BOUCHET Paul

Par Robi Morder

Né le 2 août 1924 à Saint Étienne (Loire), mort le 28 mars 2019 à Marcilly-Le-Châtel (Loire) ; dirigeant de l’UNEF ; avocat à Lyon ; Conseiller d’Etat ; président d’ATD Quart Monde.

Le père de Paul Bouchet était employé à la Manufrance d’État (Mutilé de la Grande Guerre, issu d’une famille paysanne, il obtient un emploi réservé, devient ensuite fonctionnaire dans l’administration des finances, employé de perception), tandis que sa femme s’occupait des trois enfants. Paul Bouchet se trouva au moment de la débâcle, en juin 1940, à Lyon, puis après Noël à Panissières (Loire) où son père fut muté. Là, il s’engagea dans la résistance combattante, expérience fondatrice, alliant dans la sizaine qu’il avait formée des individus de tous horizons sur des objectifs communs et concrets d’émancipation, ce que Paul Bouchet allait à chaque fois tenter de renouveler : « ça a toujours été le rêve de ma vie, c’est de regrouper les jeunes ouvriers, les jeunes paysans et les jeunes intellectuels » (entretien avec l’auteur, 1995).
Après la Libération, il dut soigner sa pleurésie et renoncer à la préparation de l’entrée à l’Ecole normale supérieure. il s’inscrivit alors à la faculté de droit de Lyon en 1945, et devint rapidement président de la corpo de droit, puis de l’Association générale des étudiants de Lyon. Participant avec Miguet à la commission d’études syndicales de l’association, il fut le rédacteur d’un texte adopté au congrès de Grenoble de l’UNEF d’avril 1946, texte qui devint par la suite un texte de référence du syndicalisme étudiant, dit « Charte de Grenoble ». Désigné par le conseil d’administration de l’UNEF en janvier 1946 il fut membre de la délégation française à l’Union internationale des étudiants, participant au « comité préparatoire international » du congrès de l’UIE (Prague, novembre 1946). Il participa également à l’Entr’aide universitaire internationale dont les tâches dans l’après-guerre étaient énormes. Aux débuts de la guerre froide, il tenta avec l’UNEF d’éviter la scission internationale du mouvement étudiant refusant tout autant les diktats soviétiques que la formation d’une internationale strictement occidentale (voir témoignages in Cahiers du Germe n° 1 « spécial Charte de Grenoble », 1996, et n° 2 « spécial internationales étudiantes », 1997).
Il ne fut membre d’aucune organisation politique, ni même, contrairement à ce qui a pu être dit, de la JEC, même si l’influence d’un christianisme social incarné par Témoignage Chrétien fut incontestable. Porté par sa formation et l’expérience de la Résistance au rassemblement, on pourrait le rapprocher du syndicalisme révolutionnaire. Il n’était pas opposé aux partis mais, comme beaucoup de gens de sa génération, au parlementarisme style IIIe République, il préférait le rassemblement de tous dans l’action. Il utilisa la formule d’« apartitisme », pour s’opposer à « l’apolitisme » officiel de l’UNEF comme à l’inféodation partisane. Pour lui, le syndicalisme étudiant préparait au (et était partie prenante du) syndicalisme professionnel, ce qu’il développa dans Lyon Étudiant en 1946. Bouchet était capable aussi bien de penser l’action directe (occupation des cinémas qui refusaient de pratiquer des tarifs étudiants) que la gestion directe étudiante des réalisations, dont le restaurant lyonnais fut un symbole. À la fin de ses études, tout en embrassant la profession d’avocat dans sa ville de Lyon, il continua à siéger comme conseiller juridique de l’UNEF auprès de son conseil d’administration jusqu’en 1952. Pour les syndicalistes étudiants des générations suivantes, il demeurait une référence. Il fut d’ailleurs président de l’Association des anciens de l’UNEF de 2010 à 2013, puis présent d’honneur.
