SICARD Édouard

Par Gérard Leidet

Né le 29 mars 1913 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 18 septembre 1991 à Saint-Etienne (Loire) ; instituteur à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; militant communiste ; résistant ; membre de la section des Bouches-du-Rhône du Front national de l’enseignement puis du Comité national des instituteurs ; secrétaire départemental du SNI des Bouches-du-Rhône (1945-1950).

En octobre 1938, Édouard Sicard était instituteur à l’école de garçons de la place Bernard Cadenat, située dans le quartier populaire de la Belle de Mai (IIIe arrondissement de Marseille). Il appartenait au groupe « unitaire » de tendance communiste et fit partie de la liste qui soutenait la motion Isaïa-Bernard, dans le cadre des élections à la commission exécutive du Syndicat national des instituteurs. Tenant compte des voix obtenues en juillet 1938 autour des diverses résolutions exprimées lors du dernier congrès départemental, les signataires de la motion décidèrent de présenter cinq candidats à la commission exécutive : André Isaïa, Lucien Bernard, Édouard Sicard, Mlle Camille Portanier et Denis Bizot. C’était, selon leur déclaration électorale, le « nombre d’élus que leur donnerait la représentation proportionnelle », et que le personnel enseignant devait désigner pour figurer dans la nouvelle CE. Deux autres listes étaient en lice lors de ces élections : celle du bureau sortant animée par Louis Malosse et Irma Rapuzzi ; celle dite de « redressement et d’indépendance du syndicalisme », de tendance syndicaliste-révolutionnaire, emmenée par Jean Salducci, Pascal Léna et Léon Giudicelli. Le 8 novembre 1938, Sicard écrivit un long article dans le bulletin de la section départementale du SNI, intitulé « Réflexions sur deux votes ». Il y évoquait l’AG du 11 octobre au cours de laquelle l’assemblée avait émis deux votes « contre la CGT » à qui l’on reprochait d’avoir voulu la guerre ; d’avoir perdu son indépendance. Sur le premier point il s’opposa aux « laudateurs des accords de Munich », coupables selon lui, d’avoir renié la parole donnée et d’avoir « déchiré les pactes établis », sans donner plus de force au pacte Franco-soviétique, « arme défensive de la France ». Quant à la question de l’indépendance, il défendait l’articulation, bénéfique de son point de vue, entre le politique et le syndical. Le syndicat se devait d’être le creuset dans lequel les divers courants politiques ou idéologiques pouvaient se fondre, « s’amalgamer en une résultante profitable à la corporation et à la classe ouvrière toute entière ». En décembre 1938, il fut candidat au conseil syndical, pour le secteur Marseille-centre 3, en compagnie de Flexas. Le 19 janvier 1939, il participa à la réunion de la CE au cours de laquelle il intervint sur la question de la solidarité envers les grévistes de la journée d’action du 30 novembre 1938 (305 instituteurs grévistes dans les Bouches-du Rhône, et 48 000 francs recueillis selon Nivière, trésorier de la section départementale). En réponse à Ernest Margaillan qui proposa à la commission de solidarité de faire payer à tous les syndiqués la journée de grève et à Irma Rapuzzi qui évoqua les difficultés rencontrées pour « faire payer aux syndiqués leur journée du 30 », il estima que cet obstacle aurait pu être surmonté si le Syndicat avait organisé la vente du timbre de solidarité (timbre qui avait été adopté lors du dernier congrès départemental). Il participa ensuite au congrès de la section départementale du SNI, le 22 juin 1939 à Marseille, en présence d’André Delmas, la séance étant présidée par Irma Rapuzzi.

