SÉRUS Daniel, Jacques

Par Michel Carvou

Né le 22 juillet 1928 à Coulommiers (Seine-et-Marne), mort constatée le 14 août 2003 à Paris (XVIIe arr.) ; militant CFTC-CFDT chez Panhard et Levassor (Paris XIIIe arr.) puis chez Citroën à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) ; militant PSU ; militant PS.

Fils unique de Victor Auguste Sérus, manouvrier, originaire de la Sarthe et de Léontine Amélie Travet, manouvrière, originaire de Seine-et-Marne, domiciliés à Doue (Seine-et-Marne), Daniel Sérus, le certificat d’études primaires en poche, fut placé dans une ferme du Gers, comme ouvrier agricole. Il s’occupa des vaches, apprit à conduire les chevaux de labour et gardera de cette période de sa vie la connaissance et l’amour de la nature. Il s’y découvrit la passion de la lecture qui lui fera lire la bible deux fois pendant qu’il gardait les vaches. Il y expérimenta ses premières réactions militantes en s’opposant à un patron qui infligeait des mauvais traitements aux animaux.

En 1954 il trouva un emploi d’ouvrier spécialisé chez Panhard et Levassor, usine d’automobiles de 5 600 salariés (4 000 ouvriers, 1 600 mensuels), porte d’Ivry à Paris (XIIIe arr.) où il fut affecté à la taille des engrenages dans l’atelier 65. Peu après son entrée dans l’entreprise, il décida de se syndiquer à la CFTC et rejoignit la petite section d’entreprise d’une trentaine d’adhérents dont une dizaine de militants actifs qui peinait à faire entendre sa voix à côté d’une CGT beaucoup plus puissante et mieux implantée. Dans cette usine aux bâtiments vétustes, aux conditions de travail pénibles plus particulièrement pour les ouvriers travaillant en 2 x 8, confrontée aux problèmes spécifiques liés à l’embauche massive de travailleurs immigrés, la section CFTC, avec 15 % de voix aux élections des délégués du personnel dans le collège ouvrier et 22 % dans le collège employés, techniciens et cadres, avait fait de l’amélioration des conditions de travail sa priorité. Daniel Sérus s’y engagea à fond, prenant toute sa place dans la petite équipe militante animée par Roland Schleicher le secrétaire de la section. Très vite, il deviendra le « spécialiste » des problèmes des ateliers, qu’il portera en tant que délégué du personnel, membre du comité d’hygiène et de sécurité, puis membre du comité d’établissement à partir de 1967, et sera connu pour sa préparation méthodique des réunions avec la direction, dans lesquelles il interviendra avec vigueur, conviction et toujours de façon argumentée.

Lorsque Roland Schleicher quitta l’entreprise pour raisons familiales en 1961, la CFTC recueillait 22 % des voix dans le collège ouvriers et était devenue majoritaire dans le collège mensuels. Avec Maurice Villandrau*, le nouveau président de section, Daniel Sérus s’impliqua dans la défense des travailleurs immigrés toujours plus nombreux dans l’usine. Il prit une part active dans les actions de solidarité menées par sa section pour aider les travailleurs algériens à réaliser leur boni lorsqu’ils étaient arrêtés la nuit par la police. En 1962, il dut s’interposer, avec Maurice Villandrau, pour éviter que la police ne disperse, sans ménagement, une soixantaine de travailleurs espagnols qui avaient débrayé pour protester contre le prélèvement sur leur salaire des frais d’établissement de leur carte de travail et s’étaient rassemblés sur le trottoir devant l’usine. En 1964, il trouva un renfort dans l’action auprès des travailleurs immigrés, et plus particulièrement des Espagnols, avec l’arrivée dans la section de José Fuentes, réfugié de la Guerre d’Espagne, ancien militant républicain membre de l’Alliance syndicale espagnole qui fit de nombreux adhérents dans la section.

