Par Gilles Morin
Née le 1er juin 1935 à Saint-Étienne (Loire) ; professeure agrégée de philosophie, écrivaine, éditrice ; militante UNEF, UGS, PSU, syndicaliste SNES-FEN puis SGEN-CFDT, militante féministe et écologiste ; secrétaire nationale du PSU (1979-1983) ; secrétaire d’État puis ministre de l’Environnement (1983-1986), députée du Doubs (1986-1988), maire d’Aigues-Vives (Gard, 1995-2001).
Née dans une famille ouvrière qui comptait six enfants, Huguette Bouchardeau est fille d’un ouvrier devenu employé d’une société d’épicerie en gros, Marius Briaut et d’une mère sténodactylographe qui s’arrêta de travailler pour se consacrer à ses enfants. Elle évoqua ses parents dans deux ouvrages, Rose Noël, puis son père dans Les roches rouges. Huguette, seule de sa fratrie à poursuivre des études, épousa Marc Bouchardeau, psychologue, le 25 mai 1955 et eut avec ce dernier trois enfants. Né le 4 juin 1930 à Granges-les-Valence (Ardèche), il travaillait au début des années 1960 au centre psychotechnique de l’Association pour la formation professionnelle des adultes de Lyon. Ancien de UGS, membre du PSU, il fit partie du bureau fédéral du Rhône et adhérait alors au syndicat CGT de l’FPA. Il mourut en janvier 2013.
Elle suivit des études à Saint-Étienne, à Strasbourg et fréquenta l’Université de Lyon. Elle fut reçue à l’agrégation de philosophie en 1961 et soutint une thèse de 3e cycle de sciences de l’éducation. Elle enseigna la philosophie au lycée Honoré-d’Urfé à Saint-Étienne de 1961 à 1970, puis les sciences de l’éducation à l’Université de Lyon II où elle fut assistante, puis maître-assistante, puis maîtresse de Conférences de 1970 à 1983. Engagée dès sa jeunesse, elle mena durant une vingtaine d’années conjointement une vie d’enseignante et de militante très active.
Huguette Bouchardeau commença à militer dans le syndicalisme étudiant en 1952, à dix-sept ans et fut secrétaire générale de l’AGE de Lettres de Lyon en 1955-1956. Elle adhéra, avec son époux, à l’UGS à Lyon, puis au Parti socialiste unifié (PSU), après sa fondation en avril 1960 à Beaulieu (quartier de Saint-Étienne). La fédération de la Loire, dominée par les anciens du MLP était l’une des plus importantes de cette organisation. Huguette Bouchardeau était trésorière fédérale de la Loire en 1966 et fut candidate pour le PSU aux élections cantonales de 1970 à Saint-Étienne-Nord.
Elle militait aussi très activement dans le syndicalisme enseignant. En 1965-1966 et 1966-1967, elle était secrétaire de la section départementale (S2) de la Loire et secrétaire de la section académique (S3) de Lyon du Syndicat national de l’enseignement secondaire devenu Syndicat national des enseignements de second degré en 1966, et figurait sur les listes du courant B devenu “Unité et Action”, aux élections de la CA nationale. En 1967, elle passa le témoin de la direction du S3 à Janine Chapard, pour se consacrer surtout à la section départementale de la FEN de la Loire, dont elle devint la secrétaire et membre suppléante de la CA fédérale. Bien qu’ayant signé la motion UA présentée par André Drubay au congrès fédéral national de la Toussaint 1967, elle restait hostile au jeu des tendances, d’autant qu’elle ne disposait pas de la majorité absolue dans sa section. Durant les événements de 1968, elle se désolidarisa de la nouvelle direction UA du SNES et figura aux élections à la CA nationale du SNES de mai 1969 sur la liste “Rénovation syndicale” créée à l’initiative de militants du PSU. Et l’année suivante, comme d autres militants RS du PSU, elle passa au SGEN-CFDT dont la direction changea en faveur de la minorité révolutionnaire.
Huguette Bouchardeau fit coexister son action politique et un militantisme féministe affirmé. « Pendant vingt ans, ma vie fut si intimement liée au développement des actions féministes que je me trouvais, tour à tour, dans tous les statuts, tous les rôles à l’égard des livres qui se publiaient sur ce sujet », écrira-t-elle. Elle participa à la formation et à l’animation du Centre lyonnais d’études féministes, et à celle du Planning familial et fut l’une des fondatrices du MLAC (Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception). Son premier livre, Pas d’histoire, les femmes (Syros, 1977) dénonçait l’exclusion des femmes de la vie publique et la manière dont s’écrivait l’histoire de cette vie publique. Elle se démarquait par ailleurs de celles qui affirmaient que le mouvement des femmes datait de ce temps seulement, voulant revenir sur les combats passés, afin de ne pas priver le mouvement de ses racines, de ses fondements.