Édouard Sicard fit partie de l’équipe de militants enseignants qui reconstruisit, après la guerre, la section départementale du syndicat national des institutrices et instituteurs des Bouches-du-Rhône (SNI). Pendant l’Occupation, il s’était posé la question, avec Alfred Bizot (nommé en octobre 1942 dans la même école que lui, place B. Cadenat), de la « tactique syndicale » à utiliser. Fallait-il entrer en masse dans l’Association nationale professionnelle des instituteurs et « travailler intelligemment » dans ce nouveau cadre institutionnel créé par le Gouvernement de Vichy (c’était le choix, notamment, des militants de l’ex-syndicat des métaux CGT) ? Ou bien fallait-il, dès que possible, recréer la section du SNI ? Le peu d’engouement du personnel des écoles pour l’ANPI leur fit abandonner la première hypothèse. Par ailleurs les derniers dirigeants du syndicat de la section départementale, ceux qui étaient aux postes de responsabilité avant-guerre (année scolaire 1939-1940), ne manifestaient, selon le témoignage d’Alfred Bizot, « aucune activité ».

Le comité départemental du "Front national", créé en septembre 1942, dans le cabinet du Docteur Brunel, (place Sébastopol), des comités locaux se formèrent petit à petit, ainsi que des comités spécialisés, dont le Front national des enseignants. Alfred Bizot, toujours instituteur commença à constituer avec l’accord d’un responsable du Front national (Giocanti, alias "Dumas"), une organisation à base triangulaire parmi les enseignants. Il s’entoura d’ Edouard Sicard et de Raymond Lesot, "le premier communiste, l’autre pas". Chacun d’eux avait deux contacts. Le "triangle" effectuait un travail de propagande et de recrutement à la photocopie, et tirait un tract signé "Le Front national de l’Enseignement".

En compagnie d’Alfred Bizot et d’un camarade d’Aubagne qui quitta l’enseignement après la guerre, Edouard Sicard rédigea et diffusa un premier manifeste, tiré à partir d’une pâte à polycopier. La diffusion reposait là encore sur une organisation pyramidale classique, chacun des trois militants contactant « deux amis ». Ce réseau se développa assez rapidement et parvint à couvrir une grande partie du département : l’appel circula dans beaucoup d’écoles et fut reproduit. Après un contact avec la direction départementale du Front national, l’organisation devint la section des Bouches-du-Rhône du « Front national de l’enseignement ». Au cours d’une rencontre avec un instituteur (sans doute Robert Enard qui avait fondé le « Comité national des instituteurs » - fortement implanté à Marseille, dans le quartier d’Endoume où ce dernier exerçait, et celui de Saint-Antoine où enseignait un certain Arnaud - Sicard et Bizot apprirent que ces deux organisations, avec des formes différentes, poursuivaient le même but. Par souci d’efficacité et de réalisme, ils décidèrent de mutualiser les efforts et le FNE vint se fondre dans le CNI. Un comité directeur assez étoffé fut alors créé autour de R. Enard, avec, outre Edouard Sicard, Madeleine Franchet, Arnaud, A Bizot, Georges Cheylan et Montrognon. Pour des raisons de sécurité, les membres du CD se réunissaient « par moitié », chacun des membres ayant « sa doublure » ; mais Sicard rencontrait souvent Enard et Bizot dans des lieux toujours renouvelés. A l’organisation pyramidale du FN, le CNI préféra une organisation géographique calquée sur les centres ruraux et urbains du SNI d’avant-guerre, avec un responsable directement rattaché à un membre du CD. Quatre commissions furent ainsi mises en place : commission corporative animée par Sicard, commission pédagogique, de solidarité et une commission technique chargée de la composition et du tirage du journal clandestin du CNI, Lou Mestre d’escole, imprimé à l’école du Vallon des Tuves (XVe arrondissement) par deux militants enseignants, Arnaud et Peyre.

Deux équipes militantes furent mises en place : Enard, Montrognon, Madeleine Franchet, Jean Buisson et Marius Giraud furent chargés d’impulser la continuité du CNI en tant qu’organisation de la Résistance ; Sicard et Georges Cheylan s’attelèrent aux problèmes syndicaux, avant de réunir, dès le mois de septembre 1944, les personnels des écoles dans les réunions de centres urbains « suivis par des auditoires nombreux, attentifs, soucieux de résoudre les problèmes du moment » (témoignage de G. Cheylan). En effet les tâches consacrées à l’insurrection nationale ne devaient pas empêcher le CNI de se préoccuper de la question syndicale (protestation contre l’insuffisance des traitements, préparation de la grève générale insurrectionnelle, etc).