Avec l’absorption de Panhard par Citroën en 1965, Daniel Sérus connut, comme les autres militants de l’entreprise et plus particulièrement de la CGT et de la CFTC devenue entre-temps CFDT, le durcissement des conditions d’exercice du droit syndical. Les agents de secteurs chargés de contrôler le déplacement des délégués, inconnus chez Panhard, firent leur apparition. Les délégués suppléants ne furent plus invités aux réunions des instances de représentation du personnel qui se déroulèrent désormais à l’usine Citroën du quai de Javel (Paris XVe arr.). Les délégués ouvriers se retrouvèrent rassemblés dans l’atelier 65 pour mieux les contrôler. Ils durent recourir à des ruses, comme l’inscription d’un grand nombre d’ateliers à visiter, sur le même bon de délégation pour pouvoir échapper à la surveillance des agents de secteur. Les avertissements commencèrent à « pleuvoir » pour déplacements illégaux et les recours à l’inspection du travail se firent de plus en plus fréquents. Ce contexte répressif ne freina pas l’ardeur militante de Daniel Sérus qui s’investit pleinement dans la défense des ouvriers mutés dans les différentes usines Citroën de la région parisienne dans des conditions discrétionnaires, accompagnées pour beaucoup de déclassements dans l’intention de provoquer des démissions.

En Mai 68 la grève avec occupation de l’usine Panhard-Citroën du XIIIe fut votée à main levée le 24 mai. Pendant quatre semaines, Daniel Sérus prit part à son organisation avec la petite section CFDT réduite à sa plus simple expression à force de mutations, démissions et licenciements. La grève se termina avec quelques acquis supérieurs aux accords de Grenelle, notamment pour les bas salaires et en anticipant sur le futur projet de loi concernant le droit syndical. Malheureusement l’espérance qu’elle avait fait naître retomba bien vite et la direction ne fut pas longue à reprendre en main le personnel et à resserrer son étreinte sur les libertés syndicales.

En 1970, lors de la fermeture pour démolition de l’usine Panhard, Daniel Sérus fut muté dans l’usine Citroën de Levallois-Perret où il fut affecté à l’atelier d’usinage. Il y rejoignit une petite section CFDT animée par Jean Quèbre qui peinait à trouver sa place entre une CGT historiquement implantée dans l’usine et une CFT (Confédération française du travail) implantée et développée par la direction depuis 1968 pour faire barrage aux syndicats ouvriers et mettre en place son système de surveillance et d’encadrement du personnel. N’ayant pas assez de voix aux élections, la CFDT n’avait que les mandats de désignation pour exercer ses missions auprès des travailleurs. Daniel Sérus désigné délégué syndical à partir du 19 mars 1970 se chargea des questions pour la réunion mensuelle des délégués du personnel. En faisant les tournées d’atelier avec Jean Quèbre pour rassembler les questions et revendications des travailleurs, il se heurta immédiatement au suivi des agents de secteur et de maîtrise cherchant à empêcher le contact entre les « mauvais » délégués et les ouvriers. Il dut intervenir à de multiples reprises auprès de l’inspection du travail pour faire respecter l’exercice du droit syndical et contester les avertissements et intimidations dont les militants de sa section étaient les victimes. Ainsi en avril et mai 1979, il dut saisir l’inspecteur du travail pour intervenir contre l’installation d’une cloison de tôle dans l’atelier d’Henri Jacquemin, représentant syndical CFDT au comité d’établissement, pour l’isoler de ses camarades de travail.

Quand, le 3 mai 1982, les ouvriers de Citroën Levallois emboîtèrent le pas de ceux d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) et décidèrent la grève avec occupation de leur usine, Daniel Sérus mit toute son énergie avec sa petite section syndicale pour être présent dans le mouvement qui dura jusqu’au 1er juin. Ce mouvement, porteur de revendications sur les salaires, l’évolution de carrière et les conditions de travail des ouvriers spécialisés (OS) de l’entreprise, exprimait aussi et par-dessus tout, un an après l’arrivée de la gauche au pouvoir, la révolte contre les méthodes d’encadrement de Citroën et de son syndicat maison qui s’exprima dans le slogan emblématique du conflit : « CSL à la poubelle » (la CFT étant devenue, depuis 1977, la Confédération des syndicats libres).