Désignée comme secrétaire de la fédération PSU de la Loire en 1974, elle entra alors au bureau national du mouvement que venaient de quitter Michel Rocard* et ses amis et fut chargée du secteur « femmes ». C’est son action féministe et la volonté du parti de promouvoir les femmes qui sont à l’origine de cette ascension. Elle collabora à la société Syros, les éditions du PSU, où elle dirigea la collection « Mémoires des Femmes » à partir de 1978. Elle fit paraître le premier ouvrage, Hélène Brion, la voie féministe de cette collection. Elle associa Odile Krakovich qui continua pendant plusieurs années la collection.
Avec son époux, elle animait encore des organisations de contestation écologique, notamment les Amis de la Terre. Marc Bouchardeau avait créé une imprimerie autogérée et, écrivait-elle dans Le ministère du possible : « durant des années, notre appartement a été transformé en terrain de séchage pour affiches sérigraphiques et antinucléaires ; nous vivions dans un univers de têtes de mort et de paysages d’apocalypse ! Nous avions accompli, à la fin des années soixante-dix, le parcours initiatique du contestataire : Creys-Malville contre le surrégénérateur, Cruas contre la centrale, et Plogoff pour les Bretons. J’ai manifesté, déchiré mon lot de registres d’enquêtes publiques, signé des pétitions... ». Mais, écrivait-elle encore, « jamais pourtant l’écologie ne m’a semblé suffisante pour remplir un projet de société ».
En 1979, elle entama une deuxième vie, menant durant quinze années une carrière politique, au plan national, sans jamais oublier de marquer sa différence. Secrétaire générale du PSU en janvier 1979, elle fut la première femme à diriger une organisation politique (en 2006, aucune femme n’avait encore accédé à ce type de fonction, en dehors du PCF, dont l’influence s’est réduite). Non sans difficultés qu’elle raconta dans Un coin dans leur monde, où elle s’interrogeait, pour savoir s’il y avait une « manière-femme de faire de la politique », estimant que celle-ci n’était ni mondaine ni superficielle, déplorant que dans les partis les femmes soient appréciées comme « une devanture satisfaisante ». Tête de liste « Europe Autogestion » préparée par le PSU aux élections européennes de 1979, elle fut surtout candidate du parti aux élections présidentielles de 1981. Débutant une longue campagne de tournées d’un bout à l’autre de la France dans l’été 1980, elle publia Tout le possible où elle développait son programme et fit, notamment, une campagne en faveur de l’autogestion et pour un référendum sur le nucléaire. Elle obtint 321 353 suffrages (1,1 % des exprimés), perdant de très nombreuses intentions de vote dans les derniers jours face à l’argument du vote utile, se classant en dernière position des dix candidats en lice. Elle se désista au second tour pour François Mitterrand. Elle plaida à l’intérieur du PSU pour un engagement plus franc dans l’expérience qui commençait et fut mise en minorité pour cela en septembre (Riedacker et Louis Jouve plaidant en ce sens pour sa sensibilité), quittant alors le secrétariat national. Mais elle reprit ensuite ce dernier de décembre 1981 à mars 1983.
Huguette Bouchardeau fut nommée secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’environnement « et de la qualité de la vie » (elle avait fait ajouter ce titre) le 24 mars 1983 dans le dernier gouvernement Mauroy, puis ministre de l’environnement en juillet 1984 dans le gouvernement Fabius. Pour son baptême ministériel, elle dut traiter l’affaire des déchets de Seveso. Elle fut surtout à l’origine de la loi du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement dite loi « Bouchardeau », préparée par le rapport Pisani.
Elle n’avait alors aucune expérience du pouvoir, n’ayant jamais été élue. Elle conta cette expérience dans un ouvrage paru chez Alain Moreau, qui faisait le bilan de ces trois années, Le ministère du possible (1986).
Distante du PSU depuis 1985, elle fonda « Libre gauche » et cherchait en 1986, avec un certain nombre de ses amis à « reconstruire » la gauche. Dans la préface à un ouvrage de Jean Mitoyen (pseudonyme collectif), C’est dur d’être de gauche, surtout quand on n’est pas de droite (Syros, 1986), elle s’interrogeait sur la nécessité d’être au pouvoir, de le garder, dénonçant les deux périls qui menaçaient selon elle la gauche, le péril idéologique et le péril gestionnaire. Entamant un partenariat de dix ans avec le PS, elle participa au Conseil national de la gauche.
Députée apparentée socialiste du Doubs, élue le 12 mars 1986 à la proportionnelle, réélue en juin 1988 au scrutin majoritaire (4e circonscription), elle siégea au Palais-Bourbon jusqu’en 1993. Elle tenta de s’implanter dans le département en étant élue conseillère municipale de Sochaux en 1989. En 1992, après la démission de Laurent Fabius et face à la candidature d’Henri Emmanuelli, elle se présenta à la présidence de l’Assemblée nationale au nom du mouvement France Unie, animé par Jean-Pierre Soisson qui rassemblait les non-socialistes de la majorité et emporta 44 voix.
