Par Jacques Girault
Né le 1er janvier 1930 à Constantine (Algérie), mort le 24 avril 2006 à Toulon (Var) ; professeur ; militant du SNES en Algérie ; militant communiste ; adjoint au maire de La Seyne (Var).
Jean Sprecher était le fils d’un chef de gare d’origine alsacienne (sa famille s’était installée en Algérie après 1871) dans diverses communes d’Algérie, puis à Philippeville, Ménerville et Tizi-Ouzou, et d’une fille de cultivateurs d’origine italienne, tous deux respectueux des populations indigènes, qui le firent baptiser à léglise l’envoyèrent au catéchisme. Il commença sa scolarité secondaire au lycée de Philippeville avant d’aller, en 1946, en classe de première comme interne au lycée Bugeaud d’Alger, où il fut présenté au concours général en histoire. Il obtint le baccalauréat, série « philosophie » en 1948. Féru de poésie, il fréquentait la librairie tenue par Edmond Charlot, l’éditeur des écrivains de la France libre. Musicien amateur, il jouait dans un orchestre de jazz de Tizi-Ouzou. Lecteur d’Alger républicain et de Liberté, journaux de gauche, partisan du nouveau statut de l’Algérie proposé par le gouverneur Marcel-Edmond Naegelen, il fut déçu et irrité notamment par le sabotage de son esprit lors de l’élection de l’assemblée algérienne.
En 1950, après avoir suivi les cours pendant une année de la classe de lettres supérieures du lycée Bugeaud, titulaire de la propédeutique, Jean Sprecher devint maître d’internat au lycée de Philippeville. Après un bref passage au lycée de Tizi-Ouzou, il occupa ces fonctions au lycée Bugeaud jusqu’en 1956. cette année-là, candidat aux élections de la commission académique paritaire des MI-SE sur la liste du Syndicat national de l’enseignement secondaire, il fut battu par celui présenté par Syndicat général de l’Éducation nationale. Inscrit à la faculté des Lettres, ne pouvant suivre les cours en raison de son travail à Philippeville, il obtint le certificat d’études grecques.
Nommé à Alger, Jean Sprecher rejoignit le groupe des étudiants progressistes ou "libéraux" et prit part aux manifestations qu’il organisait en 1954-1955. Devant la radicalisation, il participa, en 1955, à la diffusion d’un appel pour constituer un comité pour le respect de la neutralité à l’Université. Il avait suivi les cours de littérature et philologie latine en 1954 d’André Mandouze et prit part avec les étudiants de l’Union générale des étudiants musulmans algériens, à la protection de ce dernier après la manifestation du 6 mars 1956 qui l’avait chassé de son poste. Aussi, avec ses camarades, refusa-t-il d’aller suivre les cours de son successeur. En septembre-octobre, il participa à la mise sur pied de la liste progressiste lors de l’élection de l’assemblée générale des étudiants d’Alger.
Appelé au service militaire, Jean Sprecher rejoignit, le 1er novembre 1956, le régiment d’infanterie coloniale à Maisons-Laffitte (Seine-et-Oise). Il refusa de suivre le peloton des élèves officiers de réserve car il ne voulait pas servir en Algérie comme officier. Le 30 décembre 1957, il fut affecté en Algérie dans le groupe du Plan Aumale VI, dans un régiment d’infanterie stationné à Melliana dans le massif des Ouarsenis. Après avoir répondu négativement au référendum de septembre 1958, affecté dans un djebel, il fut démobilisé le 29 janvier 1959.
Jean Sprecher devint alors adjoint d’enseignement au lycée Bugeaud et continua d’adhérer au SNES, maintenant épuré de ses éléments les plus à droite. Au printemps 1959, il adhéra au Comité étudiant d’action laïque et démocratique, affilié au Comité national d’action laïque, organisation qui servait de couverture pour des activités plus politiques. Son objectif était de s’opposer à l’Association générale des étudiants algériens présidée par Pierre Lagaillarde. Ils présentèrent une liste "Action syndicale et renouveau unitaire". Aux élections universitaires, des listes dans chaque corporation obtinrent environ 30 % des voix. Ils publiaient un bulletin, cherchaient une troisième voie, se rebellèrent en janviers 1960 contre les dirigeants de la "journée des barricades". Le 1er mai 1960, ils organisèrent un rassemblement dans les locaux du Syndicat national des instituteurs et de la Fédération de l’Éducation nationale. Mais à la fin 1960, le groupe se divisa entre partisans du maintien de l’Algérie libéralisée dans la France et partisans de l’indépendance, dont Sprecher. Le 3 novembre 1960, ils s’opposèrent à la grève de solidarité avec Lagaillarde et Susini, avec comme mot d’ordre, "Paix en Algérie, Lagaillarde au poteau, négociations". Les affrontements furent violents et la presse leur accorda une large place.
Depuis septembre 1959, Jean Sprecher enseignait au lycée du populeux quartier Belcourt à Alger. Il devint responsable académique du SNES des adjoints d’enseignement, votant régulièrement dans les élections internes pour la tendance B. Deux ans plus tard, il était délégué au congrès national du SNES à Strasbourg. Quand Louis-Paul Letonturier présenta une motion favorable à l’ouverture de négociations avec le Front de Libération nationale, il fut le seul de la délégation de l’académie d’Alger à la voter. Il participa, en 1961, au lancement du journal L’Algérien dont un des animateurs était Auguste Lecœur. Mais il prit très vite des distances.
