Par Jean Gondonneau
Né le 8 décembre 1943 à Rouen (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), mort le 25 mars 2018 à Rouen (Seine-Maritime) ; éducateur spécialisé et sociologue de l’éducation ; militant à Peuple et Culture (PEC) ; fondateur et directeur du centre de formation des éducateurs et des animateurs de Haute-Normandie.
René Boucher naquit dans une famille ouvrière du quartier saint Clément de Rouen, caractérisé par l’implantation de plusieurs sites de diffusion idéologique distincts : La fraternité (protestants) et le local des jeunesses communistes jouxtant le presbytère catholique. Cette configuration constituait un espace public de débats très animés. Ce fut dans ce quartier qu’il suivit sa scolarité primaire à l’école laïque Jean Mulot, école d’application de l’école normale d’instituteurs. Héritier des valeurs d’une grand-mère militante du Parti communiste et d’un père ouvrier, couvreur-charpentier, plutôt anarcho-syndicaliste, il fut sensibilisé, dès sa jeunesse, à des valeurs de justice sociale et de solidarité.
Sa mère l’inscrivit à l’age de six ans aux louveteaux, puis aux éclaireurs unionistes ; il y resta jusqu’à l’âge de dix-huit ans, y consacrant ses jeudis et ses dimanches. René Boucher fit volontiers référence à cette expérience du scoutisme qui constitua, pour lui, un apprentissage de la responsabilité. Il prit soin toutefois « d’équilibrer » ses fréquentations en conservant des liens étroits avec ses copains de quartier et en investissant, dans la semaine, les terrains d’aventures que constituait « la rue ».
Après le décès de son père survenu quand il avait onze ans, il prit des responsabilités au Secours populaire français et fréquenta de façon régulière le mouvement des Jeunesses communistes. À la fin de sa scolarité primaire, bien qu’étant bon élève, il tint compte de la situation matérielle de sa famille, il estima devoir gagner sa vie. Plus tard, il suivit, parallèlement à son activité professionnelle, des cours du soir pour se former à la gestion, prépara l’examen d’entrée en faculté, commença des études de droit tout en restant en contact avec des camarades impliqués dans l’enseignement et l’éducation. C’est finalement à la suite d’un stage de formation à la fédération des œuvres laïques qu’il se décida à entrer professionnellement dans l’éducation spécialisée, ce qui satisfaisait son besoin d’engagement : il obtint le diplôme d’éducateur spécialisé.
La rencontre avec l’éducation populaire lui permit de réaliser ce qu’il estime être une synthèse des voies de l’émancipation « ouvrière » (développement d’une capacité politique critique, de la solidarité et de l’éducation) : « Dans cet itinéraire, ma rencontre avec le mouvement Peuple et Culture fut une étape décisive ; j’y ai découvert des gens de conditions sociales différentes, de croyances et d’opinions opposées, sans concession dans l’affrontement des points de vue mais le plus souvent respectueux de l’autre. J’y ai également appris à organiser ma pensée par la méthode "de l’entraînement mental » boussole précieuse pour orienter ma réflexion et mes décisions dans les méandres de mes références contradictoires ». La rencontre à PEC de chercheurs et d’intellectuels le motive pour préparer et obtenir un diplôme d’études en sciences sociales (1972) puis un diplôme d’études approfondies en sciences de l’éducation à l’université Paris V René Descartes (1984).
Quelle fut sa vie professionnelle et militante ? Dès l’adolescence, il partagea son temps libre entre les éclaireurs unionistes et les jeunesses communistes, participe aux actions des organisations humanistes et pacifistes, notamment pour la paix en Algérie et l’indépendance du peuple algérien ; il part travailler en qualité d’éducateur à Alger, en 1962, et en revint après le coup d’état de Boumedienne. En mai 1968, l’attitude des partis politiques et des organisations syndicales le renforça dans sa conviction que la voie de l’émancipation de la classe ouvrière ne pouvait se passer de l’éducation populaire ; aussi son militantisme sera essentiellement « associatif ». Héritier d’une croyance selon laquelle le travail est une valeur en soi et la compétence un instrument de liberté et de négociation, son trajet militant et sa vie professionnelle sont indissociables, l’implication militante éclairant la construction d’un projet professionnel, véritable projet de vie. Il adhéra à la CGT dès son premier emploi et contribua plus tard à la création du syndicat CGT enfance inadaptée en Seine-Maritime. C’est d’ailleurs fort de cette double expérience (syndicalisme et éducation populaire) qu’il conçut et mit en œuvre dans les années 1970, dans le cadre de PEC de Haute-Normandie (il en fut secrétaire général puis trésorier), les premières formations d’éducateurs spécialisés en cours d’emplois débouchant sur le diplôme d’Etat.
Conscient de l’ambivalence de la fonction du travail social et des travailleurs sociaux eux-mêmes qui oscillaient entre deux finalités, celle du contrôle social et celle de l’émancipation des populations, il souhaita renforcer cette dernière en cherchant à majorer l’impact des mouvements laïques d’éducation populaire dans le secteur de la formation des travailleurs sociaux, ce qu’il fit avec le mouvement Peuple et Culture et l’aide des CEMEA. Parce qu’il pensait que le devoir de compétence constituait une « exigence déontologique » et que l’intervention sociale doit impliquer les usagers, il adhère à la stratégie du « travail social global » développée par le secrétariat d’Etat à l’action sociale en 1973 avec pou corollaire la création des Instituts régionaux de formation des travailleurs sociaux (IRTS). Directeur du centre de formation des éducateurs et des animateurs de Haute-Normandie (1969-1975), il fut alors nommé directeur général de l’IRTS de Rouen (1975-1992). Favorable à la professionnalisation du travail social, mais luttant contre le corporatisme, il espérait que le cloisonnement du travail social soit dépassé par le partage des connaissances relatives au champ social ; c’est ainsi qu’il prit l’initiative d’adjoindre à l’institut un centre d’expertises et de ressources en réseau (CERIS) et un laboratoire d’études et de recherche sociale (LERS) en 1982.
Il cherchait à faire partager cette approche du développement collectif des compétences des intervenants sociaux au moyen du rassemblement des IRTS : ainsi naquit le groupement national des IRTS (GNI), dont il fut secrétaire général (1988-1992), et fut négocié un nouveau statut des IRTS impliquant les nouvelles missions d’informations et de recherche (arrêté d’août 1986). Par la suite, il mit en œuvre l’Institut du développement social, dont il fut directeur général (1992-1998), un projet avec une dimension internationale avec la Roumanie comme premier partenaire. Entre 1998 et 2000, il prit la direction générale du Centre de formation et d’études de la protection judiciaire de la jeunesse. Marié à Denise Héliot, père de deux enfants, chevalier dans l’ordre des palmes académiques (1990) et dans l’ordre national du mérite (2001), il continua à croire en la capacité des hommes à transformer leur condition au moyen du partage de la culture et de l’éducation et la lutte contre toutes les formes de discrimination.
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Par Jean Gondonneau
SOURCES : Ouvrages cités à « œuvre ». — Boucher Manuel, Gondonneau Jean, « René Boucher (1943-2018). Une figure idéale typique d’un homme engagé dans l’éducation populaire et la formation en travail social », Sciences & Actions Sociales, 2018/1 (N° 9), p. 1-11. DOI : 10.3917/sas.009.0001.