En 1993, Huguette Bouchardeau décida de ne pas se représenter à la députation. Elle avait régulièrement marqué sa différence politique par des gestes ou des prises de positions. En 1987, elle fut la seule apparentée socialiste à refuser de voter la loi de programmation militaire. À plusieurs reprises, elle évoqua les questions de financement des partis et les problèmes des fonds secrets, demandant de mettre fin aux hypocrisies. Tirant un bilan de sa période de professionnelle de la politique à cette occasion dans Le déjeuner, elle constatait l’absence de pouvoir réel des parlementaires, coincés entre l’exécutif et les partis, condamnés à faire du lobbying, devenus « représentant de commerce » et non représentant du peuple. Pour elle, il y avait une inadéquation évidente entre ce travail et les méthodes de communication moderne. Elle s’y livrait aussi à une critique très sévère du PS. Dans La Croix du 27 janvier 1993, elle déclarait : « Lorsque je militais au PSU, nous pensions que la SFIO ou l’UDSR étaient des partis de notables, nous avions l’impression qu’ils n’avaient que des élus. Après Épinay, le groupe militant s’est mêlé au groupe « notables ». Les militants ont participé à la conquête du pouvoir, puis les notables ont conservé ce pouvoir ».
Présidente de la section française de l’Entente européenne pour l’environnement, groupe de pression écologiste au niveau communautaire, en novembre 1988, et d’Eau-Vive (association d’aide au Tiers-Monde), en 1991, elle participa à la commission Fauroux et, après avoir quitté l’Assemblée, fut chargée par Michel Barnier d’une mission relative à la réforme des enquêtes publiques en 1993.
Huguette Bouchardeau, écrivain déjà reconnue, commença une troisième vie. Elle s’installa à Aigues-Vives dans le Gard en 1993 et en fut élue maire en 1995-2001. À partir d’août 1995, elle devint directrice de la maison HB Éditions, centrée autour de la littérature contemporaine, à Aigues-Vives (Gard). Cette dernière, de dimension familiale, comptait en 2006 plus de 120 ouvrages à son catalogue. Son époux, Marc appartenait au comité de lecture (il est mort le 2 février 2013), son fils travaillait aussi avec eux. Leurs rôles s’inversèrent ensuite, François devenant directeur général et Huguette lectrice ; la maison s’installa à Forcalquier. Elle publia des agendas littéraires annuels (Hugo, les Écritures d’utopies, George Sand...) et poursuivit la parution de biographies. Plusieurs de ces ouvrages ont de fortes résonances autobiographiques.
Les principales féministes dans le Maitron :
https://maitron.fr/spip.php?mot192
Par Gilles Morin
ŒUVRE : Pas d’histoire, les femmes, Syros, 1977. — Hélène Brion, La Voie féministe, Syros, 1978. — Un Coin dans le monde, Syros, 1979. — Le Ministère du possible, Alain Moreau, 1986. — Choses dites de profil, Ramsay, 1988. — George Sand, la lune et ses sabots, Robert Laffont, 1990 (réédité par HB Éditions 1999. — Rose Noël, Seghers, 1991. — La Grande verrière, Payot, 1991. — Carnets de Prague, Seghers, 1992. — Le Déjeuner, François Bourin, 1993. — La famille Renoir, Calmann-Levy, 1994. — Simone Weil, Julliard, 1993 (réédité par HB éditions 2000). — Les Roches rouges, portrait d’un père, Écriture, 1996. — Leur Père, notre père, 1996. — Faute de regard, Écriture, 1997. — Agatha Christie, Flammarion, 1999. — Une autre façon de dire Je, Flammarion, 2000. — Elsa Triolet, Flammarion, 2001. — Mes nuits avec Descartes, Flammarion, 2002. — Nathalie Sarraute, Flammarion, 2003. — Agenda littéraire 2004. Bicentenaire de George Sand, HB Éditions, 2003. — George Sand, les femmes, textes choisis et commentés, HB Éditions, 2003. — George Sand, la littérature, textes choisis et commentés, HB Éditions, 2004. — George Sand, la politique, textes choisis et commentés, HB Éditions, 2003. — Simone Signoret, Flammarion, 2005.
SOURCES : Archives de l’Assemblée nationale, dossier biographique. — Arch. OURS, dossiers Loire. — Tribune socialiste, 9 avril 1966. — Fichiers adhérents du PSU. — Arch. IRHSES (S3 Lyon, FEN, L’Université syndicaliste, L’Enseignement public).— Who’s Who, 1981-1982, 1988-1989. — Notes de Jean-Paul Martin.