Avocat, il le fut avec et aux côtés du mouvement ouvrier au service des salariés, des organisations syndicales, principalement CGT et CFDT, des comités d’entreprise, puis des agriculteurs, La jurisprudence sociale porte sa marque (réintégration de salariés protégés, droit de grève). La formation demeure pour lui un aspect essentiel, par exemple avec le Centre d’éducation ouvrière de l’Université de Lyon. Il fut une figure du Syndicalisme professionnel au sein du SAF (Syndicat des avocats de France). Anticolonialiste, il s’engagea dans la défense des militants algériens, ayant été, entre autres, un des avocats de Ben Bella. Au sein d’un milieu plutôt conservateur, il fonde avec d’autres avocats la première société civile professionnelle en 1969, devenue le cabinet ADAMAS, puis créée la surprise en étant élu bâtonnier du barreau de Lyon de 1982 à 1984, il y fera bâtir la première « Maison des avocats ».
L’émancipation et l’égale dignité passaient par l’accès à la culture. Soutien dans les années 1950 du théâtre lyonnais, il se lance – réitérant l’association d’intellectuels, ouvriers, paysans – dans la reconstruction par des volontaires du Château de Goutelas, dans le Forez, qui devient un centre de rencontres inter-culturelles, doté aujourd’hui d’un programme « Humanisme, droit et création »
Après la victoire de la gauche de 1981, il continua ses combats au sein des institutions de l’Etat. Membre de la commission de réforme du code pénal sous le ministère Badinter, au cabinet de Georgina Dufoix aux Affaires sociales, membre du Conseil d’État en juillet 1985. Sollicité par les gardes des sceaux, Pierre Arpaillange et Marylie Lebranchu en 1990 et 2001 pour proposer des réformes de l’accès au droit, Il fut l’artisan du remplacement du système « d’assistance juridique » en un droit pour les justiciables, « l’aide juridictionnelle », il en présida d’ailleurs le Conseil national de l’aide juridique en janvier 1993, et ce pour trois ans. De 1991 à 1997 il fut également président de la « commission de contrôle des interceptions de sécurité », c’est-à-dire chargé du contrôle des écoutes téléphoniques.
Dans divers conflits, il fut désigné comme médiateur : 1981 aux Minguettes, 1981 à la prison de Bois d’Arcy, 1986, enfants des couples mixtes franco-algériens, 1989, Chantiers de l’Atlantique à Saint Nazaire. En 1996 encore, il s’engagea auprès des étrangers sans-papiers de « Saint-Bernard » en tant que médiateur.
Son activité en faveur des plus précaires et des plus pauvres fut un combat social qu’il mena dans diverses arènes. Il présida le FAS (Fonds d’aide sociale pour les travailleurs immigrés) de 1983 à 1986, devint en 1989 membre et président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme jusqu’en avril 1996. Après son départ de la présidence de la CNCDH, il s’engagea dans ATD Quart-monde où il succéda à Geneviève Anthonioz De Gaulle en 1998, présidence qu’il quitta en 2004 sans cesser son activité, puisqu’il a continué à siéger au Haut comité pour le logement des personnes défavorisées et au Haut conseil de la coopération internationale. Dans cette période, Il participa à la création de la CMU (1999) et surtout Il est à l’origine du DALO (Droit à un logement opposable), et il a continué jusqu’à quasiment la fin à siéger dans les commissions veillant à son application.
Le titre de son témoignage « mes sept utopies » résume bien sa fidélité à son engagement ininterrompu en faveur de l’émancipation sociale et des droits de l’homme.
Il était marié avec l’universitaire juriste Mireille Delmas-Marty (10 mai 1941 à Paris, 12 février 2022 à Saint-Germain-Laval, Seine-et-Marne), professeur au Collège de France, très grande figure humaniste du droit, et avait un fils François Bouchet, astrophysicien.

Mort le 28 mars 2019, ses obsèques ont été célébrées le samedi 30 mars 2019 à 15h00 en l’Église Marcilly-Le-Châtel de Marcilly-le-Châtel.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article17413, notice BOUCHET Paul par Robi Morder, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 14 février 2022.

Par Robi Morder

SOURCES : Entretiens de l’auteur avec Paul Bouchet. N° spécial 8 des Cahiers du Germe « hommage à Paul Bouchet », mai 2019. — Témoignage oral recueilli par la Cité des mémoires étudiantes. — Fonds Paul Bouchet AN AS/203(IV)/1- AS/203(IV)/3. — Pierre Héritier et Antoine Jeammaud « Paul Bouchet l’humaniste », Le retraité du Rhône, mai 2019. — Paul Bouchet, Mes sept utopies, Paris, l’Atelier, 2010. — Le Monde, 15 février 2022 (disparition de Mireille Delmas-Marty).

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