Lors de l’insurrection armée qui conduisit à la libération de Marseille (21-28 août 1944), Edouard Sicard assura de façon permanente la liaison du PC du CNI (installé alors à la Préfecture occupée par les résistants dès les premiers combats) avec l’Union départementale des syndicats CGT, illégale et reconstituée clandestinement. Il prit contact, au nom de la commission corporative du CNI, avec l’UD-CGT, laquelle avait habilité le comité à reconstituer la section départementale du SNI. La Libération survenue, le comité directeur du CNI composé de sept membres (Arnaud, Bizot, Cheylan, Enard, Madeleine Franchet, Montrognon et Sicard) fut reconnu officiellement par l’UD qui, le 4 septembre 1944, publia la note suivante rédigée par Lucien Molino, secrétaire de l’UD : « L’UD des syndicats ouvriers des Bouches-du-Rhône rappelle qu’il n’existe qu’une seule section du SN (« syndicat national », NDLR) des instituteurs, dirigée par la commission corporative du Comité national des instituteurs, habilitée provisoirement comme bureau départemental, jusqu’à ce que des élections régulières aient lieu. Ce bureau provisoire reçoit exclusivement les inscriptions et distribuera les cartes d’adhérents… ». Edouard Sicard et G. Cheylan précisèrent un peu plus loin, dans la circulaire, leur conception du syndicalisme : « Nous voulons un syndicat uni et puissant, s’occupant essentiellement de questions corporatives et pédagogiques, des revendications matérielles du personnel, de la défense de la fonction d’instituteur et de son reclassement dans l’échelle des fonctionnaires et des rapports avec les pouvoirs publics […] Pour cela, il faut en finir avec les luttes de tendances et les querelles politiques… ». Leur point de vue fut en grande partie entendu si l’on en juge par le nombre d’adhésions qui, en quelques semaines, approcha le total de 2 000 pour le département des Bouches-du-Rhône.

Les élections pour la désignation de la CE firent l’objet d’un large débat. Edouard Sicard et le bureau provisoire furent d’abord sollicités pour présenter une liste unique « bi-partie » comprenant 13 candidats du CNI, 13 candidats membres de « l’organisation universitaire » du Mouvement de libération nationale. L’OU-MLN rassemblait les enseignants de l’autre organisation de la Résistance qui résultait notamment du regroupement en 1944 des Mouvements Unis de la Résistance. Une liste tri-partie fut aussi envisagée (8 CNI, 8 MLN, 8 anciens membres du bureau départemental du SNI d’avant-guerre). Sicard et ses camarades refusèrent ces deux options car, selon eux, accepter c’était reconnaître les tendances dont ils ne voulaient pas ; c’était aussi « enlever toute possibilité de choix aux électeurs ». Dans une volonté d’union, le bureau accepta seulement que les manifestes particuliers des deux listes fussent fondus dans un texte commun. Malgré un contexte difficile (absence des prisonniers et déportés évacués dans des centres d’accueil, lenteur des relations postales), la consultation fut largement suivie. La commission de dépouillement enregistra ainsi un total de 1 868 votants (contre 898 en 1939) avec 1 804 suffrages exprimés et 64 bulletins blancs ou nuls. Edouard Sicard et ses 25 colistiers furent élus à la CE, avec la liste présentée par le bureau provisoire et le CNI qui recueillit une moyenne de 1 046 voix (de 1099 à 946). La liste opposée que présentait l’OU du MLN, animée par Pascal Léna, rassembla une moyenne de 647 voix (de 784 à 575). Le 23 novembre 1944, le bureau syndical départemental fut élu avec à sa tête Georges Cheylan comme secrétaire général (1944-1945). Édouard Sicard devint secrétaire adjoint, chargé de l’administration du syndicat, des rapports avec l’UD et le cartel des fonctionnaires. L’autre secrétaire adjoint était Martin, chargé des affaires corporatives individuelles et des rapports avec l’Inspection académique.

