TOROK Maria

Par Annik Houel

Née 1925- à Budapest (Hongrie), morte en 1998 à New-York ; installée en 1947 à Paris ; psychopédagogue, analyste à la Société Psychanalytique de Paris.

Hongroise d’origine juive, issue d’une bonne famille de la bourgeoisie libérale (son père est chirurgien dentiste), Maria Torok, très bonne élève mais en difficulté de par ses origines, vécut son adolescence à Budapest dans la tourmente nazie. Après-guerre, en janvier 1947, elle s’installa à Paris, travailla d’abord comme assistante en chimie industrielle tout en apprenant le français, puis fait des études de psychologie. A partir de 1954, elle fut la première psychothérapeute à travailler avec des enfants inadaptés dans les écoles maternelles, et s’engagea auprès de l’Œuvre Sociale pour l’Enfance (1957-63) et de la Sauvegarde de l’Enfance (1961-67). Entre-temps, elle entra comme analyste, en 1956, à la SPP, la Société Psychanalytique de Paris, référence obligée de la psychanalyse en France à cette époque mais déjà fortement agitée par les débats qui menèrent aux scissions de 1964 : la création de l’École freudienne par Jacques Lacan, et celle de l’Association Psychanalytique de France.

Au sein de la SPP, Maria Torok eut une position toujours assez marginale, à l’instar de son compagnon, Nicolas Abraham, d’origine hongroise et juive comme elle, avec lequel elle vécut de 1950 à 1975, date de la mort de celui-ci. Elle devint alors de plus en plus critique et entreprit l’étude de ce qu’elle appelle les “obstacles internes” de la psychanalyse freudienne, autrement dit les aspects sclérosés de l’institution à laquelle elle appartenait.

Nicolas Abraham et Maria Torok furent connus pour leurs travaux précurseurs sur les secrets de famille (cf. L’Écorce et le noyau, 1978) en particulier pour leur conceptualisation de la “crypte” : un sujet abrite, sans le savoir, inconsciemment donc, dans une sorte de caveau interne, l’histoire d’un membre de la famille, histoire tenue secrète parce qu’honteuse, qui se transmet de génération en génération et constitue une grave risque psychotique pour le dépositaire de ce secret, puisqu’un “fantôme” l’habite à son insu.

Après la mort de Nicolas Abraham, Maria Torok continua de publier dans la revue Cahiers Confrontation autour de ces questions avec son nouveau collaborateur, Nicholas Rand, universitaire new-yorkais, qu’elle épousa en 1990. Mais une des ses contributions les plus importantes reste aussi son apport au débat sur la sexualité féminine qui s’amorce dans les années soixante au sein de la communauté psychanalytique, en écho aux mouvements féministes. En 1964, elle particiae à l’ouvrage collectif, Recherches psychanalytiques nouvelles sur la sexualité féminine, publié sous la direction de Janine Chasseguet-Smirgel, avec un article sur la question sacro-sainte de “L’envie du pénis chez la fille”, reprenant, comme ses collègues de la SPP et co-auteurs, certaines des impasses de la théorie freudienne, en particulier la question du pré-œdipe féminin avec ses aléas amour-haine dans la relation mère-fille. Elle déplaça les motifs de la haine : ce n’est plus tant, comme l’a dit Freud, parce que la petite fille reproche à sa mère son (et celui de sa mère) manque de pénis qu’elle se tourne vers le père et entre ainsi dans l’Œdipe que, propose-t-elle, à cause d’enjeux antérieurs. L’envie du pénis n’est qu’un subterfuge destiné à masquer un enjeu plus fondamental : l’emprise maternelle sur la sphère anale, avec son exigence de propreté, et la haine qu’elle suscite alors chez la fillette mais qui doit être refoulée pour garder l’amour de la mère. Maria Torok relève l’importance de l’érotisme anal chez la fille, importance déjà notée par Lou Andréas-Salomé (Anal et Sexual, 1916) qui insistait sur cet aspect spécifique à la fille étant donné la contiguïté recto-vaginale. Question “sale”, non reprise en compte par Freud, et toujours tenue peu ou prou à l’écart dans la réflexion psychanalytique jusqu’à présent. (Pour plus de détails sur l’impact de ces questions sur le mouvement des femmes, cf. article sur Janine Chasseguet-Smirgel.)

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article173267, notice TOROK Maria par Annik Houel, version mise en ligne le 26 mai 2015, dernière modification le 26 mai 2015.

Par Annik Houel

Œuvre : Une vie avec la psychanalyse, Paris, Aubier, 2002. —“L’envie du pénis chez la fille”, in Chasseguet-Smirgel Janine dir., Recherches psychanalytiques nouvelles sur la sexualité féminine, Paris, Payot, 1964. — avec Nicholas Rand, Questions à Freud : du devenir de la psychanalyse, Paris, Les Belles-Lettres/Archimbaud, 1995. — avec Nicolas Abraham : L’Écorce et le noyau (1978), édition reprise et complétée en 1987, Paris, Flammarion.

SOURCES : Nicholas Rand, Quelle psychanalyse pour demain ?Voies ouvertes par Abraham et Torok, Toulouse, Érès, 2001.

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