Parallèlement à son action syndicale, chez Panhard d’abord puis Citroën ensuite, Daniel Sérus fut un participant assidu aux réunions des structures dont était membre sa section. Il commença à la représenter dans les instances de l’Union parisienne des syndicats de la métallurgie (UPSM-CFTC puis CFDT) en 1956 et dans l’inter-Citroën que la section CFTC de Panhard rejoignit en 1959. Dans le mouvement visant à regrouper les structures intercatégorielles de la métallurgie parisienne en syndicats d’industrie il participa à la création, en 1962, du syndicat général des travailleurs de l’automobile (SGTA-CFTC puis CFDT) précédée par la création de l’Union fédérale de l’automobile (UFA) où il représenta sa section. Lors de la préparation du passage de la CFTC en CFDT, il participa à tous les débats, militant très fortement pour la transformation. Il se fit remarquer, dans les réunions auxquelles il participait par ses interventions, faites d’une voix de stentor, pour dénoncer les conditions de vie et de travail faites aux ouvriers, tout particulièrement aux travailleurs immigrés et contre le patronat et le capitalisme en général. Il se rendit célèbre par sa phrase fétiche : « On traite mieux les chevaux du Gers que les OS de chez Citroën ».

Lorsqu’il prit sa retraite en 1983, âgé de cinquante-cinq ans, il adhéra à la section retraités de la métallurgie parisienne, regroupée sous l’égide du syndicat de la métallurgie de Paris (STRAMP-CFDT) et participa au conseil de ce syndicat. Avec Jean Lacarra, ancien militant de la branche Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie (BJO), il tint avec assiduité les permanences hebdomadaires pour les travailleurs isolés de la métallurgie parisienne.

Durant toute sa vie militante en entreprise il n’avait pratiquement pas raté de manifestations professionnelles et interprofessionnelles. Lorsqu’il fut à la retraite, il resta fidèle à cet engagement.

Parallèlement à son engagement syndical, Daniel Sérus avait adhéré au PSU lorsqu’il était chez Panhard et le quitta après les assises du socialisme de 1974. Il adhéra à la section PS du XVIIe arrondissement de Paris, s’impliqua dans toutes les actions menées par celle-ci – assemblées générales, manifestations, meetings, campagnes électorales, tenue des bureaux de vote. Il fut candidat aux élections municipales de 1989 sur la liste PS menée par Jean-Luc Gonneau. Il se fit remarquer, comme en témoigna Élisabeth Larrieu, conseillère de Paris, lors de la cérémonie pour son enterrement, comme « un exceptionnel militant fidèle aux valeurs de gauche et d’un indéfectible engagement politique ».

Reconnu comme autodidacte et passionné de nature, il mit à profit le temps libre de sa retraite pour passer des heures à la bibliothèque du centre Pompidou ou aller marcher des journées entières dans les environs de Paris. Membre de la commission loisirs de l’union territoriale des retraités CFDT d’Ile-de-France, il fit partager sa passion de la marche en organisant des randonnées pour les retraités de cette organisation.

Très secret sur sa vie privée, sans famille et sans amis proches, en dehors de ses camarades syndicalistes ou politiques, vivant seul, sans télévision et sans téléphone, ce furent des militants de l’UPSM-CFDT qui découvrirent par hasard son nom dans la liste des morts oubliés de la canicule d’août 2003. Il purent in extremis lui éviter d’être inhumé au terrain commun du cimetière de Thiais (Val-de-Marne) et lui offrir une sépulture au cimetière parisien de Pantin (Seine-Saint-Denis). Les conditions de sa mort firent l’objet d’un article du Journal du Dimanche du 7 septembre 2003 intitulé « Nounours, victime de la canicule » sous-titré « Il est mort un jour d’août. Trop chaud, trop seul. Inconnu au bataillon des victimes de la vague de chaleur. L’ancien ouvrier, un « pur et dur » a finalement reçu l’hommage de ses copains militants. » La section PS du XVIIe arrondissement de Paris prit le nom de « section Daniel Sérus » le 25 janvier 2008.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article173410, notice SÉRUS Daniel, Jacques par Michel Carvou, version mise en ligne le 30 mai 2015, dernière modification le 14 juin 2022.

Par Michel Carvou

SOURCES : Archives UPSM-CFDT. — État civil de Coulommiers. — Entretiens avec Maurice Villandrau, 28 avril 2012, avec Jean Quèbre, 13 avril 2015. — Maurice Villandrau Ils ont payé le prix fort !, La Toison d’Or, collection itinéraires militants. — Témoignage d’Élisabeth Larrieu, conseillère de Paris (1995, 2008). — Journal du Dimanche, 7 septembre 2003.

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