En mars 1945, Édouard Sicard écrivit dans le bulletin du SNI un article consacré aux problèmes de l’unité syndicale dans lequel il revint sur l’unification « fructueuse » de 1935 entre le SNI (CGT) et le syndicat de l’enseignement laïque (CGTU). Il rappela ensuite l’exemple « néfaste » de la création d’un « syndicat des Directeurs », catégoriel, qui rendait impropre l’appellation « syndicat unique » des instituteurs. En contrepoint, il donna deux exemples positifs d’unité en évoquant ses contacts établis avec le syndicat des produits chimiques et celui des métallos qui parvenaient, eux, à rassembler ouvriers, employés et techniciens, voire les ingénieurs. Pour conclure sa contribution de la façon suivante : « Ainsi donc, l’unité admirable, qui a été réalisée par des hommes aussi éloignés l’un de l’autre par leur formation culturelle qu’un manœuvre et un ingénieur des produits chimiques, ne serait pas réalisable dans l’enseignement entre des hommes de même formation intellectuelle et travaillant à la même œuvre ?... ».

Le 12 juillet 1945, Edouard Sicard assista au congrès départemental du SNI présidé par Ernest Denoize, ex-prisonnier de guerre. Lors de ce premier congrès d’après-guerre, la création d’un syndicat unique de l’Enseignement fut préconisée sous la houlette de G Cheylan qui en esquissa les bases. Divers degrés d’enseignement convergèrent pour concevoir ce qui allait devenir la section départementale de la Fédération de l’Éducation nationale ; avec une dizaine de militants, Sicard, au nom des instituteurs, s’impliqua, dans la mise en œuvre de la nouvelle fédération.

En octobre 1944, toujours instituteur, Édouard Sicard fut chargé d’enseigner au cours complémentaire de l’école de garçons de la rue Hesse. Entre 1945 et 1950, il demeura au bureau départemental du SNI comme secrétaire adjoint, chargé d’abord, à partir d’octobre 1945, des relations avec la Fédération des fonctionnaires et le Cartel des services publics ; responsable ensuite des centres urbains (1948) ; chargé enfin des questions pédagogiques jusqu’en novembre 1950, date à laquelle il laissa sa place pour cette fonction à Jean Briand.

Édouard Sicard était administrateur de la Mutuelle générale de l’Éducation nationale, il quitta le CA de la MGEN en 1965.

Dans la mémoire militante, Édouard Sicard incarna, avec quelques enseignants, le passage de la Résistance à la reconstruction du SNI à la libération. Et dans ses souvenirs évoqués au milieu des années 1960, Jean Buisson rappelait opportunément que ce fut « dans la Résistance qu’[était] née cette belle équipe syndicale dont Georges Cheylan et Édouard Sicard furent les premiers et inoubliables animateurs ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article173233, notice SICARD Édouard par Gérard Leidet, version mise en ligne le 25 mai 2015, dernière modification le 9 août 2021.

Par Gérard Leidet

SOURCES : Archives privées, Pascal Léna. — Archives de la section départementale du SNI des Bouches-du-Rhône. — Bulletin du syndicat unique des institutrices et instituteurs des Bouches-du-Rhône (section départementale du SNI-CGT), années 1938-1939. — Bulletin du syndicat unique des institutrices et instituteurs des Bouches-du-Rhône (section départementale du SNI-CGT), n° 3, 20 mars 1945. — Lou mestre d’escole, organe du Comité national des instituteurs, Académie d’Aix-Marseille, n° 11, décembre 1944. — Témoignage d’Alfred Bizot, « Les instituteurs dans la Résistance ». — Georges Cheylan, « 1944 - 45, L’année de la reconstruction syndicale ». — Jean Buisson, « De la Résistance au syndicalisme, témoignage et souvenirs ». — Notice DBMOF Lucien Bernard par Antoine Olivesi. — Témoignage d’Alfred Bizot, in Marcel-Pierre Bernard, "Les communistes dans la résistance, Marseille et sa région", Thèse de doctorat de troisième cycle sous la direction de M. Emile Témime, Aix-en-Provence, 1982.

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