénaire, d’aller plus loin dans le développement inventif de ce que j’appelle non pas “le marxisme“ mais “la pensée-Marx“, dont la pertinence présente et future me semble inentamée. »
« Mais rendre à la visée communiste une vraie pertinence exigeant plus que jamais l’invention d’une autre façon de faire de la politique révolutionnaire, prioritairement tournée vers l’intervention appropriative dans toutes les gestions sociales », Lucien Sève décida en 2010 de quitter le PCF et de rejoindre les « Communistes unitaires », pour contribuer à l’élaboration collective d’une stratégie tournée, dans les conditions d’aujourd’hui, vers ce que Marx appelait une "évolution révolutionnaire" à visée communiste.
Un film, Les trois vies de Lucien Sève philosophe, réalisé par Marcel Rodriguez, à partir d’enregistrements pendant une vingtaine d’années, fut présenté en juin 2019, avec le soutien de la Fondation Gabriel Péri.
Lucien Sève mourut à l’hôpital Antoine Béclère à Clamart des suites du Covid-19.
Par Jacques Girault
ŒUVRES : Parmi les 52 références de la BNF, signalons, pour compléter les textes cités plus haut : Structuralisme et dialectique, Paris, Éditions sociales, 1982. — Karl Marx, Écrits philosophiques, cent textes choisis, traduits et présentés par L. Sève, Paris, Champs/Flammarion, 2011.
SOURCES : Archives du comité national du PCF. — Renseignements fournis par l’intéressé. — Interview par Jean-Numa Ducange dans Le Parti communiste français et le livre. Écrire et diffuser le politique en France au XXe siècle (1920-1992), sous la direction de J-N Ducange, Julien Hage, Jean-Yves Mollier, Dijon, Éditions Universitaires, 2014. — Fondation Gabriel Peri, enregistrement d’un entretien en juillet 2013, http://www.gabrielperi.fr/introduction.~— Presse française. — Frédérique Matonti, Intellectuels communistes. Essai sur l’obéissance politique. La Nouvelle Critique (1967-1980), Paris, La Découverte, 2005. — Sources orales. — Notes de Jean-Claude Lahaxe et de Roger Martelli.