Jean Sprecher devint alors la cible des élèves et des professeurs partisans de l’Algérie française. Lors du putsch du 25 avril 1960, après avoir subi des menaces dans sa classe, il demanda sa mutation pour la France. Mais le proviseur ne donna pas suite à sa demande en raison de la fin du putsch. Ses parents avaient quitté l’Algérie pour Hyères (Var). Le 28 juin 1961, il partit d’Algérie avec l’intention de ne pas revenir. Arrivé en France, il se rendit au rectorat de Nice qui lui proposa un poste de maître auxiliaire au lycée de La Seyne. Il épousa, à Hyères en décembre 1961, une institutrice, fille d’un sympathisant communiste. En 1964, il s’installa à La Seyne où son épouse venait d’être nommée institutrice. Il fut par la suite affecté dans plusieurs postes dont Saint-Mandrier, Six-Fours, Sanary, Toulon, Cuers, La Crau, Saint-Raphaël, puis au collège Curie à La Seyne. Après avoir terminé sa licence de lettres à Aix, il fut titularisé en 1974 sur un poste de documentation aux lycées Tessé puis Bonaparte et au collège Pagnol à Toulon. Il accéda au grade de certifié et prit sa retraite en 1990.
Pendant cette période d’enseignement en France, Jean Sprecher organisa deux voyages en Algérie (1979 avec Tourisme et Travail et 1990 avec la Fédération des œuvres laïques).
Jean Sprecher, au collège Curie à La Seyne, eut comme collègues Toussaint Merle, maire communiste de la ville, et Marius Autran, son adjoint. Il adhéra au Parti communiste français à la fin de 1962. A partir de 1964, installé à La Seyne aussi par choix politique, il entra au comité de section, puis au bureau de section, et devint membre du secrétariat de section aux côtés de Louis Puccini en 1964. Peu après, il devint secrétaire du comité de ville, en juillet 1973, où il eut à résoudre les oppositions entre la section communiste des Forges et Chantiers et la section-ville. Il le demeura jusqu’en 1981. Il devint membre du comité fédéral de 1967 à 1981. Il participa au bureau fédéral pendant quelques années.
En 1965, Sprecher refusa d’être candidat aux élections municipales. À la mort de Toussaint Merle en 1969, puisqu’il était secrétaire de section, il fut choisi lors de l’élection complémentaire. Réélu en 1971, quand l’adjoint au maire Leyret démissionna, en 1973, il devint adjoint délégué aux affaires culturelles, à la bibliothèque, à l’école des Beaux-Arts et au Centre médico-social. Il se montra, notamment dans les relations avec les enseignants communistes, soucieux de faire respecter strictement la ligne politique du Parti.
En 1977, réélu, Jean Sprecher conserva sa délégation d’adjoint, cette fois, aux relations publiques et à l’information municipale. En 1978, devenu premier adjoint, il reçut les délégations du personnel communal et des relations publiques. En 1982-1983, il présida l’office municipal d’HLM. En 1983, il conserva son poste de premier adjoint. Après l’annulation par le Conseil d’État en 1984, la liste de gauche fut battue mais il fut élu conseiller municipal minoritaire, situation qui se prolongea après les élections municipales de 1989. Cette année-là, il se signala notamment par son opposition à la proposition du maire de droite de débaptiser l’école Jules Vallès. La société des amis de Jules Vallès se félicita de cette position. Depuis 1977, il était le président du groupe communiste au conseil municipal.
En 1995, Maurice Paul, tête de la liste de gauche, lui proposa d’être à nouveau candidat. Mais aucun conseiller municipal sortant ne recevant la même proposition, Sprecher refusa d’être le seul ancien. Par la suite, il fut un des conseillers les plus écoutés du maire communiste et il aida à négocier avec les autorités académiques pour l’installation de l’Institut universitaire de formation des maîtres sur le territoire communal.
Jean Sprecher avait été, à deux reprises, le candidat du PCF aux élections pour le Conseil général dans le canton de Saint-Mandrier. En 1976, après être arrivé en deuxième position au premier tour, avec 1 726 voix, candidat unique de la gauche, il fut battu au deuxième tour avec 2 961 voix. En mars 1982, avec 1 836 voix, devancé par le candidat socialiste au premier tour, il se désista.
Jean Sprecher quitta le PCF en 1989 à la suite d’un désaccord national (à propos de la candidature d’André Lajoinie à la présidence de la République) et aussi pour des raisons locales. Il participa pendant peu de temps aux réunions des rénovateurs animées par le maire de La Garde, Maurice Delplace. Il fut notamment un des 83 signataires de l’appel paru dans la presse, en novembre 1990, "Le parti se meurt, sauvons le parti !". Toujours resté proche des élus communistes au conseil municipal et du maire Maurice Paul, il choisit de soutenir ce dernier dans les divisions qui traversèrent les communistes de La Seyne à la fin des années 1990.
Jean Sprecher écrivit, pendant cette dernière période, son témoignage sur sa jeunesse et sur l’attitude des étudiants de gauche en Algérie. Il y ajouta le témoignage de quelques amis d’opinions différentes. A la demande de l’Amicale des vétérans du PCF, il travailla à la rédaction de l’ouvrage J’écris ton nom Liberté, comme le souligna Josette Vincent* dans son hommage (La Marseillaise, 27 avril 2006).
Par Jacques Girault
OEUVRE : Jean Sprecher, A contre-courant. Étudiants libéraux et progressistes à Alger 1954-1962, Paris, Éditions Bouchène, 2000, 196 p.
SOURCES : Archives du Parti communiste français. — Renseignements fournis par l’intéressé.